vendredi 29 juin 2012

Oscar de la meilleure actrice 1941

A mon avis, une autre très bonne année après 1939 en ce qui concerne les performances d'actrices US. Au programme:

* Bette Davis - The Little Foxes
* Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn
* Joan Fontaine - Suspicion
* Greer Garson - Blossoms in the Dust
* Barbara Stanwyck - Ball of Fire

Evidemment, ce qui était très attendu à l'époque, c'était le duel fratricide entre Joan et Olivia, la première ayant notamment raflé l'Oscar que la seconde estimait devoir gagner si la date de sortie de Suspicion n'avait été avancée (le film est sorti en janvier 1942 en Californie mais la première ayant eu lieu en novembre 1941, Fontaine put être sélectionnée). Il faut dire que si l'on mesure la popularité d'une nomination à l'intensité des applaudissements les soirs de remises de prix, cette cérémonie aurait dû se jouer entre Olivia et Barbara Stanwyck, de quoi ajouter de l'eau au moulin de la soeur déconfite. Mais de fait, même si la performance de Joan Fontaine dans Suspicion n'était pas la plus populaire, l'AMPAS était très tentée de lui offrir un lot de consolation après sa défaite pour Rebecca un an plus tôt, de telle sorte qu'elle avait peu de chance de perdre cette année-là. Pour le reste de la compétition, Bette Davis battait son propre record en étant nommée pour la quatrième fois consécutive, mais les regards étaient visiblement tournés ailleurs après ses deux victoires de la décennie précédente. Greer Garson recevait quant à elle sa seconde nomination, et la première d'une série de cinq consécutives, preuve qu'elle était en passe de s'imposer comme The Actress MGM de ces années de guerre, époque à laquelle Norma Shearer et Greta Garbo tournaient leurs derniers films quand Joan Crawford entamait une traversée du désert qui devait la conduire à quitter le studio peu après.

Quoi qu'il en soit, voilà une sélection où se côtoient de nombreux grands noms du cinéma des années 1940. Mais pour ma part, vais-je laisser les soeurs de Havilland s'entretuer dans ma propre liste? C'est ce que nous allons voir dès à présent!

Je retire:

Greer Garson - Blossoms in the Dust: De loin la performance la moins intéressante de ce champ, et qui me pose le même problème que Roz Russell dans Sister Kenny, à savoir que l'héroïne a beau être charismatique tout en étant excellemment interprétée, il manque quelque chose qui empêche de s'intéresser à elle plus avant. Pourtant, elle a pas mal de bons moments, au premier rang desquels ses tentatives de secouer la société et les hommes de loi qui veulent freiner ses projets, mais il m'est néanmoins bien difficile de me passionner pour une femme dont la seule raison de vivre est de récupérer tous les orphelins qui lui tombent sous la main, sous l'oeil bienveillant d'un mari trop accommodant. A l'image de cette performance, le film se voudrait flamboyant, mais il n'est ni plus ni moins qu'un mélodrame ultra conventionnel dont la pellicule en technicolor fait plus mal aux yeux qu'autre chose. Alors... je sais que tout le monde aime Greer Garson, mais en ce qui me concerne, elle commence sérieusement à m'énerver toute bonne actrice qu'elle soit... Et ce n'est pas cette performance calibrée pour les Oscars par son studio qui lui fait gagner des points.


Joan Fontaine - Suspicion: Je l'ai pourtant beaucoup appréciée, mais... si je devais ne retenir qu'une chose de sa prestation, ce serait ce sourcil gauche qui se barre en live toutes les 3 secondes! Et mine de rien, ça fait beaucoup pour un film d'1h30. Toutefois, si l'on ferme les yeux sur cet aspect irritant, que reste-il? Un bon rôle que j'aime beaucoup et qui aurait mérité sa nomination dans ma liste si une concurrence particulièrement rude ne lui faisait face la même année. En effet, Fontaine a beau incarner une victime, elle prend toujours la peine d'affirmer sa personnalité, de quoi lui permettre de tenir tête à un Cary Grant à nouveau désarmant. Elle est de surcroît très bonne dans ses tentatives de percer un mystère angoissant, et même si la fin n'était pas celle prévue par Hitchcock et apporte justement une petite déception, ça n'enlève rien à la force de la performance de l'actrice. En somme, Joan Fontaine s'allie fort bien à Hitchcock et Cary Grant pour faire passer un très bon moment avec un personnage dynamique, mais souffre malheureusement d'une rivalité trop forte pour gagner sa place dans mes propres nominations. Dommage. 


Barbara Stanwyck - Ball of Fire: C'est Barbara, je l'adore, y compris dans ce rôle qui lui permet de faire preuve d'émotion via ses sentiments contrariés tout en brillant dans le registre comique avec en point d'orgue cette entrée phénoménale chez Gary Cooper, clin d’œil vulgaire mais jouissif à l'appui. Ceci dit, malgré cette indéniable réussite qui n'a certainement pas volé sa nomination, Barbara est encore meilleure la même année dans un autre film... Vous avez tous deviné de quoi je veux parler!


Ma sélection:

Bette Davis - The Little Foxes: Là, c'est la collaboration Wyler-Davis portée à son paroxysme, aussi le film comme la performance de la star ont forcément un aspect plus que génial. Pour commencer, Davis se montre parfaitement crédible en mère de famille aigrie alors que deux ans auparavant elle incarnait encore des jeunes filles: elle n'a ainsi aucune difficulté à faire croire qu'elle est la soeur où l'épouse d'acteurs nés une vingtaine d'années avant elle, ou qu'elle est la mère de Teresa Wright de seulement dix ans sa cadette. Et bien entendu, cette réussite est moins le fait des costumes rétro qu'elle porte avec beaucoup d'élégance que de son incroyable talent à composer n'importe quel personnage. Mais en parlant de talent, ça me rappelle justement le Stardust où Jane Fonda remarquait que la performance de Davis dans ce film est tellement subtile qu'on a l'impression que c'est sans efforts apparents qu'elle se révèle d'une intensité rare, notamment dans la scène clef avec Herbert Marshall. On ne peut qu'être d'accord: aux antipodes de ses déchaînements furieux de Of Human Bondage, elle reste ici totalement calme et posée, figeant son visage dans un aspect glacial et terrifiant, si bien que rien n'est plus percutant que sa façon de dire les pires choses au monde avec un dédain paroxystique. La perfidie de Regina n'en est que plus admirable.       
   

Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn: Plus je vois ce film, plus je l'aime. Et s'il me faut reconnaître que je n'ai pas trouvé la performance d'Olivia transcendante la première fois, j'en suis à présent un fan inconditionnel. Parce que l'air de ne pas y toucher, c'est bel et bien elle qui laisse la plus forte impression, très crédible qu'elle est en jeune femme certes naïve mais dont le dynamisme et la vivacité sont heureusement loin de la pesanteur agaçante de son rôle pourtant bien plus célébré dans The Heiress. On a dès lors affaire à un personnage attachant et rafraîchissant qui vient illuminer le monde étouffant de ces immigrés européens désespérés de ne pouvoir franchir la frontière: espoir pour Charles Boyer qui n'attend que de se servir d'elle pour pouvoir enfin retourner aux Etats-Unis, son Emmy Brown constitue également un espoir pour le spectateur puisque c'est grâce à elle qu'on peut enfin sortir de la torpeur d'un hôtel frontalier et s'engager dans un voyage lyrique et dépaysant à travers le Mexique. Et puis, cerise sur le gâteau, elle sait se montrer bien plus forte que prévu en ayant de très bonnes réactions finales avec les différents protagonistes, en particulier lorsqu'elle défie Paulette Goddard d'un sourire éteint en refusant de lire l'inscription sur la bague, et lorsqu'elle remet ses lunettes après un interrogatoire où elle vient de révéler une force insoupçonnée. Je suis donc tout à fait conquis, allant jusqu'à penser qu'il s'agit là de son meilleur rôle.


Barbara Stanwyck - The Lady Eve: Le premier film grâce auquel j'ai découvert le talent comique de Barbara, et force est de reconnaître que j'ai fait un bon choix! Parce que si le film est drôle à se tordre les côtes, c'est essentiellement grâce à Stany qui en porte la plus grande partie sur ses épaules avec ce double-rôle hilarant. Dès qu'elle entre en scène, elle impose d'emblée un personnage détonant qui entre dans la vie d'Henry Fonda de façon mémorable en renvoyant les greluches du bateau se rhabiller tant elle se montre sexy et pétillante. En outre, on retrouve le côté touchant de Ball of Fire dans sa façon d'aborder ses sentiments, ce qui appelle une seconde partie encore plus éclatante. Redoutablement élégante, Stanwyck fait ainsi très bien la transition entre l'aventurière américaine en croisière et la lady anglaise éminemment distinguée, et ce grâce à un jeu sur les accents et les intonations particulièrement efficace. On prend dès lors un énorme plaisir à la voir se jouer d'Henry Fonda si bien qu'une fois le générique de fin arrivé, on n'a plus qu'une envie: relancer le film et s'embarquer immédiatement pour une nouvelle odyssée comique des plus jubilatoires.


Irene Dunne - Penny Serenade: Une question me taraude: pourquoi avoir nommé Cary Grant pour ce rôle qui, certes réussi, n'est certainement pas son meilleur, si c'est pour snober Irene Dunne qui est de son côté une nouvelle fois éblouissante? Comme à son habitude, elle prend soin de ne jamais verser dans la moindre note mélodramatique afin de se révéler déchirante dans les moments difficiles, tout en n'oubliant pas d'être à nouveau excellente dans les instants plus drôles. De fait, elle manie toutes les émotions possibles et imaginables avec dextérité tout en s'attachant parfaitement toute notre sympathie et plus encore: impossible de ne pas tomber instantanément amoureux d'elle dès son apparition dans un magasin de disques. De surcroît, l'alchimie qui se dégage de ses rapports avec Cary Grant fait une fois de plus des merveilles, si bien qu'on regrette que ce soit leur dernière collaboration. En somme, il s'agit encore d'une très grande réussite d'Irene dont la non nomination aux Oscars ne cessera jamais de m'étonner vu le sujet particulièrement fort de ce film émouvant à souhait.


Joan Crawford - A Woman's Face: La première fois que j'ai vu ce Cukor, je l'ai classé comme chef-d'oeuvre. La seconde, je l'ai encore mieux aimé. Et autant dire de suite que Crawford n'y est pas pour rien! Parce que lorsqu'on s'appelle Joan Crawford, l'essence même du glamour, et qu'on ose se défigurer le temps d'un rôle, c'est déjà très courageux. Mais quand on s'approprie de surcroît le personnage pour le jouer de façon aussi parfaite, ça mérite de figurer haut dans ma liste des meilleures interprétations du Golden Age. En effet, loin de se reposer sur le seul maquillage, Crawford rend fort bien la profondeur et la complexité de cette Anna Holm: des blessures psychologiques qui percent sous une apparente dureté au tiraillement affectif que lui impose un choix cornélien, sa performance est menée de main de maître et donne une saveur toute particulière à une poignée de scènes au suspense haletant. De surcroît, je l'ai trouvée encore plus subtile que Bergman dans la version suédoise de 1938. Je n'ai donc que des éloges à faire à l'actrice, et rien ne m'irrite plus que cette performance ait été snobée à cause du peu de recettes qu'a recueilli le film.

Bon, et maintenant je fais quoi? Parce que je viens quand même de nommer cinq actrices issues de très bons films voire de chefs-d'oeuvre, dont les performances mériteraient toutes cinq étoiles si je devais faire un barème. Un peu comme en 1939, sauf que là, pas de Scarlett O'Hara pour faire la différence de façon évidente. Donc... autant dire que mon choix final va être plus que difficile et que les résultats seront des plus serrés. Ceci dit, un je ne sais quoi de particulièrement extatique m'incite à donner mon vote à...

Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn

Ainsi, 1941 est une année réellement exceptionnelle, et n'importe laquelle de mes candidates aurait mérité un Oscar. Mais après de longues années de réflexion, Olivia de Havilland et Barbara Stanwyck arrivent finalement en tête dans mes préférences, et Hold Back the Dawn est à mon avis le plus beau rôle d'Olivia, loin devant The Heiress, aussi est-ce le bon moment pour lui attribuer le trophée. Sans compter qu'elle brille la même année dans un registre complètement différent avec son hilarant second rôle dans They Died with Their Boots On, si bien que 1941 apparaît clairement comme son meilleur millésime. Sur ce, Barbara Stanwyck se classe seconde pour sa prodigieuse prestation comique, Joan Crawford troisième pour son courage physique au service d'un grand rôle de composition, Bette Davis quatrième pour l'un de ses nouveaux sommets, tandis qu'Irene Dunne ferme la marche pour l'une des performances les plus émouvantes jamais données.

D'autre part, si j'ai pris beaucoup de plaisir devant toutes les actrices nommées ici, il ne faut certainement pas oublier d'autres très grandes réussites en cette année qui peut se mesurer à 1939 sans avoir à rougir. Voici donc sans plus attendre l'indispensable classement fowlerien des performances...

dignes d'un Oscar : Joan Crawford (A Woman's Face), Bette Davis (The Little Foxes), Olivia de Havilland (Hold Back the Dawn), Irene Dunne (Penny Serenade), Barbara Stanwyck (The Lady Eve): pour les raisons évoquées plus haut. Lana Turner (Ziegfeld Girl): un premier grand rôle où l'actrice révèle un génie insoupçonné en volant la vedette à tous ses partenaires grâce à une performance à la fois poignante et charismatique, avec tout ce qu'il faut d'émotions intermédiaires pour marquer durablement les esprits, du désabusement à la franche camaraderie, surtout que l'actrice est d'autant plus touchante lorsqu'elle se berce d'illusions alors que le succès lui monte à la tête.


dignes d'une nomination : Mary Astor (The Maltese Falcon): une fabuleuse performance nerveuse à souhait, portée par une actrice qui devait courir entre chaque prise pour avoir l'air essoufflé, même si c'est surtout en révélant la vulgarité du personnage derrière sa façade élégante qu'elle devient réellement fascinante. Sans compter l'autodérision dont elle fait preuve en avouant être une menteuse compulsive. Vivien Leigh (That Hamilton Woman): une version pleine d'humour et d'esprit qui renvoie l'Emma de Corinne Griffith aux oubliettes. Et l'alchimie avec Laurence Olivier fait des miracles, surtout aux débuts de leur rencontre où l'actrice présente Emma avec une vivacité qui n'est pas sans rappeler les grandes heures de Scarlett O'Hara.


séduisantesJean Arthur (The Devil and Miss Jones): une grande performance comique mais qui ne marque pas autant les esprits que ses tours de force dans The Talk of the Town et The More the Merrier. Joan Crawford & Greer Garson (When Ladies Meet): un joli duel de stars où Crawford ne fait rien qui sorte de l'ordinaire, tout en restant impeccable, et où Garson est délicieuse lorsqu'elle se prête au jeu de dupes qui la fera vite déchanter. Bette Davis (The Great Lie): elle y est vraiment bien, d'autant qu'elle n'hésite pas à mettre en lumière les aspects les plus pervers de l'héroïne malgré une sympathie très prononcée, mais il y a quand même Mary Astor en face qui s'arrange pour lui voler la vedette à chaque échange. Ceci dit, Bette est loin de se démonter, mais qui en aurait douté? Marlene Dietrich (The Flame of New Orleans): dans la continuité de ses performances hilarantes dans Desire et Destry Rides Again, un rôle où l'actrice est à mourir de rire en jouant sur les deux tableaux, entre jeune femme respectable et fieffée friponne. Sa réplique culte: "Clementine, I'm going!", est drôle à se rouler par terre! Irene Dunne (Unfinished Business): une délicieuse performance touchante à souhait qui aurait mérité un support un peu plus éclatant. Joan Fontaine (Suspicion): voir ci-dessus. Greta Garbo (Two-Faced Woman): un sens de la comédie aiguisé dans un film hélas quelque peu inégal à cause d'un remontage qui en altère le sens. Mais la Divine y est fort drôle en se dévergondant sur une piste de danse, ou en faisant un clin d’œil irrésistible au téléphone. Greer Garson (Blossoms in the Dust): voir plus haut. Carole Lombard (Mr. and Mrs. Smith): avec Robert Montgomery, un duo d'acteurs qui fait tout son possible pour sortir ce propos du marasme. Merle Oberon (That Uncertain Feeling): une actrice qui aboie sous la direction de Lubitsch ne pouvait que me séduire. Rosalind Russell (They Met in Bombay): une voleuse de bijoux trop classe pour être ignorée, bien que le film perde tout intérêt avec une seconde partie dramatique mal amenée. Barbara Stanwyck (Meet John Doe): un rôle qui démarre sur les chapeaux de roues avant d'être mis de côté à cause d'un scénario mal équilibré. Mais elle y est impeccable, une fois encore, sans y être cependant aussi mémorable que dans Ball of Fire.


sans saveur : Claudette Colbert (Skylark), Barbara Stanwyck (You Belong to Me): deux rôles supposément drôles dont je n'ai plus aucun souvenir. A revoir. Alice Faye (That Night in Rio): non qu'elle y soit mauvaise, mais le film l'est tellement qu'il ne reste pas grand chose à tirer de sa performance. Olivia de Havilland & Rita Hayworth (The Strawberry Blonde): deux approches plutôt pataudes du registre comique. Ida Lupino (High Sierra): son charisme la rend forcément très intéressante, mais elle ne sait effectivement pas pleurer, ce qui rend sa dernière scène fort décevante. Par ailleurs, elle n'a pas réussi à rendre le film plus captivant pour moi, malgré sa jolie photographie. En réalité, l'actrice est bien plus mémorable la même année dans Ladies in Retirement, mais cette dame de compagnie assez glaciale me laisse toujours sur ma faim, d'autant qu'Elsa Lanchester lui vole la vedette à chaque instant.


ratées : Ingrid Bergman & Lana Turner (Dr. Jekyll and Mr. Hyde): la preuve qu'il n'aurait pas fallu intervertir les rôles. En effet, Turner aurait été bien plus à sa place en prostituée, tandis que Bergman qui fait sa princesse affectée ne sait nullement s'adapter à son environnement sordide. Par contre, elles seraient sans doute plus à leur place comme seconds rôles, tout du moins Turner pour sûr. Je ne me souviens plus du temps d'écran de Bergman par contre.



vendredi 22 juin 2012

Oscar de la meilleure actrice 1932/1933

Si je ne traite pas cette année dès à présent, je vais devenir fou à lier! Pourquoi? Parce qu'il s'agit de la période d'éligibilité la plus longue de l'histoire des Oscars, allant d'août 1932 à décembre 1933. Or, sachant qu'il est parfois plus que difficile de se limiter à cinq candidates une année normale, ça devient encore plus ingérable si l'on y ajoute cinq mois supplémentaires! A noter au passage la paresse non masquée de l'Académie qui s'est contentée de trois nominations, toutes issues de films sortis en 1933. Les heureuses élues furent ainsi:

* Katharine Hepburn - Morning Glory
* May Robson - Lady for a Day
* Diana Wynyard - Cavalcade

On a donc: en premier lieu, une actrice australienne septuagénaire qui faisait du cinéma depuis les années 1910, mais généralement plus habituée aux rôles secondaires. De fait, la nomination de Robson n'a rien d'étonnant: non contente d'avoir l'âge et la respectabilité de son côté, elle jouait en outre un rôle émouvant à souhait que Capra aurait aimé donner à Marie Dressler, laquelle aurait certainement reçu une troisième nomination consécutive si tel avait été le cas. Difficile de passer à côté de cette performance, donc. En face, deux actrices d'une autre génération quoique d'horizons différents: Diana Wynyard comme Katharine Hepburn en étaient au tout début de leurs carrières cinématographiques, chacune ayant percé au préalable face à un ou plusieurs Barrymore (excusez du peu!), respectivement dans Rasputine and the Empress et A Bill of Divorcement. A priori, Wynyard et Robson partaient avec un avantage de taille, celui de figurer dans des films nommés pour quatre Oscars, dont meilleur film et meilleur directeur, Cavalcade ayant notamment raflé ces prix. Cependant, c'est finalement Hepburn qui remporta la statuette, ce qui d'un point de vue contemporain semble être un bon choix, l'histoire ayant montré qui d'elle ou de Wynyard devait passer à la postérité. Et là, il n'y a même pas photo!

Pour ma part, j'ai promis dans mon premier post de me restreindre à cinq candidates par an, mais en raison du grand nombre de films éligibles pour cette saison particulière, j'ai longtemps pensé élargir ma sélection. Finalement, je me suis ravisé, car si je commence à faire des exceptions, je ne vais plus m'en sortir. Donc, pas de remords, et on passe tout de suite aux choses sérieuses!

Je retire:

Diana Wynyard - Cavalcade: Bon, je me suis enfin décidé à revoir le film histoire d'avoir un avis plus nuancé que ce qu'aurait laissé supposer ma première version de l'article, mais malheureusement, la révision n'a fait que confirmer l'impression initiale, à savoir que l'actrice use d'un jeu extrêmement daté, ou tout du moins très enraciné dans des codes théâtraux qui passent mal devant une caméra, et ne font qu'alourdir le propos au lieu d'apporter une certaine fluidité qui aurait fait du bien à cet univers étouffant presque exclusivement vu de l'intérieur d'un salon. Ainsi, lorsque le scénario demande à l'actrice d'être expressive, elle appuie toujours beaucoup trop sur le sentiment, à l'image de l'au-revoir à son mari lors du départ du paquebot, où sa détresse apparaît comme bien trop jouée, sans compter qu'elle a une fâcheuse tendance à porter la main au front dès que l'héroïne est désespérée, ce qui arrive souvent étant donné les drames qu'elle doit affronter. Autrement, Wynyard est malheureusement assez inexpressive, voire franchement ennuyeuse lorsqu'elle n'a pas de grands moments dramatiques à jouer, ce qui a pour conséquence de renforcer l'irritante sensation de confinement que j'évoquais. Et même si l'on peut mettre au crédit de l'actrice de bien restituer les manières de cette grande bourgeoise britannique, qui n'hésite pas à faire preuve d'une effroyable condescendance en patronnant l'épouse d'un ancien domestique ivrogne, elle trouve tout de même le moyen de trop forcer le trait dans le registre de la grande dame anglaise, comme le souligne sa diction lors de son entrée en scène. Enfin, si son vieillissement est plutôt bien esquissé dans son comportement, ce n'est hélas pas assez crédible sur le plan physique, ce qui reste bien dommage car c'est pourtant bien dans les séquences finales que l'actrice se révèle vraiment intéressante, se décidant enfin à abandonner la tonalité trop mélodramatique du reste du film. Dans tous les cas, ce voyage dans l'histoire britannique à travers ses événements les plus mémorables ne suscite pas le quart de l'excitation qu'on peut ressentir devant une thèse sur le même sujet, et les acteurs y sont pour autant que la réalisation peu inventive.


Katharine Hepburn - Morning Glory: Là aussi, j'ai enfin retrouvé une copie du film qui me permet de détailler mon impression à son sujet, sauf que si Diana Wynyard ne m'a pas davantage déçu par rapport à la première fois, Kate m'a en revanche très nettement moins enthousiasmé compte tenu du souvenir relativement favorable que j'avais de cette performance. Pour commencer, il faut avouer qu'elle rend le personnage exaspérant dès qu'elle se met à monopoliser la parole, et à chaque fois, c'est pour parler d'un ton monocorde qui finit par agacer rapidement, au point qu'on ne voit finalement plus que l'actrice réciter ses répliques, sans la moindre part laissée à l'héroïne qui est pourtant censée s'intéresser aux choses dont elle parle, encore qu'Hepburn parvienne in extremis à dessiner un certain désir sur son visage, de quoi sauver quelques meubles. Mais lorsqu'elle rêve par exemple de voir "Eva Lovelace in Romeo and Juliet", j'ai uniquement l'impression que c'est Hepburn qui tente d'impressionner, et non Eva qui s'enthousiasme vraiment pour son possible futur. En fait, Hepburn veut trop en faire mais ça ne fonctionne pas, et à force de chercher à voler la vedette à tout le monde, on perd l'innocence du personnage, théoriquement timide, comme le montre sa façon de dominer ses rivales snob rien que par sa prestance. D'autre part, elle force beaucoup trop dans son jeu, de quoi donner lieu à ses scènes vraiment maladroites comme sa gaucherie devant Adolphe Menjou, et sa désastreuse séquence d'ivresse lors de la soirée, où elle va même jusqu'à s'entrecouper dans sa griserie pour réciter du Shakespeare comme si de rien n'était! Et quand arrive la dernière partie, on la perd totalement car à force d'énoncer toutes ses répliques de la même manière, quelles que soient les émotions, il est impossible de faire la différence entre les moments où Eva est censée être elle-même, et ceux où elle se met volontairement en représentation. Quant à la fin, c'est tellement surjoué, à grand renfort de "I'm not afraid!" "I'm not afraid!", que ça me rappelle à quel point j'ai détesté l'actrice avant de parvenir à l'apprécier. En somme, si le charisme et la forte personnalité d'Hepburn pouvaient faire passer la pilule la première fois, la révision ne joue clairement pas en sa faveur.


May Robson - Lady for a Day: Comme pour Hepburn, je dois avouer que la révision de cette performance m'a assez déçu, alors que paradoxalement j'ai bien mieux aimé le film la seconde fois. En effet, j'ai d'abord regretté que l'intrigue ne laisse pas une plus grande marge de manœuvre à Apple Annie dans la seconde partie, mais le scénario est en fait bien équilibré, si bien que ce qui m'était d'abord apparu comme un problème me semble à présent tout à fait correct. En revanche, si May Robson m'avait beaucoup ému de prime abord, sans doute parce que je me fais souvent avoir dès qu'on me met du Tchaïkovski dans les oreilles, je l'ai trouvée beaucoup moins efficace cette fois-ci, principalement parce qu'Annie est en fin de compte moins un personnage qu'un symbole, et que l'actrice ne fait objectivement rien pour la rendre vraiment intéressante, se contentant de faire ce que lui demandent l'histoire et le réalisateur. C'est notamment flagrant dans la seconde partie où, au lieu de complexifier le personnage qui doit jouer à la grande dame d'un jour au beau milieu d'une vie de misère, elle reste simplement calme à parler de façon maternelle à sa fille, sans jamais donner de véritable épaisseur à l'héroïne qui n'est plus alors qu'un émouvant cliché. Dès lors, c'est bien le début du film qui donne tout son intérêt au personnage, puisque c'est à ce moment-là que May Robson a un véritable effort de composition à faire, exercice dont elle se sort malgré tout assez bien, ajoutant des gestes mécaniques pour renforcer la nervosité d'Annie, principalement dans l'épisode de la lettre dans le hall d'hôtel, où elle s'essuie par exemple le front avec son mouchoir. Elle use aussi d'un ton plus rauque pour se faire entendre, tout en restant très touchante en expliquant que la lettre vient de sa fille, mais très vite, la gestuelle devient de plus en plus agaçante, surtout quand l'actrice accentue de plus en plus ses grimaces pour quémander la pitié qu'on ressent pourtant naturellement pour elle vu sa détresse. Elle a donc beau rester franchement émouvante quand elle est filmée en pleine misère, tournant même la photo de sa fille pour boire en cachette, il faut quand même bien avouer qu'elle en fait trop par moment, de quoi priver la performance d'une partie de son potentiel. Ainsi, je suis quelque peu mitigé sur cette redécouverte, mais ça reste tout de même plutôt bon, et tout à fait divertissant, qu'on se rassure!


Ma sélection:

Tallulah Bankhead - Faithless: Sans surprise vu le titre du blog, il fallait bien que l'incomparable Tallulah fasse son entrée dans ma liste d'Oscars. Et quelle meilleure occasion pour ce faire que d'incarner un personnage très proche de ce qu'elle était en vrai, à savoir une riche héritière assoiffée de mondanités; rôle grâce auquel il lui est possible de faire éclater son incroyable charisme, à la différence de l'infâme The Cheat de l'année précédente? A ce titre, le rôle n'est peut-être pas très difficile pour elle, mais voir Tallulah faire du Tallulah de façon tout à fait décomplexée me réjouit toujours autant. Et elle s'y révèle si vivante et dynamique que je l'apprécie d'autant plus: sa façon théâtrale de prononcer ses répliques via son inimitable voix, sa manière de mimer l'ivresse, l'émotion qu'elle dégage dans les scènes dramatiques, mais surtout sa gaieté pétillante lors des moments de joie... tout m'a décidément beaucoup plu!


Kay Francis - Trouble in Paradise: Un rôle où Kay Francis n'est pour une fois pas pâlichonne et ne se laisse pas voler la vedette par ses partenaires, ça ne saurait passer inaperçu. Comme à son habitude, elle fait preuve d'une classe et d'une élégance redoutables qui servent à merveille ce personnage de grande bourgeoise parisienne fortunée. Mais c'est pourtant la moindre de ses qualités. En effet, comment n'être pas aussitôt charmé par sa manière de s'insérer dans l'univers de Lubitsch avec humour et grâce? Elle se révèle ainsi très drôle dans son attachement quelque peu naïf à un Herbert Marshall qu'elle croit pouvoir gouverner, avant de se montrer toute mignonne face à une Miriam Hopkins bien plus intéressée par ses bijoux que par sa conversation. Mais le meilleur, c'est surtout sa façon de se comporter avec ses prétendants, avec en point d'orgue sa réaction finale devant Marshall qui reste très réussie et tout à fait digne de ce très bon cru lubitschien.


Greta Garbo - Queen Christina: Comment les Oscars ont-ils pu snober cette performance? Voilà qui m'échappe. Parce que non seulement le film est un chef d'oeuvre, mais c'est aussi un très grand exploit de la Divine. En effet, pour une actrice aussi mythique, incarner une reine n'était que la moindre des choses, et Garbo a précisément la prestance et la gravité requises, au point d'en imposer à tout le monde dès qu'elle entre en scène. Et bien entendu, elle ne manque pas d'humaniser Christine en ajoutant beaucoup d'humour au rôle, comme en témoignent ses sourires chaleureux devant l'ambassadeur de France et plus encore le plaisir manifeste qu'elle a de se jouer de John Gilbert en se faisant passer pour un homme. Or, les relations entre ces deux partenaires de légende fonctionnent comme au temps de leurs grands succès du muet, et Garbo n'a jamais été aussi adorable que lorsqu'elle s'épanouit à ses côtés, avant de restituer à merveille la tonalité plus sombre de la dernière partie, faisant au passage preuve d'un érotisme latent en se débarbouillant par exemple dans la neige, ou en dégustant une grappe de raisins. Cependant, la dimension la plus intéressante de cette performance, c'est tout ce jeu sur les ambiguïtés sexuelles, Garbo trouvant le parfait équilibre entre masculin et féminin, au point d'être même plus à l'aise en femme dans des habits d'homme qu'en femme dans des robes de satin. Enfin, elle est également ravie d'interpréter un personnage bisexuel de façon totalement décomplexée, ce qui ajoute au charme de cette performance. Cerise sur le gâteau, les envolées lyriques caractéristiques de sa carrière passent très bien ici, car elle en use surtout quand la reine se met en scène, mais évite précisément d'en faire trop lors des moments dramatiques, d'où une compréhension parfaite du rôle. En somme, il s'agit là d'un rôle éblouissant dont la postérité a surtout retenu la célèbre séquence à la proue du navire, bien que ma préférée reste de loin celle des souvenirs dans la chambre d'auberge, où non contente d'être plus cinématographique que jamais, la Divine offre l'un des moments les plus humains et touchants de sa filmographie. En bref, voilà une nouvelle performance divine et brillante, avec ce personnage suédois exceptionnel qui va comme un gant à une actrice suédoise d'exception.


Miriam Hopkins - The Stranger's Return: Sachant qu'elle était à l'affiche de deux Lubitsch à la même période, sa nomination pour un King Vidor manifestement peu connu peut surprendre. Oui, mais voilà, j'adore ce film! Tout d'abord parce qu'il est intelligemment scénarisé: si l'on excepte les deux cousines stéréotypées comme jamais, tous les personnages piquent l'intérêt puisqu'aucun ne se résume à une unique dimension. Par ailleurs, j'aime beaucoup l'environnement rural dans lequel se déroule l'intrigue, et où prend forme la performance de Miriam Hopkins qui se montre redoutablement efficace à tous les niveaux. En effet, elle trouve le parfait équilibre entre fille de la campagne et citadine, la première étant constamment dotée de la classe acquise à la ville, la seconde sachant fort bien s'adapter à la société rurale qu'elle redécouvre, avec en point d'orgue la délicieuse scène de la tarte! Par ailleurs, c'est un réel plaisir de voir que l'actrice ne se pose jamais en victime alors qu'elle est plus ou moins traitée comme une étrangère dans sa propre famille, ce qui lui permet d'étoffer ses rapports avec les autres habitants de la ferme, dont Lionel Barrymore avec qui elle noue une complicité vivace qui débouche sur des échanges particulièrement savoureux, et impose la talentueuse Miriam comme une partenaire de choix pour le mythique acteur, peut-être même plus encore que Joan Crawford dans Grand Hotel. Il faut dire que ces retrouvailles autour d'une cigarette crépitent de façon fabuleuse, d'où mon enthousiasme! Enfin, Miriam prend le parti de ne pas faire montre de ses manières expansives plus habituelles, usant au contraire de toute sa subtilité pour bien correspondre à la tonalité du film, et renforcer par-là même la force de sa relation amoureuse avec Franchot Tone, ce qui est évidemment un très bon choix. On se retrouve alors avec un portrait très détaillé sur différents niveaux entre amour naissant, rapports familiaux, et réadaptation à un univers qu'on a quitté jadis, de quoi donner au spectateur le goût d'une performance complète fort bien analysée par l'actrice.


Barbara Stanwyck - The Bitter Tea of General Yen: A l'origine, je ne voulais pas la nommer cette année car, Barbara étant la plus grande actrice de composition du Golden Age, de nombreuses nominations l'attendent bien au chaud. Mais finalement, impossible de faire l'impasse sur elle, 1933 restant une très grande année pour la dame, avec Baby Face et The Bitter Tea à son actif. Et puis, je dois l'avouer, j'aime trop l'Asie, et par-là même tout ce qui me la rappelle, quand bien même il ne s'agit que d'un orientalisme très fantasmé, pour passer outre. Quoi qu'il en soit, Barbara est à nouveau excellente à tout point de vue dans un rôle complexe, en l'occurrence celui d'une fiancée de missionnaire en pleine confusion des sentiments après avoir été enlevée par un général chinois. Dans un phrasé moderne et médical, il s'agit d'une véritable analyse du syndrome de Stockholm que livre ici l'actrice, qui nourrit justement le rôle de façon progressive en résistant très nettement à son attirance envers Nils Asther, avant de céder peu à peu. Ainsi, c'est avec une facilité déconcertante qu'elle passe du dégoût au désir, ce que résume parfaitement la célèbre séquence onirique où l'on ressent toutes ces émotions contradictoires qui bouleversent l'héroïne. D'autre part, Barbara a également, et ce n'est évidemment pas une surprise, le charisme nécessaire pour porter ce personnage volontaire qui n'hésite pas à défendre la concubine de son ravisseur, et à proposer sa propre vie en échange tout en défiant le mystérieux général du regard. Elle ne perd donc jamais une occasion d'étoffer son rôle, mais comment en douter lorsqu'on a affaire à Barbara Stanwyck? Quoi qu'il en soit, elle rend l'héroïne réellement poignante, surtout dans les dernières séquences, tout en participant à la remise en cause des pires clichés d'un orientalisme fantasmé afin de donner une image positive des sentiments entre une Occidentale et un (hélas faux) Asiatique, ce qui est plutôt osé pour un film de 1933. On peut alors critiquer l'emploi d'un acteur danois pour le rôle du général, mais il n'en reste pas moins que cette histoire d'amour est bouleversante, et tout particulièrement grâce à Barbara.

Et maintenant que ma sélection vient d'être dévoilée, je réalise que les deux stars qui ont donné leur nom à ce blog se trouvent en concurrence directe. De même que les deux amies à la ville qu'étaient Kay Francis et Miriam Hopkins font également partie de la même sélection, mais pour deux films différents. Voilà qui devrait promettre quelques duels juteux, non? Nevertheless... the winner is...


Greta Garbo - Queen Christina

Ça a presque failli être Miriam Hopkins dont c'est le grand moment de gloire en premiers rôles, puisque outre l'excellent Stranger's Return, elle brille également dans deux divines comédies de Lubitsch (Trouble in Paradise et Design for Living), tout en se fondant à merveille dans l'univers osé et sordide de Jack La Rue dans le très sombre The Story of Temple Drake. Cependant, Miriam est assurée de gagner à d'autres reprises dans ma liste, et à la réflexion le rôle qui me séduit le plus cette année, dans un chef-d'oeuvre absolu qui plus est, c'est bel et bien Greta Garbo dans Queen Christina. Parce que mine de rien, c'est l'une des performances les plus éblouissantes du monde, et rien ne me semble plus divinement moderne que ce personnage ouvertement bisexuel qui se refuse aux convenances du mariage, avant de se laisser troubler par l'amour d'un bel ambassadeur, et c'est également une joie extrême de revoir le couple mythique Garbo/Gilbert se reformer à l'écran. Garbo l'emporte donc, l'alchimie entre son incomparable aura et le brillant de cette oeuvre étant l'un des plus grands chocs que le cinéma m'aura fait ressentir. Sur ce, Miriam Hopkins se classe seconde pour ses innombrables rôles merveilleux, Barbara troisième pour son héroïne troublante et troublée, Tallulah quatrième pour son dynamisme rafraîchissant, puis Kay Francis cinquième pour sa classe follement envoûtante.

Mais indéniablement, pas mal d'excellentes candidates auraient tout autant mérité d'entrer dans ma liste. Laissons Sylvia Fowler nous dire ce qu'il en est des performances...


dignes d'un Oscar: Greta Garbo (Queen Christina), Miriam Hopkins (Trouble in Paradise) (The Story of Temple Drake) (The Stranger's Return) (Design for Living): comme indiqué ci-dessus, cette année se joue pour moi entre ces deux extraordinaires candidates, l'avantage étant tout de même à Garbo pour ce rôle plus grandiose que jamais. Barbara Stanwyck (Baby Face): je ne la fais pas entrer dans ma sélection à cause du Capra, et parce que je préfère l'approche comique qu'avait Jean Harlow du personnage l'année précédente. N'en reste pas moins une savoureuse interprétation que Stanwyck sait rendre très crédible malgré cette histoire quelque peu improbable puisque traitée sur le mode tragique. Quant à The Bitter Tea of General Yen, la performance est trop exquise pour être ignorée, et ce dans un film noyé sous des flots de chinoiseries que j'aimerais toutes avoir dans mon salon. Et on ne se moque pas!


dignes d'une nomination: Tallulah Bankhead (Faithless), Kay Francis (Trouble in Paradise): voir ci-dessus. Mary Astor & Jean Harlow (Red Dust): parce qu'elles sont absolument géniales, surtout Harlow bénéficiant du meilleur rôle, pulvérisant par-là même les actrices du remake plus célébré. Marion Davies (Blondie of the Follies): un personnage attachant et une divine imitation de Garbo suffisent très largement à la faire entrer dans le top de l'année! Marlene Dietrich (Blonde Venus): à nouveau très bien mise en valeur par Sternberg, Marlene se révèle toujours aussi glaciale tout en réussissant à m'émouvoir dans sa descente aux enfers, surtout lorsqu'elle chante une berceuse avec une boîte à musique. Irene Dunne (Back Street): une excellente approche du registre de la déception amoureuse, où l'actrice sait comment rester intense en retenant ses larmes. Ann Harding & Myrna Loy (The Animal Kingdom): la première reste très théâtrale mais constamment juste, la seconde plus moderne et complexe, et le tout est vraiment très bon.


séduisantes: Katharine Hepburn (A Bill of Divorcement) (Morning Glory) (Little Women): finalement, je la préfère dans les deux rôles pour lesquels elle ne fut pas nommée, mention spéciale à Little Women où elle impose la version la plus mythique de Jo. May Robson (Lady for a Day): voir ci-dessus. Claudette Colbert (The Sign of the Cross): parce qu'elle pétille dans ce rôle de grande méchante, mais surtout parce qu'elle se baigne dans un bain de milkshake à moitié fermenté sous les projecteurs, et rien que pour ça, respect. Joan Crawford (Rain): une interprétation ratée à cause des scènes d'illumination religieuse, mais les autres parties concernant la prostituée tapageuse sont trop marquantes pour la classer plus bas. Marlene Dietrich (The Song of Songs): bien sûr, Marlene en paysanne prude et naïve n'a aucune crédibilité, mais ce nu artistique sur du Tchaïkovski fait toujours son petit effet. Irene Dunne (Ann Vickers) (No Other Woman) (If I Were Free): une actrice à nouveau excellente dans des films plus que ternes. Rien ne bat son sommet de la saison dans Back Street. Kay Francis (One Way Passage): un beau rôle bien dans l'air du temps, mais je la préfère vraiment chez Lubitsch. Helen Hayes (A Farewell to Arms): de tout ce que j'ai pu voir, son meilleur rôle des années 1930. Jeanette MacDonald (Love Me Tonight): sa tête sur l'air du "It's too perfect" est drôle, mais drôle! Mae West (I'm No Angel) (She Done Him Wrong): une gigantesque boule de charisme dans des films malheureusement ratés. Fay Wray (The Most Dangerous Game) (King Kong): parce qu'elle est tellement cool et rafraîchissante qu'on ne s'en lasse pas. Loretta Young (Man's Castle): un personnage extrêmement touchant qui prouve que l'actrice n'a pas été distinguée pour les bons rôles par l'Académie.


sans saveur: Ethel Barrymore (Rasputin and the Empress): un personnage naturellement ennuyeux que l'actrice n'a pas su rendre plus fascinant. Claudette Colbert (I Cover the Waterfront): sa performance n'est peut-être pas si mal, mais je n'ai aucune envie de revoir le film pour m'en refaire une idée. Ginger Rogers (Professional Sweetheart): Ginger en nuisette jetant des objets à la tête de ses partenaires, ça aurait dû être plus drôle.


ratées: Irene Dunne (Thirteen Women): ça vient peut-être davantage de ce film elliptique et brouillon au possible, mais il faut bien le reconnaître, là où Myrna Loy et même Peg Entwistle prennent la peine de donner un peu de consistance à leurs "personnages", Irene Dunne s'ennuie en permanence et ne parvient à exprimer aucune émotion, même lorsqu'elle prend conscience des menaces pesant sur elle. Diana Wynyard (Cavalcade): peut-être bon pour l'époque, et collant bien dans le fond avec cet esprit très victorien, mais beaucoup trop daté de nos jours pour pouvoir digérer quelque chose d'aussi pesant.


à découvrir: Joan Crawford (Dancing Lady), Bette Davis (Three on a Match) (The Cabin in the Cotton), Marie Dressler (Prosperity) (Tugboat Annie), Glenda Farrell (I Am a Fugitive from a Chain Gang), Lillian Gish (His Double Life), Jean Harlow (Bombshell), Helen Hayes (The White Sister), Katharine Hepburn (Christopher Strong), Mary Pickford (Secrets), Norma Shearer (Smilin' Through), Sylvia Sidney (Madame Butterfly), Barbara Stanwyck (Ladies They Talk About)

Et pour les inquiets, j'évoquerai Marie Dressler et Jean Harlow pour Dinner at Eight en parlant des seconds rôles.


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vendredi 15 juin 2012

Oscar de la meilleure actrice 1939

1939 étant à juste titre considérée comme l'année du meilleur millésime hollywoodien, il aurait été difficile à l'AMPAS de passer à côté d'un cru "cinq étoiles". D'ailleurs, les noms des candidates à l'honneur ne laissent aucun doute sur l'excellence de la production de cette année de choix:

* Bette Davis - Dark Victory
* Irene Dunne - Love Affair
* Greta Garbo - Ninotchka
* Greer Garson - Goodbye, Mr Chips
* Vivien Leigh - Gone with the Wind

Pour commencer, on retrouve trois des plus grands noms des années 1930, voire des années 1920 pour Garbo. La Divine, en effet, recevait alors sa quatrième nomination pour son premier rôle ouvertement comique, et ce même si la MGM était de plus en plus tentée de la pousser vers la sortie si l'on en croit la toujours sympathique Luise Rainer. De leur côté, Irene Dunne et Bette Davis avaient rapidement percé au cours de la décennie, chacune se payant le luxe de recevoir comme Garbo sa quatrième nomination, si l'on prend en compte la write-in nomination de Davis en 1934. Quoi qu'il en soit, cette dernière avait largement de l'avance puisqu'elle était la seule de cette sélection à être déjà oscarisée, à deux reprises qui plus est. De surcroît, il fut révélé après la cérémonie qu'elle faillit avoir un troisième prix tant recherché ce soir-là, puisque Vivien Leigh ne la distança que de quelques voix, bien que l'écart fût trop grand pour bénéficier d'un "tie" que Davis n'aurait peut-être pas autant désavoué que celui de Kate Hepburn en 1968... 

En face, Greer Garson et Vivien Leigh n'en étaient qu'à leur premier film à Hollywood, mais la première eut l'occasion de profiter d'une bonne campagne de la MGM au point d'être nommée dans la catégorie des premiers rôles, et de prendre le chemin d'une rapide popularité lors de la décennie suivante. Quant à Vivien Leigh, le succès fracassant de Gone with the Wind et la guerre de toutes les divas du cinéma pour décrocher ce rôle plus que juteux dans ce film synthèse de tout le Golden Age hollywoodien en faisaient clairement la favorite, même si la victoire n'était pas aussi évidente que ça: on a vu que Bette Davis lui a donné du fil à retordre, sans oublier que de son côté, Clark Gable fut battu lors de cette soirée, probablement parce qu'il avait déjà gagné cinq ans plus tôt.

Cependant, si cette sélection semble a priori irréprochable, me séduit-elle autant qu'elle le laisse croire de prime abord? La réponse ci-dessous!

Je retire:

Greer Garson dans Goodbye, Mr Chips: Ne vous y trompez pas, il s'agit d'une bonne performance que j'apprécie tout particulièrement. Garson s'y montre pétillante à souhait et apporte une fraîcheur bienvenue à un film somme toute assez terne, dont elle demeure le principal ornement face à un Robert Donat qui doit tout à son maquillage. J'irai même jusqu'à dire qu'il s'agit là de son meilleur rôle, et que tous les personnages similaires qu'elle a incarnés par la suite, à l'instar d'une Paula Ridgeway ou d'une Susie Parkington, n'ont été qu'une reprise de sa Katherine Chips en moins bien. Le problème, c'est qu'en dépit des stratégies de prestige du studio, la MGM ayant tout misé sur elle pour devenir la grande star de la nouvelle décennie; elle n'apparaît pas plus d'une demi-heure sur deux heures de film, aussi aurait-elle dû être nommée dans la catégorie seconds rôles, ce que je m'empresse de faire au profit de:


Ma sélection:

Bette Davis dans Dark Victory: Après s'être imposée comme l'une des plus grandes à Hollywood, Bette Davis a brillamment clos la décennie avec cet étincelant mélodrame qui compte parmi les meilleurs de sa riche carrière. D'emblée, elle crève l'écran dans la peau de cette jeune héritière éminemment sympathique avant de montrer avec une grande clarté l'évolution du personnage à mesure que son destin s'assombrit. Pour ce faire, elle s'appuie sur ses grands yeux expressifs afin de faire ressortir tout le sel de l'histoire, notamment dans le dernier quart d'heure monumental où elle fait parfaitement croire à ce qui lui arrive, tout en se payant le luxe de rester dynamique et spontanée, sans jamais verser dans le mode mélodramatique, sans quoi le film n'aurait évidemment pas fonctionné. Elle est également autant crédible en jeune mondaine insouciante qu'en jeune femme révoltée par les épreuves qu'elle doit affronter, jouant au passage admirablement bien l'ivresse lors d'une brillante scène de bar, et la transition vers une dernière partie où l'héroïne a enfin mûri est fort bien rendue, la scène de la grande révélation dans l'écurie étant justement la plus lumineuse du film. Par ailleurs, j'aime d'autant plus ce rôle particulier dans la carrière de Davis puisqu'une fois n'est pas coutume, elle fait preuve d'une bienveillance qui tranche avec ses personnages habituellement plus durs, de quoi prouver s'il en était encore besoin combien il lui est facile de s'illustrer dans n'importe quel registre. Sans doute son plus beau rôle, et son meilleur, après All About Eve.


Irene Dunne dans Love Affair: Bien qu'elle soit une actrice comique d'exception, Irene Dunne a toujours eu ma préférence dans des rôles plus tragiques, justement parce que sa grande force est de n'être jamais mélodramatique. Alors, quelle meilleure occasion pour moi de me réjouir que ce film où drame et comédie sont savamment dosés pour permettre à l'actrice de briller dans ce qui reste probablement son meilleur rôle? Elle s'y révèle excellente, faisant passer du rire aux larmes en un instant, tout en fusionnant en parfaite harmonie avec Charles Boyer afin de donner vie à ce couple élégant et attachant. Sans oublier qu'elle chante divinement bien, même si la qualité du son ne lui fait pas justice, entre l'émouvant Plaisir d'Amour en compagnie d'une Maria Ouspenskaya plus adorable que jamais, et le dynamique Sing My Heart; deux chants qui résument parfaitement l'état d'esprit du personnage et la beauté de cette oeuvre très réussie. Et pour citer une personne tout à fait sensée qui ferait accessoirement bien de m'envoyer sa RV n°5 cet été, j'ajouterai que le film "a beau ressortir certains des clichés les plus éculés au monde comme les petits orphelins qui découvrent le chant, ça passe tout seul. Comme si notre esprit critique était annihilé par la sensibilité d'Irene Dunne." Je suis on ne peut plus d'accord!


Greta Garbo dans Ninotchka: Garbo laughs! De fait, ce n'était pas nouveau: il n'y a qu'à revoir toutes ses scènes enjouées au début de Camille, Anna Karénine, The Painted Veil et tant d'autres pour se souvenir que la Divine pouvait faire preuve de beaucoup d'humour même en plein drame. Mais il est vrai que pour la première fois, Garbo se trouvait au coeur d'un film 100% comique, concrétisant par-là même le vieux rêve de Lubitsch qui souhaitait tourner avec elle depuis 1932. Garbo révéla d'ailleurs qu'il était le seul grand réalisateur à l'avoir jamais dirigée. Il faut dire que Lubitsch a justement su tirer parti de l'image publique de la Divine pour en faire le fil conducteur de sa délicieuse satire politique, dans laquelle l'actrice a visiblement pris beaucoup de plaisir à se jouer de son aura austère pour parodier à merveille les moeurs d'une Russie figée dans sa rigueur stalinienne, avant d'exploser dans cette fameuse scène du rire où elle plonge avec bonheur dans d'improbables excès afin de faire voler en éclat l'essence même de Garbo. Le rendu est totalement jouissif, et on en redemande!


Vivien Leigh dans Gone with the Wind: Scarlett, c'est le personnage qui tient une place à part dans mon panthéon cinématographique, puisque c'est le premier grand rôle du Golden Age qu'il m'ait été donné de découvrir. J'étais encore tout jeune collégien et m'étais retrouvé pour les vacances de Noël dans un lieu qui avait la bonne idée de diffuser TCM, si bien que j'avais passé ma semaine à guetter les multiples rediffusions du chef d'oeuvre hollywoodien par excellence. Le problème, c'est qu'une fois de retour chez moi, j'ai ressenti un énorme manque, et autant dire que je me suis précipité à Virgin pour étancher ma soif dans les plus brefs délais. Tout à ma joie de retrouver Clark Gable et Hattie McDaniel, j'étais surtout ravi de pouvoir enfin déclarer tout mon amour à Vivien Leigh sans avoir à dépendre du bon vouloir d'un programme télévisé, tant j'avais été ébloui par le degré de perfection atteint par elle, via son charisme monstre, sa facilité déconcertante à prendre un accent sudiste et à montrer toutes les facettes d'un personnage complexe extrêmement bien développé, sa manière de prendre à bras le corps les aspects les plus sombres de Scarlett et de faire totalement adhérer à ses actions pourtant pas toujours éthiques, et sa capacité à dominer un casting de luxe et à porter quatre heures de fiction sur ses épaules. D'ailleurs, on pardonnera à Selznick d'avoir fait tourner en bourrique les plus grandes divas américaines tant la miraculeuse Vivien est indépassable.


Claudette Colbert dans Midnight: Après avoir ébloui toute la décennie par ses rôles comiques souvent très drôles, Claudette Colbert a trouvé en 1939 sa meilleure comédie, avec un personnage qui, plus qu'aucune autre héroïne précédente, définit le mieux l'essence même de l'actrice. Délicieusement drôle, diablement élégante, Colbert est absolument idéale dans les atours de cette Cendrillon des temps modernes parvenant à se faire une place dans l'aristocratie parisienne par son esprit aiguisé et ses reparties piquantes. Son air faussement détaché alors qu'on est à deux doigts de la démasquer, son rire fort mal placé en apprenant le sort de l'archiduchesse de Mendola, la découverte de sa suite au Ritz, sa façon de flirter avec Francis Lederer sous le nez d'une Mary Astor incrédule: "I give you three guesses", "I don't suppose you could show me"; ou encore l'alchimie de l'actrice avec un trio d'acteurs en très grande forme (Astor, Don Ameche et John Barrymore) : tout est absolument brillant dans cette performance qui ajoute à l'éclat de ce qui reste l'une des trois plus grandes comédies des 30's, avec My Man Godfrey et The Women, et constitue sans aucun doute le plus grand rôle comique de l'immense Claudette Colbert.


Voilà pour mes cinq candidates. Et maintenant, découvrons tout de suite le nom de la grande gagnante, j'ai nommé...

Bette Davis pour Dark Victory.

Bon. J'ai beau adorer mes cinq candidates et avoir une furieuse envie de toutes les récompenser, mais je vais finalement faire une infidélité à mes premières amours et sacrer une performance moins iconique que celle que vous attendez tous, Bette Davis trouvant avec Dark Victory son plus beau rôle ante Eve, avec ce personnage qui me touche énormément. Evidemment, la glorieuse et mythique Vivien Leigh se classe seconde, et c'est Irene Dunne qui monte sur le podium, tant son rôle plein de grâce m'a enchanté. Vient ensuite Claudette Colbert pour la plus grande performance de sa carrière dans le registre comique, de quoi me faire dire qu'il est vraiment dommage que toutes mes candidates aient, à peu de choses près, décidé d'être au meilleur de leur forme au même moment. Garbo est quant à elle excellente, évidemment, mais elle brille dans de très nombreux autres films, aussi peut-elle bien se contenter de fermer la marche pour une fois.

Conclusion : le classement de Sylvia Fowler, suivant la liste des performances...

dignes d'un Oscar : Claudette Colbert (Midnight), Bette Davis (Dark Victory), Irene Dunne (Love Affair)Greta Garbo (Ninotchka)Vivien Leigh (Gone with the Wind): voir ci-dessus.




dignes d'une nomination : Jean Arthur (Mr. Smith Goes to Washington) (Only Angels Have Wings): une actrice qui crève l'écran dans deux films excellents. Claudette Colbert (It's a Wonderful World): le film n'est pas très prestigieux, mais Claudette Colbert y livre une excellente performance du niveau de Midnight, et pulvérise à l'occasion tout ce qui existe alentour, dont James Stewart! Bette Davis (The Private Lives of Elizabeth and Essex): un nouveau rôle puissant et fabuleux, parfaitement humanisé sous ce côté pompeux et théâtral. Deanna Durbin (First Love) (Three Smart Girls Grow Up): deux films irrésistiblement charmants où Deanna Darling impose sa personnalité intrépide sous ses airs de jeune fille de bonne famille. Miriam Hopkins (The Old Maid): j'ai longtemps adoré ce rôle où non contente d'éclipser Bette Davis, Miriam trouve un bon équilibre entre compassion et sournoiserie. Dommage qu'elle surjoue beaucoup avec ses expressions faciales même quand ça n'a pas lieu d'être, comme si on la sentait anxieuse de voler la vedette à son ennemie. Merle Oberon (Wuthering Heights): une approche très théâtrale du personnage qui m'avait laissé de marbre la première fois, mais qui à la réflexion est absolument iconique et mérite amplement son statut légendaire. Norma Shearer (The Women): Jungle Red!


séduisantes : Constance Bennett (Topper Takes a Trip): l'actrice y est trop charmante pour être classée plus bas même si les enjeux du rôle ne volent vraiment pas haut. Ingrid Bergman (Intermezzo): c'est réussi bien qu'il manque un je ne sais quoi qui aurait pu rendre cette performance plus dynamique. Malgré tout, le charme et la personnalité de Bergman percent trop pour ne pas s'y intéresser un minimum. Mary Boland (Boy Trouble): l'actrice n'y est pas mauvaise du tout (le pourrait-elle de toute façon?), même si le film n'a franchement aucun intérêt. Bette Davis (The Old Maid) un rôle émouvant sur la fin, mais ce côté masochiste de vieille fille aigrie semble parfois un peu trop forcé. Et puis Miriam steals the show! Marlene Dietrich (Destry Rides Again): une actrice habituellement glaciale en saloonkeeper d'une hilarante vulgarité... A se tordre les côtes! Judy Garland (The Wizard of Oz) (Babes in Arms): après avoir mis longtemps à aimer son film le plus iconique, je réalise surtout que Judy se défend très bien et porte toute l'histoire par son charisme et sa vivacité. Elle est même plutôt adéquate dans ses expressions béates enfantines, qui collent parfaitement au propos et ne sont jamais surjouées. Carole Lombard (In Name Only) (Made for Each Other): Carole est impeccable dans ces deux films, mais elle aurait quand même été bien plus à sa place dans une comédie. Myrna Loy (Another Thin Man): un mauvais film, certes, mais le charmant humour du divin couple Myrna Loy / William Powell est heureusement intact. La même année, Myrna est aussi mémorable dans The Rains Came, même si elle aurait pu faire plus d'effort pour bien montrer l'évolution du personnage. Sa performance n'en reste pas moins très digne d'intérêt. Ginger Rogers (The Story of Vernon and Irene Castle): drôle et touchante à la fois, l'actrice y livre peut-être sa meilleure performance parmi ses duos avec Astaire. Norma Shearer (Idiot's Delight): même si le film laisse un peu perplexe, Norma en diva russophone n'est à manquer sous aucun prétexte! Barbara Stanwyck (Golden Boy): le seul personnage digeste de ce propos ennuyeux. Et toujours concernant Barbara, citons encore (Union Pacific), un film qui m'a terriblement déçu rapport à sa palme tardive, mais indéniablement, Barbara y est encore irréprochable, quoique pas sous son meilleur jour.


sans saveurJoan Crawford (The Ice Follies of 1939): soyons honnêtes: Crawford y livre une bonne performance qu'on ne peut pas vraiment déclasser mais... qu'est-elle allée faire dans cette galère?! Jeanette MacDonald (Broadway Serenade): elle n'y est certainement pas mauvaise, mais elle ne fait rien pour tirer son épingle du jeu dans un drame conjugal déjà totalement dépassé pour l'époque. Anna Neagle (Nurse Edith Cavell): de la part d'une actrice de cette trempe, on était en droit d'attendre plus qu'une performance aussi unidimensionnelle que celle-ci. Maureen O'Hara (Jamaica Inn) (The Hunchback of Notre Dame): Maureen a beau y être la plus charmante de toutes, on sent bien qu'elle est encore trop inexpérimentée pour tirer son épingle du jeu, malgré quelques éclairs de charisme qui illuminent par moments son Esméralda. Paulette Goddard (The Cat and the Canary): comme le reste du casting, elle s'écrase entièrement devant... Gale Sondergaard. Priscilla Lane (Dust Be My Destiny): honnêtement, elle est dynamique, mais de là à être vraiment mémorable... non. La très mauvaise qualité du film en général (et on ne parle pas de restauration!) n'aide pas non plus. Ginger Rogers (Bachelor Mother): en soi, c'est une bonne performance, mais ç'aurait été bien meilleur si le scénario avait su comment l'exploiter. Ann Sothern (Maisie): bon, elle est très cool, certes, mais le film est loin de lui faire honneur. Loretta Young (Eternally Yours): Loretta est sans doute le meilleur élément de ce naufrage, mais ce n'est malheureusement pas un exploit pour autant.


ratées : Ida Lupino (The Adventures of Sherlock Holmes): à l'image du film, sa performance est atrocement laborieuse. Ginger Rogers (5th Avenue Girl): ceci est une comédie, on sourit maintenant! Shirley Temple (The Little Princess): oui, bon, c'est pas parce qu'on a dix ans qu'il faut se montrer aussi mauvaise devant une caméra!


ultra crispantes : Claudette Colbert (Drums Along the Mohawk): "Aaaaah! Un Indien dans la maison! Au secours!" Bonita Granville (Nancy Drew... Reporter) (Nancy Drew and the Hidden Staircase): Oups. Autant elle était mémorable car bien dirigée par Wyler dans These Three, autant son atterrissage en catastrophe sur la case "séries B" révèle une bien piètre actrice.


à découvrir : Irene Dunne (When Tomorrow Comes), Greer Garson (Remember?), Margaret Lockwood (Rulers of the Sea), Myrna Loy (Lucky Night)




performances remarquables en langue étrangère : c'est l'année où les States ont pu découvrir leur future idole, Ingrid Bergman, dans En kvinnas ansikte, bien qu'elle n'y égale pas le brillant de Joan Crawford dans le remake de 1941.




lundi 4 juin 2012

Oscar de la meilleure actrice 1934

Au programme :
Claudette Colbert – It Happened One Night
Grace Moore – One Night of Love
Norma Shearer – The Barretts of Wimpole Street
Bette Davis – Of Human Bondage (write-in nomination)

Un cru pour le moins original puisqu'on eut enfin une majorité de performances ouvertement comiques parmi les trois officielles. Grace Moore profita ainsi de sa notoriété au Metropolitan pour tenir un nouveau rôle dans une comédie musicale destinée à mettre en valeur ses talents de cantatrice, tandis que Claudette Colbert eut l'occasion de surfer sur le succès inattendu d'It Happened One Night, laissant les nombreuses actrices ayant décliné le personnage d'Ellie Andrews se mordre les doigts. En face, Norma Shearer étala une fois de plus à la face du monde son statut de première dame de la MGM en étant nommée pour un prestigieux biopic sur Elizabeth Barrett Browning, avec tout ce qu'il faut de drame et de romance pour constituer un exemple très représentatif des choix habituels de l'Académie. 

Mais c'était sans compter sur Bette Davis, dont la performance fracassante en garce finie connut un franc succès en vertu duquel on cria au scandale lorsqu'elle fut snobée. Les remous furent tels qu'on autorisa exceptionnellement les write-in nominations (à savoir écrire n'importe quel nom sur les bulletins de vote), de quoi permettre à l'actrice de finir troisième lors de cette cérémonie, juste derrière Shearer, et de voir s'ouvrir la voie toute tracée d'un futur prix de consolation dès l'année suivante. De son côté, Colbert était tellement persuadée de perdre face à Davis qu'elle crut préférable de s'embarquer pour un périple en train, avant d'être rappelée in extremis pour aller chercher son Oscar en tenue de voyageuse, mortifiée à l'idée que les spectateurs aient pu penser qu'elle voulait faire là son petit effet. 

Autrement, le détail des votes, pour une fois dévoilé, est assez facile à expliquer. It Happened One Night fut un si grand succès que l'ensemble transforma ses cinq nominations en victoires, happant l'interprétation de Clark Gable et Claudette Colbert dans le même mouvement, sans compter que l'actrice était, la même année, au générique d'Imitation of Life et Cleopatra, tous nommés au titre de meilleur film. Impossible, dès lors, de faire l'impasse sur elle dans trois rôles de premier plan très variés. Norma Shearer finit quant à elle seconde grâce au soutien de la MGM, à son statut d'actrice prestigieuse déjà couronnée d'un Oscar quatre ans plus tôt, et à la nature même de son rôle. En revanche, Bette Davis ne bénéficiait pas d'un support prestigieux pour concourir, mais sa performance seule suffit à en faire la grande révélation de l'année, et si elle arriva malgré tout derrière Shearer dans la course, c'est aussi parce que les pontes de la Warner, peu ravis de voir leur future star triompher pour un film d'un autre studio, firent pression sur les électeurs pour qu'ils ne votent pas pour elle, en guise de leçon. Avec six nominations dont trois principales, One Night of Love aurait toutefois pu donner plus de visibilité à Grace Moore, mais en définitive, ses trois rivales hollywoodiennes étaient trop importantes face à une actrice décidément trop "côte Est" pour les goûts de l'Académie.

Ceci dit, cette sélection à l'historique très fourni est-elle aussi digne d'intérêt que le remue-ménage provoqué par la place de Bette Davis dans la liste le laisse supposer? Pour ainsi dire, oui, même si...

... je retire : 

Grace Moore – One Night of Love : Évidemment, la présence d'une cantatrice au générique d'une comédie musicale n'est pas sans allécher et faire naître de vives attentes, mais au bout du compte, on est quand même un peu déçu par le résultat, quoique le film divertisse constamment, sans toutefois mériter une nomination comme best picture l'année des veuve et divorcée joyeuses. En fait, la performance de Grace Moore participe pleinement du charme de la comédie en question, tant elle est sympathique, mais force est de reconnaître que son interprétation fonctionne principalement parce que le film regorge de séquences musicales qui lui permettent de rester dans son élément. A ce niveau, elle s'en sort très bien, notamment pour son vibrato sur The Last Rose of Summer et ses hautes notes de Madame Butterfly, même si je reconnais ne pas être le plus grand admirateur de sa voix et de ses aigus, préférant même la version de Ciribiribin par Jeanette MacDonald, pourtant moins bonne cantatrice. Ceci dit, la qualité sonore ne fait pas totalement honneur à la voix de Grace Moore, qui impressionne néanmoins. Cependant, si l'on enlève les passages chantés, que reste-t-il de la performance d'actrice à proprement parler? Réponse: une interprétation correcte mais sans génie, malgré tous les efforts de la dame pour faire rire. Ainsi, elle a beau faire tourner sa coloc en la poussant par les épaules, regarder en coin pour vérifier que leur logeuse ne va pas leur demander le loyer tout de suite, ou encore gesticuler par terre avec une pile de livres sur le ventre, qu'elle compte de façon rigolote avec le doigt avant de dire non sans humour: "Oh, I'm quite comfortable, thank you!", ça fait juste sourire, sans être vraiment très drôle en soi. Par ailleurs, la seconde partie où l'héroïne, qui a enfin suivi une formation, devient une cantatrice de renommée internationale, intéresse finalement de moins en moins : le portrait reste tout de même cohérent mais le personnage perd un peu en charme par rapport à l'amusante première partie italienne, et l'actrice n'a plus, en définitive, qu'à jouer son propre rôle. En somme, une performance d'une séduction certaine, mais il n'y a qu'à voir ce que fit Deanna Durbin à quinze ans seulement à peine deux ans plus tard pour réaliser que Grace Moore n'avait pas un vrai talent inné pour la comédie.


Norma Shearer – The Barretts of Wimpole Street : J'avais vraiment oublié à quel point cette oeuvre est en fait un vrai bon film, réalisé avec beaucoup d'élégance et porté par une histoire très intéressante de relations familiales sauce victorienne, et une récente visite vient également de faire remonter la performance de Norma Shearer dans mon estime, même si tout n'est pas éblouissant pour autant. En fait, il y a bel et bien des maladresses, l'actrice éprouvant toujours le besoin de partir dans des envolées lyriques pas très heureuses, et ce sans même faire la différence entre exaltation et tristesse, d'où quelques répliques massacrées: "Italyyyy!" "Roooome!", surtout quand elle prend une voix chantante dans les moments les plus sombres: "That's not truuuue!" "But Papaaaaaa..." Pour bien enfoncer le clou, elle a aussi la fâcheuse manie de joindre constamment les mains pour s'exprimer, puis de les secouer dans tous les sens pour marquer ses phrases les plus fortes, y allant parfois d'un geste par syllabe: stop! Dès lors, cet assemblage gestuel et vocal assez bizarre peut facilement donner une impression de mièvrerie, d'autant que les sourires qu'elle lance à son soupirant frôlent souvent la fadeur. Cependant, la performance contient tout de même de très bons aspects. Tout d'abord, Norma crée une très bonne complicité avec sa fratrie, qu'elle sait toujours rassurer en toute sobriété, et elle n'hésite pas à faire preuve d'une bonne dose de personnalité quand la menace paternelle s'éloigne, ayant l'air épanoui au piano et plaisantant avec beaucoup de charme aux côtés de Fredric March, lors d'une promenade au parc. Mais ce sont bien évidemment ses rapports avec Charles Laughton qui donnent toute sa force à l'intrigue, et après avoir bien suggéré la peur que lui inspire son imposant partenaire, Norma donne de plus en plus de force à l'héroïne, quitte à jouer la colère de façon un peu trop théâtrale mais tout à fait impressionnante. Néanmoins, c'est lorsqu'elle décide de rester très calme qu'interviennent ses meilleures scènes, comme le souligne cette séquence extrêmement bien jouée où Elizabeth refuse de donner sa Bible à son père d'un simple "No", la voix calme et le regard défiant, de quoi faire regretter qu'elle ne reste pas dans ce registre par la suite. Une performance à double tranchant, en quelque sorte, mais dont les éléments positifs sont si marquants que le tout reste plus que digne d'intérêt, à l'image de la fameuse séquence où Elizabeth marche pour la première fois: ce n'est pas très convaincant, mais frappant.


Bette Davis – Of Human Bondage : Honnêtement, ce rôle clef dans sa filmographie n'est pas mon favori, mais je reconnais volontiers la force de l'actrice pour avoir osé prendre un risque quasi suicidaire pour l'époque, à savoir incarner une garce vulgaire sans aucune moralité quand le goût était aux femmes aimables plus ou moins victimes du destin. Malheureusement, son jeu trop forcé ne lui permet pas de révéler tout son génie ou de faire preuve de subtilité, et même si Davis incarne cette garce de façon plutôt réaliste, à grand renfort de sourires sadiques et de regards provocateurs, c'est tellement appuyé que le tout semble beaucoup trop daté. Par bonheur, il y a de bons moments, notamment sa façon de séduire Leslie Howard en se délectant d'une coupe de champagne; mais surtout cette scène volcanique, où l'héroïne explose dans un accès de fureur hystérique pour manifester son dégoût et son mépris, scène où sa présence à l'écran mange alors tout ce qui peut exister alentour, de quoi la faire effectivement entrer dans la légende. Cependant, vous ne m'enlèverez pas de l'esprit que cette interprétation est trop passée de mode pour se maintenir longtemps face à la concurrence.


Claudette Colbert – It Happened One Night : A l'origine, je n'avais pas accroché au film, mais le deuxième essai a été parfaitement concluant, notamment pour cette première heure brillantissime dotée de multiples éclairs de génie, comme les murs de Jéricho ou la scène de l'auto-stop. Dès lors, j'ai également revu à la hausse mon opinion sur les acteurs, et si j'avais trouvé Colbert un peu moins inspirée qu'à l'accoutumée la première fois, je suis à présent tout à fait séduit par sa performance pleine d'humour et d'esprit. Je maintiens toutefois que le rythme s'essouffle quelque peu dans le dernier tiers de l'intrigue, d'où l'impression que l'actrice manque de son peps habituel lorsque Ellie est de retour à New York, mais objectivement, le charme qu'elle déploie durant son périple marque davantage les esprits, si bien qu'on reste entièrement diverti par son rôle d'une fraîcheur incomparable. Cependant, je retire tout de même cette nomination, tout simplement parce que je préfère Colbert dans d'autres comédies plus piquantes de sa riche carrière, et surtout parce qu'elle était à l'affiche de deux autres œuvres nommées pour l'Oscar du meilleur film cette année-là. Donc si vous êtes fans de l'actrice, cessez de vous alarmer, et regardez plutôt...


... Ma sélection :

Claudette Colbert – Cleopatra : Si Colbert a avoué avoir tourné It Happened One Night à contrecœur, on sent en revanche qu'elle a pris un pied énorme à tourner ce rôle, plaisir qu'elle nous fait amplement partager. Sa Cléopâtre est d'un charisme à couper le souffle, mais elle est surtout d'une gaillardise déconcertante: "rions au nez de César alors qu'on joue notre destin sur un tapis oriental"; ce qui me met d'emblée dans de très bonnes dispositions à son égard. Par ailleurs, Colbert est également excellente quant à montrer les aspects les plus sombres de la reine, qu'il s'agisse d'empoisonner qui de droit, ou de mourir avec une dignité hors du commun dans la plus grande magnificence, si bien qu'on est constamment impressionné par ce mélange de drame et de séduction que portent les décors titanesques de cette Egypte fantasmée. Sans compter que l'actrice fait preuve d'une élégance et d'une autorité si naturelles qu'elle est absolument idéale pour incarner un personnage royal. En bref, elle met en oeuvre toute la prestance et la majesté requises par une mise en scène grandiose, mêlant à une dureté politique des sentiments humains bienvenus pour complexifier le personnage, tout ça en se montrant encore plus pétillante que dans le Capra!


Greta Garbo – The Painted Veil : Encore une grande performance de la Divine, certes pas la plus iconique, mais l'une de ses meilleures néanmoins. Dès le début, j'ai adoré son personnage vif, plein d'humour et d'esprit, qui ose dire les choses en face à son entourage. En outre, ses yeux traduisent très bien l'ennui d'une jeune femme qui a besoin d'évasion et savent parfaitement gagner l'empathie du spectateur: on est donc tout à fait sous le charme de cette héroïne, et ce d'autant plus à mesure qu'elle se trouve étreinte par des affaires sentimentales qu'elle n'aurait pas souhaité aussi sérieuses. Garbo ne manque d'ailleurs pas de dominer le casting que ce soit par son jeu excellent jusqu'à la dernière seconde, ou par son visage radieux auquel même un horrible turban ne parvient pas à faire de tort. Et si je suis autant louangeur, c'est aussi parce que le film se révèle bien plus réussi que prévu. Certes, on a toujours affaire à un exotisme asiatique quelque peu exubérant, mais on est loin des outrances de Wild Orchids où l'intrigue n'était que prétexte à un orientalisme suffocant: les scènes de danses sont ici adroitement intégrées à un récit qu'elles soutiennent sans chercher à le submerger: on peut respirer! En clair, une réussite totale de la Divine dans un très bon film qui gagnerait à être plus reconnu.


Jeanette MacDonald – The Merry Widow : J'ai beau haïr le cabotinage épuisant de Maurice Chevalier, il n'en reste pas moins que les collaborations Lubitsch-MacDonald font partie de mes découvertes cinématographiques les plus réjouissantes de ces dernières années, a fortiori celle-ci où l'héroïne domine complètement son partenaire masculin. Contrairement à Grace Moore, elle a compris que réussir ses morceaux d'opérette ne suffit pas, aussi n'hésite-t-elle guère à se mettre au service de l'intrigue en adaptant son jeu aux circonstances. On croit dès lors autant à la veuve pudibonde pas si prude que ça dans le fond, qu'à la courtisane hilarante qui feint de ne pas reconnaître le comte Danilo, ou sourit à des inconnus chez Maxim's, et autant dire que la métamorphose est divinement jubilatoire. De surcroît, Jeanette évite de verser dans un excès de sentimentalisme en se montrant forte dès qu'il le faut, et comme à son habitude, elle accentue l'humour d'une situation par ses grands regards exagérés pour notre plus grand plaisir. Je suis un fan inconditionnel de la dame, je l'aime dans à peu près tout ce qu'elle a fait, mais cette veuve joyeuse est probablement son meilleur rôle.


Margaret Sullavan - Little Man, What Now? Un film de Borzage qui rappelle fortement son sublime Man's Castle de l'année précédente, c'est déjà très bon signe. Et autant je n'avais pas trop aimé Margaret Sullavan dans sa collaboration la plus célèbre avec le même réalisateur, Three Comrades (quoique ça mérite fortement une redécouverte), autant je suis d'accord pour aller dans le sens de la plupart des cinéphiles en la distinguant pour ce rôle extrêmement touchant. Il est vrai qu'elle est justement lumineuse et que, tout en restant légèrement en retrait par rapport à Douglass Montgomery, sa présence et sa retenue renforcent l'aspect émotionnel de l'histoire. En fait, il n'y a qu'une chose que je n'aime pas chez Lämmchen, à savoir sa façon de toujours sourire quand on la courtise ouvertement, mais ça n'enlève rien à la performance de l'actrice qui, sans grand moment démonstratif, parvient à faire passer du rire au larmes au gré des événements, sans jamais rien perdre de ses espérances. Et même lorsqu'elle joue sur le mode de la culpabilité à propos des repas, elle sait comment rester parfaitement attachante, ce qui fait un bien fou pour moi qui déteste généralement les regards de chien battu. Sincèrement, il s'agit là d'une très belle performance, toute de délicatesse, à laquelle il est bien difficile de résister.


Loretta Young – Born to Be Bad : Nommée et récompensée à la fin des années 1940 pour des rôles de dames très aimables collant bien à sa réputation de grande prêtresse de la Vertu hollywoodienne, Loretta Young a pourtant connu son heure de gloire une quinzaine d'années plus tôt, et c'est finalement pour un rôle de contre-emploi qui lui permet de casser son image trop pure que je choisis de la distinguer. Il faut dire que par rapport aux mères sacrificielles qui inondaient l'écran à l'époque, Letty Strong constitue un rôle juteux bien plus tranchant de mère assez irresponsable doublée d'une femme fatale manipulatrice toutefois dotée de sentiments et d'une bonne dose d'humanité, ce qui est en soi un véritable challenge pour une actrice. Ses détracteurs lui reprochent néanmoins de livrer une imitation trop "crawfordienne", mais dans les faits, Loretta a du charisme à revendre du haut de ses vingt et un ans, comme l'indique sa façon d'écouter ses partenaires avec attention en les regardant fixement, une cigarette toujours allumée au bout des doigts. Son phrasé est aussi assez vulgaire, de quoi ajouter au répondant du personnage, et sa manière de se présenter en robe mal agrafée, ou de marcher à quatre pattes pour chercher de quoi fumer, rend totalement crédible cette composition. Elle sait également sortir de ses gonds avec son fils, le giflant lorsqu'il touche à ses affaires, et l'empoignant de force pour l'obliger à s'enfuir avec elle après lui avoir parlé sèchement et l'avoir dominé de tout son charisme, et elle fait aussi preuve d'une vraie dureté face à Cary Grant dans leurs échanges houleux. Mais Loretta n'oublie jamais le côté humain de Letty, et crée par-là même une bonne complicité avec son fils, avec qui elle se réconcilie toujours très vite, sans parler de son dernier dialogue avec Grant, extrêmement bien joué lorsqu'elle tente de jouer à plus dure qu'elle n'est pour qu'il la laisse partir, d'où un regard final très émouvant qui laisse une très vive impression. On ne reprochera alors à l'actrice que deux choses, d'une part de ne pas savoir pleurer malgré ses efforts pour faire monter les larmes, et d'autre part de surjouer un peu dans le registre de la colère désespérée. Mais autrement, la performance est vraiment réussie, y compris sur le plan de la séduction assumée, et Loretta fait tout à fait honneur à ce personnage brut mais en définitive attachant.

Voilà pour mes nominations qui se révèlent finalement assez variées: deux femmes contemporaines, l'une manipulatrice, l'autre lumineuse, un personnage historique et mythique, une héroïne de Somerset Maugham dans une ambiance orientalisante à souhait et une cantatrice tout droit sortie d'une opérette viennoise empreinte de Lubitsch touch. Et l'heureuse élue est...


Claudette Colbert – Cleopatra

Certes, elle se promène en petite tenue léopard dans Four Frightened People à la même époque. Mais il n'en reste pas moins que Claudette Colbert est incontestablement l'actrice de l'année, en raison de ses trois très grands rôles dans trois des meilleurs films de 1934. Ainsi, non contente de charmer en permanence dans It Happenend One Night, ou d'émouvoir avec force retenue dans l'excellent Imitation of Life, elle se démarque surtout pour sa brillante composition du plus célèbre personnage de l'Antiquité. A mon sens, il s'agit là de la meilleure interprétation de Cléopâtre: Liz Taylor et Vivien Leigh ont beau avoir apporté leur pierre à l'édifice, Colbert reste la souveraine définitive, grâce à une performance distillée en un savant mélange d'humour, de drame et d'héroïsme. Et l'actrice s'est visiblement fait plaisir sur le tournage, à l'instar de The Sign of the Cross deux ans plus tôt: je l'aime d'autant plus! Partant de là, je classe Jeanette MacDonald seconde pour un très grand rôle comique et musical que je suis terriblement navré de ne pouvoir oscariser, Greta Garbo troisième pour son sommet le plus méconnu, Loretta Young quatrième pour sa mère célibataire prête à tout pour sortir de la pauvreté, et Margaret Sullavan cinquième pour son extraordinaire force de caractère dans une situation économique également peu enviable.

Et maintenant, la conclusion selon Sylvia Fowler, en fonction des performances...

dignes d'un Oscar : Claudette Colbert (Cleopatra) (Imitation of Life), Greta Garbo (The Painted Veil), Jeanette MacDonald (The Merry Widow)



dignes d'une nominationClaudette Colbert (It Happened One Night), Margaret Sullavan (Little Man, What Now?), Loretta Young (Born to Be Bad): voir ci-dessus. Marlene Dietrich (The Scarlet Empress): si l'on a du mal à croire à la Sophie candide du début, Catherine est en revanche phénoménale, tant le charisme de Marlene reflète idéalement la noblesse de ce chef-d'oeuvre ultime du septième art. Carole Lombard (Twentieth Century), Ginger Rogers (The Gay Divorcee): deux rôles comiques plein d'entrain qui me ravissent à chaque visite.


séduisantes : Ann Dvorak & Bette Davis (Housewife): deux grandes actrices dans un film sympathique bien loin de leurs sommets. Bette Davis (Of Human Bondage): pour sa furieuse prise de risque, même si le résultat reste mitigé. Irene Dunne (This Man Is Mine) (Sweet Adeline): une actrice de génie qui parvient toujours à tirer son épingle du jeu dans des films assez ternes. Myrna Loy (The Thin Man): un film franchement médiocre heureusement sauvé par le délicieux humour et l'incomparable alchimie du couple Myrna Loy / William Powell. Grace Moore (One Night of Love), Norma Shearer (The Barretts of Wimpole Street): plus de détails ci-dessus.


sans saveur : Claudette Colbert (Four Frightened People): je classe ce rôle ici car on ne peut pas dire que ce soit raté, l'actrice étant au moins rigolote dans la plupart de ses scènes, même si cette comédie aux relents racistes ne laisse pas de me consterner. Heureusement que la flèche n'était pas empoisonnée. Miriam Hopkins (She Loves Me Not): pourquoi diable travestir l'héroïne en homme si c'est pour la garder enfermée dans une pièce sans exploiter cette ambiguïté notoire? Peut-être parce que le déguisement n'a décidément rien de crédible. Et toujours concernant Miriam, citons également The Richest Girl in the World où, hormis une amusante scène montrant l'actrice faire chavirer une barque au beau milieu d'un lac, l'ensemble du film se noie dans l'ennui le plus total, preuve que 1934 ne fut vraiment pas une bonne année pour Hopkins, qui a notamment refusé It Happened One Night et s'en est mordu les doigts. Jeanette MacDonald (The Cat and the Fiddle): comparé au travail d'un Ramon Novarro étonnamment pâlot, un excellent rôle. Comparé au reste de sa carrière, l'un de ses personnages les plus oubliables.


à découvrir : Constance Bennett (Moulin Rouge), Joan Blondell (Dames), Mary Boland (Six of a Kind), Joan Crawford (Sadie McKee), Miriam Hopkins (All of Me), Carole Lombard (Bolero), Myrna Loy (Evelyn Prentice) (Manhattan Melodrama), Sylvia Sidney (Thirty Day Princess), Evelyn Venable (Death Takes a Holiday), Mae West (Belle of the Nineties)


grandes performances en langue étrangère : Ruan Lingyu (Shen nu): un rôle muet qui sous ses airs de déjà vu n'en reste pas moins la plus grande performance de l'année, et de loin.