jeudi 30 août 2012

Oscar du second rôle féminin 1931/1932

D'une façon générale, la césure des premières cérémonies des Oscars m'arrange plutôt pas mal. Mais dans cette catégorie particulière, c'est le drame, et j'aurais finalement adoré délimiter 1931 de 1932 afin de récompenser deux de mes performances favorites interprétées par deux de mes actrices de prédilection. Malheureusement, il me faudra faire un choix, mais l'avantage est qu'on aura ainsi droit à un duel des plus palpitants. Sans compter que mes autres candidates peuvent se targuer de leur donner pas mal de fil à retordre. Voici donc sans plus tarder ma sélection pour les seconds rôles de cette saison:

Enid Bennett - Waterloo Bridge: Si vous avez lu mon article sur les premiers rôles de cette même saison, vous savez que Waterloo Bridge est l'un de mes chefs-d'oeuvre favoris, et que tous les membres de la distribution sont en tout point excellents, y compris les plus secondaires. Enid Bennett n'échappe pas à la règle puisqu'en reprenant le personnage standard de la mère prête à tout pour protéger son fils d'un mariage hasardeux, elle parvient à sortir totalement des clichés pour aller vers des directions inattendues, tout en s'imposant à la fois comme le plus beau second rôle de l'histoire. Ainsi, elle trouve le parfait équilibre entre un snobisme typique de sa société et un fond bien plus compréhensif qu'on pourrait le croire, réussissant à incarner toute la complexité d'une grande dame à la fois compatissante mais jamais dépourvue de la hauteur nécessaire à son rang et à son époque. En outre, elle ajoute au rôle de multiples détails qui le nuancent excellemment, comme lorsqu'elle essuie une larme qui commence à poindre après sa grande scène avec Mae Clarke, à qui elle vient pourtant de faire comprendre qu'elle ne la soutiendra pas, dans un élan de condescendance qui ne s'assume pas totalement. En somme, l'actrice australienne est absolument irréprochable en lady plus britannique que jamais, l'illusion et la complexité sont totales, de quoi ajouter au sublime de ce joyau de James Whale.


Joan Crawford - Grand Hotel: Beaucoup la font gagner la même année en tant que leading actress, mais comme je l'ai précisé précédemment, je conçois plus Flaemmchen comme un rôle secondaire. Non que j'atténue la portée du personnage, mais au sein d'une distribution aussi riche qui se focalise légèrement plus sur les Barrymore, je reste sur l'idée d'un supporting role. Quoi qu'il en soit, ça ne change rien à l'éblouissement qu'est Crawford dans ce film. En effet, ce personnage de jeune secrétaire dynamique est une véritable bouffée d'air frais dans un lieu uniquement vu de l'intérieur, surtout si on la compare à l'autre femme constamment cloîtrée qu'incarne une Garbo loin de ses meilleurs rôles. De surcroît, Flaemmchen a des rapports privilégiés avec les trois protagonistes masculins, notamment les frères Barrymore, et Crawford ne se laisse justement jamais démonter par ces immenses talents. Ainsi, j'apprécie tout particulièrement ses échanges avec Lionel grâce auxquels l'actrice se révèle compatissante et touchante à souhait, mais j'avoue avoir été davantage saisi par sa rencontre étincelante avec John, lors de laquelle tout est dit: à la fois amusée, aguicheuse, lucide et distinguée, Crawford s'y montre absolument fabuleuse et impose, plus qu'aucune autre actrice de son temps, l'image définitive de la jeune fille pauvre mais charmante qui aimerait bien s'élever dans la société. Mais l'essentiel dans tout ça, c'est qu'après avoir vu sa performance ici, on oublierait presque qu'il y a aussi Garbo dans le casting, c'est dire.


Ann Dvorak - Scarface: Au sein d'un univers essentiellement masculin, Ann Dvorak incarne le personnage le plus humain, et donc celui auquel on prête le plus attention. Il faut dire que face à des gangsters assez rigides, son charme et sa spontanéité séduisent à la seconde où elle entre en scène, sans compter que j'aime beaucoup la personnalité dont elle fait preuve tout au long du film, en ne se laissant notamment pas démonter par un George Raft particulièrement glacial. Ainsi, j'apprécie tout particulièrement la façon dont s'établit leur liaison, ce qui ne m'empêche pas d'être également très touché par les rapports de Cesca avec Paul Muni. Et c'est justement le fait d'être prise entre deux feux qui rend l'héroïne si captivante, de quoi conduire l'actrice à retranscrire avec excellence la terreur et le désarroi de Cesca lors de la scène clef où son frère confronte son époux. Mais le meilleur dans ce rôle, c'est évidemment la scène finale ou Dvorak apparaît les larmes aux yeux, un revolver à la main, avant de retourner sa veste et de s'imposer comme le personnage qui m'a le plus marqué. A part ça, comme pour Crawford, la limite leading/supporting est relativement floue, mais bien qu'elle soit le principal personnage féminin du film, elle sert à mon avis plus de soutien à Paul Muni et George Raft qu'elle n'est un sujet en tant que tel. Mais sa performance n'en est pas moins sublime.


Miriam Hopkins - Dr. Jekyll & Mr. Hyde: 1931, c'est Miriam Hopkins dans son très bon premier millésime, mais s'il fallait ne retenir qu'un unique rôle pour cette année, ce serait bien entendu son Ivy Pearson, archétype ultime de la prostituée victorienne aux prises avec les diverses facettes du bien et du mal incarnées par Fredric March. Quand on pense que Miriam a failli décliner le rôle d'Ivy pour jouer Muriel Carew, la fiancée bien élevée du Dr. Jekyll, on ne peut que se féliciter qu'elle ait finalement changé d'avis, car il s'agit très certainement du rôle de sa vie. En effet, elle crève l'écran à chacune de ses apparitions, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Fredric March s'est plaint de voir sa partenaire lui voler toutes ses scènes. Il faut dire que pour incarner Ivy, l'actrice n'y est pas allée de main morte, bien consciente que sa composition outrancière ne pouvait que mettre en valeur son visage expressif sur lequel se dessinent à peu près toutes les émotions imaginables dans le même laps de temps. Miriam esquisse dès lors à la perfection les diverses facettes de l'héroïne, qu'il s'agisse du plaisir ressenti par la vision d'un jeune docteur attrayant devant lequel Ivy se lance dans un strip-tease torride, de la gouaille d'une prostituée bien décidée à arrondir ses fins de mois dans des bars miteux, de l'horreur teintée d'incrédulité que lui inspire sa rencontre avec Hyde, de la détresse de la femme battue ou du réconfort empreint de reconnaissance lors de ses retrouvailles avec Jekyll : bref, voilà une performance des plus réussies. D'ailleurs, rien n'est plus vrai que cette phrase, mythique, qu'elle lance à Fredric March après s'être dévêtue: "Come back... Soon... Come back..." Voilà qui donne plus que jamais envie d'y revenir, indeed.


Genevieve Tobin - One Hour with You: Huit ans après Marie Prevost dans The Marriage Circle, ce fut au tour de Genevieve Tobin d'incarner une délicieuse briseuse de ménage sous la direction de Lubitsch. Comme on peut s'en douter, le rendu est un bonheur total. Ainsi, Mitzi est une grande bourgeoise nymphomane drôlissime qui a plus d'un tour dans son sac, et rien n'est plus hilarant que de la voir jouer à la mourante pour attirer Maurice Chevalier dans son antre, ou de la surprendre en train d'échanger des étiquettes sur une table pour faire tourner Jeanette MacDonald en bourrique. A ce propos, je suis absolument fan des rapports entre les deux femmes qui illustrent à merveille toutes les mesquineries de la notion de "meilleure amie", Jeanette n'étant pas en reste elle non plus ("Aaaah! Didn't I tell you? Didn't I tell you?!"), même si l'on ne peut que regretter l'absence d'une confrontation finale entre les deux amies comme ce fut le cas dans The Marriage Circle. Il est donc un peu dommage de voir Genevieve Tobin quitter la scène assez rapidement, mais elle a néanmoins le temps de laisser des marques durables dans le film, avec en point d'orgue les sourires absolument jubilatoires et quasi machiavéliques qu'elle jette à Maurice Chevalier pour le séduire, ou à son mari lorsqu'elle quitte le domicile. Sans oublier bien sûr sa façon de danser pour mieux se rapprocher de sa proie. Bref, c'est drôle à souhait, en on voudrait que ça ne finisse jamais!

Bien, ça, c'est dit. Et pour en revenir à ce que je disais au départ, il va de soi que si 1931 avait été séparée de 1932 aux Oscars, j'aurais bien entendu voté pour Miriam puis pour Joan d'une année à l'autre. Malheureusement, il me faut faire un choix... Mais c'est dur! Alors... Joan Crawford ou Miriam Hopkins? Miriam Hopkins ou Joan Crawford? The winner is...


Miriam Hopkins - Dr. Jekyll & Mr. Hyde

Finalement, après avoir revu les deux films pour mieux les départager, mes doutes se sont décantés et Miriam s'impose de façon irrémédiable. Diantre! Est-il possible de décrire le spectacle que fut pour moi son Ivy Pearson? Parce que, comment vous dire... sa performance est absolument divine et surtout extatique. J'ai ressenti une extraordinaire empathie pour le personnage, et force m'est de reconnaître que je suis complètement sous le charme de ses lancers de jarretelles lorsqu'elle tente de séduire Fredric March. C'est tout à fait osé, et voilà une scène qui me fait plus que jamais apprécier tout le sel de ces films Pre-Code. Et puis, parlons net, Dr. Jekyll & Mr. Hyde est un chef d'oeuvre incontestable qui aurait largement dû gagner l'Oscar du meilleur film, si bien que Grand Hotel ne peut que souffrir de la comparaison. De surcroît, 1931/1932 s'avère être plus que jamais LE moment Miriam Hopkins, parce que non contente d'éblouir à tout instant dans Dr. Jekyll & Mr. Hyde, elle est également merveilleuse dans 24 Hours, et divinement drôle et adorable dans The Smiling Lieutenant. Qu'on se mette donc bien d'accord: je suis fou amoureux de Joan Crawford dans Grand Hotel, mais je me damnerais pour Miriam Hopkins dans tous les rôles susnommés. J'ajouterai même que son Ivy Pearson est probablement LE meilleur second rôle de l'histoire du cinéma. Come back... Soon... Come back... Come back...

En troisième place, je mets Ann Dvorak qui a su me toucher comme jamais, avant de classer Enid Bennett quatrième pour son personnage multidimensionnel, puis Genevieve Tobin cinquième parce que, même si elle est très drôle, il est un peu dommage qu'elle n'ait pas davantage de scènes dans la seconde partie. Quant aux honorable mentions, on pourrait envisager Rose Hobart dans Dr. Jekyll & Mr. Hyde puisque bien qu'étant dotée du personnage le moins captivant, elle parvient tout de même à rendre Muriel Carew tout à fait intéressante avec le peu qui lui est donné, sans jamais en faire une petite chose victorienne trop bien élevée. D'autre part, il conviendrait encore de citer Anna May Wong dans Shanghai Express puisqu'elle est loin de passer inaperçue, même si son rôle est réduit à portion congrue. Et, mise à jour oblige, n'oublions pas Louise Carter en mère dévastée dans Broken Lullaby.

Et à part ça, juste pour le fun, ne manquer la tête de Rafaela Ottiano dans As You Desire Me sous aucun prétexte. Non que ce soit particulièrement réussi (le film étant lui même problématique, n'est-ce pas, Greta Gharblow?), mais voir l'air hyper concentré de Rafaela pour révéler que "Oui, c'est elle, je l'ai reconnue en regardant de près... Mais... Non, ce n'est pas elle, je l'ai reconnue en regardant de près!" est quand même bien mythique!

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