dimanche 23 juin 2013

Ye Shang Hai


Ce soir, petit interlude musical histoire de varier les plaisirs et de partager enfin ma passion singulière pour... le shidaiqu. Apparemment, c'est un genre qui n'a pas très bonne presse dans mon entourage, dans la mesure où dès qu'un de mes amis me surprend en train d'écouter ces refrains populaires, on me réplique inlassablement que l'on "croirait des chansons Disney"! Certes, je conçois que ces musiques paraissent fortement datées, voire poussiéreuses, pour les auditeurs contemporains, mais il n'empêche que pour moi, ces irrésistibles mélanges de sonorités typiquement chinoises et de standards occidentaux comptent parmi les choses qui me réjouissent le plus, m'évoquant par-là même une métropole de rêve qui continue toujours de me faire fantasmer.

Quoi qu'il en soit, j'étais jusqu'alors tout triste de n'avoir personne avec qui partager cette passion, hormis deux supercentenaires shanghaïennes recluses dans leur tour d'ivoire, mais ce mois de juin aura finalement mis fin à mes souffrances, pour mon plus grand soulagement. En effet, l'une de mes amies a fini par m'avouer noir sur blanc qu'elle se surprenait à apprécier Li Xianglan, "malgré les castagnettes en arrière-plan", ce qui me fait autant plaisir que de voir le génie de Claudette Colbert reconnu à sa juste valeur! Et à peine quelques jours plus tard, j'ai grillé la coloc d'une autre amie en train d'écouter de la pop chinoise des années 1980! Et c'est moi qu'on accuse de kitsch ou de vieilleries!

Ainsi, pour fêter ces deux événements qui renforcent ma légitimité d'auditeur de shidaiqu, je vous propose de rendre hommage aux "sept grandes étoiles de la chanson chinoise", celles qui régnèrent sur la vie culturelle de Shanghai des années 1930 et 1940, avant que les joyeux drilles du parti communiste ne dénoncent le mandopop comme un genre "pornographique", rien que ça, et ne contraignent les artistes à se plier aux canons maoistes, ou à s'exiler à Hong Kong pour continuer leur carrière [car même si le Kuomintang n'était pas plus enviable, les artistes avaient me semble-t-il une plus grande liberté d'expression dans cette période,  pour le peu que j'en sache]. Et pour faire d'une pierre deux coups, ce top 7 me servira également à vous expliquer pourquoi je voue un véritable culte aux actrices chinoises, la plupart des chanteuses en question ayant également rayonné au cinéma.

So, let's go :

7 ~ Gong Qiuxia (龔秋霞)

Peut-être davantage connue pour ses rôles au cinéma, pour lesquels elle fut surnommée "Grande soeur", Gong Qiuxia reste l'archétype définitif de l'épouse modèle, par opposition à Bai Kwong qui, dans leurs diverses collaborations bénéficiait des rôles de séductrices. Pour le peu que je la connaisse dans ce domaine-là, Gong Qiuxia n'a visiblement pas eu la carrière la plus intéressante, mais je lui conserve tout de même beaucoup d'intérêt pour ses chansons sympathiques, dont cette kitschissime, mais délicieuse, avalanche de roses (Qiang Wei Chu Chu Kai).


6 ~ Wu Ying Yin (吳鶯音)

Comme l'indique son surnom officiel, la "Reine de la Voix Nasale" n'est pas dotée d'une voix qui me soit automatiquement agréable. Toutefois, Wu Ying Yin reste indéniablement une grande performeuse : formée en autodidacte, et ayant dû chanter sous un pseudonyme afin de dissimuler ses activités à ses parents réfractaires (qui n'ont pas reconnu sa voix avant que sa véritable identité fût révélée!), Wu Ying Yin était encore en activité à l'âge de 80 ans, en faisant notamment de nombreuses apparition sur les plateaux TV. Parmi ses meilleures chansons, des airs comme Nan Feng (Le Vent du Sud) ou Hen Bu Zhong Qing Zai Dang Nian (quelque chose sur la haine et l'amour que je ne sais traduire) sont des must absolus, tandis que Ming Yue Qiang Li Ji Xiang Si et Lang Ru Chun Ri Feng, s'avèrent idéaux pour donner de l'inspiration lorsque l'on cuisine chinois.

5 ~ Bai Hong (白虹)

Ayant démarré très tôt dans le métier des arts, Bai Hong s'est rapidement imposée comme l'une des stars majeures des années 1930 sous le pseudonyme très chinois "d'Arc-en-ciel blanc". Il faut dire que parmi toutes les chanteuses évoquées ici, elle est une de celles dont la technique était la plus aguerrie, ce qui lui permit de remporter de nombreux concours de chant, et de gagner les faveurs d'un public toujours plus croissant. Parmi ses nombreux sommets, citons l'excellent Intoxicating Lipstick, le relaxant Ke Lin De Ba Ba Ma Ma et surtout l'intemporel Farewell Shasha. Par la suite, elle poursuivit sa carrière dans des films de propagande maoiste, mais fut vivement inquiétée lors de la Révolution culturelle, à cause de ses activités dans l'industrie artistique d'avant-guerre.


4 ~ Bai Kwong (白光)

Côté cinégénie, Bai Kwong, ou Bai Guang, c'est selon, reste probablement l'actrice la plus fascinante de sa génération, nul n'ayant pu à ce jour égaler son immense beauté, ou son érotisme savamment suggéré par toute une série de photos sublimes, quoiqu'un peu kitsch par moments. Mais pour moi, Bai Kwong occupe une place encore plus importante dans ma passion pour les grandes stars chinoises, puisque c'est à travers elle que j'ai découvert l'âge d'or de Shanghai, musicalement et cinématographiquement. S'étant choisi le surnom de "Rayon Blanc" pour marquer son désir d'être comme les rais lumineux allant du projecteur à l'écran, elle fut en effet l'une des stars majeures des films chinois, se révélant au passage fort bonne actrice dans le Bégonia Rouge Sang et Une Femme oubliée, comme en témoignent ses sublimes regards évaporés. Toutefois, c'est surtout pour sa carrière musicale qu'elle reste la plus connue, sa voix rauque faisant des merveilles, et tranchant délicieusement parmi la kyrielle de voix haut perchées de ses consœurs. Dans ce que j'aime le plus, on retiendra surtout ses Nuits d'Automne, Qiang, sa Réminiscence des Vieux Rêves, ou encore Pu Tao Mei Jiu. S'étant retirée à Hong Kong dès 1949, elle continua de gagner des fans dans le monde entier (et reste très populaire au Portugal, entre autres), lesquels viennent toujours en nombre se recueillir sur sa tombe particulièrement originale qui joue sans relâche ses meilleures chansons. 


3 ~ Li Xianglan (李香蘭)

Autre star absolument incontournable, Li Xianglan a la particularité d'avoir eu le destin le plus mouvementé. Née en Mandchourie de parents japonais, Yoshiko Ōtaka mena tout d'abord une carrière en Chine au service de la propagande nippone, incarnant des jeunes filles chinoises nationalistes découvrant l'amour dans les bras de l'occupant, au gré de scenarii très politiques et pas vraiment féministes. Ceci ne l'empêcha nullement de gagner une rapide popularité malgré son statut très controversé, notoriété que l'on entend à travers ses irrésistibles chansons portées par sa voix de colorature, depuis l'incontournable Shina no yoru (Nuits de Chine), déjà popularisé au Japon par Hamako Watanabe, et repris plus tard en Chinois par Yao Lee; à sa reprise de Tian Ya Ge Nu, en passant par Le Second rêveLa Vendeuse de bonbonsKong Gui Can Meng, Xin Qu et Ge Wu Jin Xiao, bien que sa plus belle réussite reste l'indépassable Ye Lai Xiang. Ayant échappé de peu à une condamnation à mort pour trahison à la fin de la guerre (mais ayant toujours eu la nationalité japonaise, elle ne pouvait être officiellement "traître à la patrie chinoise"), elle tenta ensuite une vaine carrière à Hollywood sous le pseudonyme "Shirley Yamaguchi", se contentant de rôles transparents dans des films médiocres, dont House of Bamboo et l'infâme Navy Wife, dans lequel Joan Bennett tente d'apprendre à ses domestiques nippons comment faire marcher des ustensiles ménagers... De retour au Japon, elle mena une carrière politique et continue aujourd'hui encore de regretter son rôle prégnant dans la propagande nippone en temps de guerre.


2 ~ Yao Lee (姚莉)

Elle aussi toujours là pour témoigner des beaux jours de la chanson chinoise, Yao Lee est sans doute celle de cette liste qui eut le registre les plus étoffé, puisque après s'être fait connaître pour sa "Voix d'Argent" dans les années 1940, elle changea de tessiture une fois exilée à Hong Kong, afin de mieux correspondre aux standards américains qui faisaient alors fureur, en prenant notamment modèle sur Patti Page. Ainsi, dans la première partie de sa carrière, on remarquera notamment Tong Ming Yuan Yang et Chun De Meng, la version chinoise de Shina no yoru, mais surtout le réjouissant Rose I Love You qui suffit à me mettre de bonne humeur le matin. Quant à ses chansons plus occidentales, je conserve beaucoup d'affection pour Yi Qu Nan Wang, Ai De Guang Rong, Wu Ban Lei Ying pour les plus jazzy, ou encore Ai De Kai Shi, pour les amateurs de petites kitscheries 1950's. Avec ces nombreux succès à son actif, elle reste l'une des plus grandes chanteuses de ces années-là, et l'une des plus prolifiques, aussi.


1 ~ Zhou Xuan (周璇)

Forcément. Obligatoirement. Incontestablement. Zhou Xuan restera à jamais la plus grande star chinoise du XXe siècle. Actrice formidable doublée d'une chanteuse exceptionnelle, d'où son surnom de "Voix d'Or", Zhou Xuan est sans aucun doute la plus fascinante d'entre toutes, depuis ses malheurs personnels à son aura rayonnante, en passant par tous ces films incontournables pour tout cinéphile qui se respecte, avec en point d'orgue Malu tianshi (Les Anges du boulevard), où elle incarne une jeune fille des bas quartiers en proie aux difficultés de la vie, et plus encore Qing gong mi shi (L'histoire secrète de la cour des Qing), le sommet de sa carrière, où elle joue la tragique concubine Zhen favorable à une modernisation du pays, contrairement à la terrible impératrice Cixi qui tente coûte que coûte de conserver le pouvoir pour son usage personnel. Dans ce film, Zhou Xuan est absolument irrésistible, faisant preuve de légèreté dans les scènes qui la voient revêtir des pantalons ou se servir d'un appareil photo au beau milieu de cette cour étouffante, avant d'être divinement sublime dans sa grande scène finale, tout cela sans jamais oublier de crever l'écran. Mais si j'aime autant cette artiste d'exception, c'est aussi parce que ses chansons comptent parmi les meilleures de ma collection, au point qu'il m'est difficile de dresser une liste exhaustive de ses plus grands succès tant j'ai tendance à tout aimer d'elle, depuis ses airs traditionnels comme l'incontournable Tian Ya Ge Nu, sa chanson phare, ou sa Chanson des Quatre Saisons, à ses airs plus typiquement issus du shidaiqu, tels Bu Bian De Xin, Nightlife in Shanghai, Les Feuilles jaunes de l'Automne, Les Matins désagréables, Ke Ai De Zao Chen (poke Edvard), L'envol du phœnix, Qian Cheng Wan Li, ou encore Le Printemps dans une ruelle sombre et Clair de Lune. Et puis, on peut encore entendre Zhou Xuan dans le plus beau film de ces dernières années, un petit quelque chose du nom de... In The Mood for Love, ce qui est plus que jamais signe d'une très grande classe!


En espérant que ces musiques auront su vous plaire et que vous aimerez dorénavant le shidaiqu!


4 commentaires:

  1. Bravo pour cet article passionnant et très documenté! Je me permets d'ajouter un lien vers un morceau de Zhou Xuan que vous n'avez pas mentionné, il s'agit d'un enregistrement d'un de ses 78 tours Pathé posté sur mon blog : http://ceintsdebakelite.com/2011/08/28/zhou-xuan/

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    1. Merci à vous! Je n'ai aucun mérite pour la doc puisque Youtube et Wikipédia ont été mes amis, en plus des quelques films que j'ai eu la chance de voir récemment. Quoi qu'il en soit, votre enregistrement est délicieux, je ne l'ai pas mentionné car si je devais lister toutes les musiques de Zhou Xuan qui me plaisent, il me faudrait au moins dix pages! Merci pour les découvertes passionnantes que je viens de faire sur votre blog, tous ces morceaux me ravissent amplement.

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  2. Merci pour cet article,
    je me suis retrouvée à écouter de la vieille musique chinoise un peu par hasard. Je fais partie d'une association, et j'ai pensé lancer un projet concernant la musique chinoise. C'est alors que j'ai découvert et appris à apprécier la variété de cette musique. Ca me fait toujours plaisir de tomber sur des articles comme le tien!
    Mathilde

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    1. Merci pour le compliment. Ça me fait penser qu'il me faudra mettre l'article à jour: j'ai découvert de nouvelles chansons depuis la publication, et certaines méritent vraiment d'être citées! Je pense en particulier à Cupid's Arrow et Searching for Serenity de Zhou Xuan, et à la chanson des soupirs de Bai Kwong dans Une Femme oubliée...

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