mardi 19 mars 2013

Oscar de la meilleure actrice 1930/1931

Au programme :

* Marlene Dietrich - Morocco
* Marie Dressler - Min and Bill
* Irene Dunne - Cimarron
* Ann Harding - Holiday
* Norma Shearer - A Free Soul

En remportant l'Oscar à 63 ans, Marie Dressler devint l'actrice la plus âgée à avoir été primée dans cette catégorie, avant qu'une certaine Katharine Hepburn ne la détrône 50 ans plus tard. Sa victoire record et atypique, dans cet univers qui n'a traditionnellement d'yeux que pour la jeunesse de ces dames, ne fut cependant pas une vraie surprise à l'époque. Marie Dressler était en effet respectée par la profession depuis la période du muet, Min and Bill avait été un gigantesque succès public, et l'actrice allait se voir couronnée n°1 au box-office pour les deux ans à venir. Il semblait donc tout à fait logique de l'homologuer pour son film le plus lucratif où, cerise sur le gâteau, elle livrait une performance tapageuse mi-comique mi-tragique qui ne pouvait qu'impressionner les spectateurs, preuve qu'à mon sens son Oscar récompensait avant tout ce rôle très précis plus que l'ensemble de sa carrière, comme il est de coutume de le dire. Face à elle, la principale concurrence vint probablement de Marlene Dietrich, tout juste importée d'Allemagne afin que la Paramount ait sa propre "Garbo", et dont l'immense bruit fait autour de l'Ange bleu et de ses collaborations américaines avec Sternberg tournées dans la foulée, Morocco et Dishonored, rendait l'actrice tout particulièrement incontournable cette année. Ceci dit, Irene Dunne non plus ne pouvait être ignorée: Cimarron avait, comme Min and Bill, rapporté 2 millions de dollars au box-office; l'Académie l'avait distingué dans sept catégories pour cette cérémonie, et le film repartit finalement avec le titre suprême de Best Picture. Mais cela n'enlève rien au poids dont jouissait Norma Shearer dans l'industrie, et rien ne dit que sa victoire quelques mois plus tôt l'ait empêchée de glaner un bon nombre de voix. Nul doute qu'Ann Harding eut certainement plus de difficultés à faire aussi forte impression que ses concurrentes, ce qui ne veut bien sûr pas dire qu'elle ait démérité, loin de là, car...

Je retire :

Irene Dunne - Cimarron: Non mais non mais non mais non. Déjà que supporter un très mauvais western sur la durée est au-delà du possible (les allusions racistes certes témoins d'une époque n'aident pas, sans parler de ces ellipses totalement incongrues), inutile de préciser que subir deux heures d'Irene Dunne constipée est carrément suicidaire. Parce qu'à l'image du casting, son personnage est une gigantesque caricature antipathique à l'extrême et l'actrice ne fait malheureusement rien pour la rendre un minimum intéressante. Alors, il faut tout de même reconnaître qu'elle tente de bien restituer l'esprit de l'héroïne et qu'elle ne se repose jamais sur ses lauriers: chaque plan la montre par exemple faire quelque chose avec ses expressions, même quand elle est en arrière-plan, preuve s'il en est qu'Irene Dunne se révélait déjà très bonne actrice dès son second film. Mais si c'est pour aboutir à une Sabra qui geint, parfois de façon totalement grotesque devant une horde de cowboys armés, à une Sabra constamment renfrognée dans la première partie, ou à une Sabra qui se vautre parfois dans les pires inflexions machistes ou puritaines du propos, autant recentrer l'histoire sur Dixie Lee, le seul personnage à peu près cool de l'ensemble. Et ce n'est pas la dernière scène où l'actrice parvient à donner un peu de classe à l'héroïne, malgré une perruque la vieillissant de façon ridicule, qui efface le souvenir d'une performance des plus crispantes.


Norma Shearer - A Free Soul: En visionnant ce film dans la foulée de The Divorcee, il me semblait de prime abord avoir préféré le piquant de Jan Ashe face à la parfois un peu plus fade Jerry Martin; bien qu'en terme de films The Divorcee m'eût davantage diverti tout en étant néanmoins bien loin d'être un chef-d'oeuvre. Deux ans plus tard, je reste sur la même opinion sur le second point, A Free Soul devenant toujours aussi vite épuisant lors du visionnage, mais j'ai finalement changé d'avis sur les performances de Shearer. En effet, si j'ai pu regretter que Jerry ne soit pas un personnage entièrement bien maîtrisé, quoique très solide, le travail de l'actrice n'en reste pas moins beaucoup plus cohérent dans The Divorcee. Car Jan Ashe a beau crever l'écran dès qu'il s'agit pour Shearer de capter l'essence de cette socialite libre et épanouie, force est de reconnaître que dans les moments les plus sombres, l'actrice part dans un sur-jeu pas très bien calculé, à grand renfort de mains qui s'agitent, qui tranche beaucoup trop avec les passages plus charmants basés sur un naturel plus convaincant. En outre, les rapports de l'héroïne avec ses partenaires masculins ne parviennent jamais à refléter une once de crédibilité: en mettant de côté l'approche de Lionel Barrymore qui me semble trop datée pour me permettre d'être vraiment objectif, Leslie Howard et Clark Gable peinent à atteindre le degré d'aisance d'un Robert Montgomery qui, lui, a toujours fait des merveilles face à Mrs. MGM. Ceci dit, Shearer reste définitivement le meilleur atout du film, et rien que pour ça, elle est loin d'avoir volé sa nomination.


Marie Dressler - Min and Bill: Si vous aimez les performances calmes où tout vient de l'intérieur, passez votre chemin. En effet, Marie Dressler en fait ici des tonnes et des tonnes, mais comme il s'agit bien entendu d'une actrice associée au vaudeville, elle ne donne jamais l'impression que sa débauche d'effets soit autre chose que parfaitement voulue. Elle peut donc se montrer extrême dans tous les registres, il n'en reste pas moins que c'est avec une facilité déconcertante qu'elle est capable d'émouvoir ou de faire sourire en fonction des séquences, rendant au passage l'héroïne honnêtement humaine malgré son comportement outrancier, si bien qu'il est difficile de ne pas ressentir beaucoup de sympathie pour elle à la fin. En tout cas, l'actrice crève l'écran de façon monumentale et croque toutes ses scènes à pleines dents, mais à force de trop en faire à chaque fois, elle en vient à lasser de façon très rapide, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas aidée par ce film franchement médiocre, dont elle est néanmoins l'élément le plus brillant. Finalement, la clef de cette performance réside dans les dernières scènes, où une super Min vengeresse et protectrice se bat bec et ongles pour l'avenir de celle à qui elle a consacré sa vie, avant de briser les cœurs par un dernier regard lumineux d'une beauté à couper le souffle. C'est d'ailleurs ce regard phénoménal qui rend ce rôle, pourtant pas le meilleur de l'actrice, aussi marquant.


Ma sélection :

Marlene Dietrich - Morocco: Malgré les images absolument mythiques de Marlene en costume embrassant l'une des clientes du cabaret sur la bouche, la performance en tant que telle reste éminemment contentieuse, puisqu'on a d'un côté les admirateurs éblouis par le fascinant charisme de la dame, et de l'autre ceux pour qui l'actrice ne joue pas vraiment, et se contente d'être très joliment filmée par Sternberg. Sans aucune surprise, je fais partie des premiers, mais j'entends tout à fait les arguments des détracteurs: oui, il est clair que Marlene a essentiellement suivi les ordres de son mentor sans afficher une palette expressive très étendue, et concrètement, elle ne joue qu'avec deux expressions, très justement exécutées ceci dit, via ses regards désabusés un peu déprimés et ses sourires légèrement ironiques. Cependant, nous parlons bien de Marlene Dietrich, la femme la plus charismatique de l'univers et l'une des mes idoles absolues, que je vénère depuis l'enfance, ce qui me rend totalement partial. Alors, peu importe qu'il y ait en fait peu de choses à dire sur l'interprétation en tant que telle, que Marlene récite toutes ses répliques d'une même voix (mais elle ne parlait pas encore anglais à l'époque), ou qu'elle n'approfondisse pas vraiment le personnage: la fascination est bel et bien là, son degré de photogénie inouï lui permet de voler la vedette à Gary Cooper et même Adolphe Menjou, qui donne pourtant la performance du film, et force est de reconnaître que Marlene sait comment regarder ses partenaires avec intensité même en ne faisant rien, chose que Sternberg a parfaitement su capter. Et bien que la performance soit uniquement due à la direction d'acteurs, le fait que Marlene ait parfois à ajouter des sourires en coin au gré des besoins de l'histoire donne une impression d'aération et de nuance qui rend le personnage d'autant plus intéressant, entre force et vulnérabilité. Et puis, avouons-le, dirigée ou pas, c'est quand même Marlene qui crève l'écran par sa seule personnalité, et l'éblouissement de la séquence du cabaret est bien à mettre à son crédit: en effet, c'est l'actrice en personne qui a suggéré de jouer sur sa bisexualité en ajoutant un baiser lesbien, et c'est encore elle qui a pris soin de charmer l'assistance avec une fleur pour empêcher que la scène ne soit coupée par la censure par un savant jeu de continuité. En somme, voilà autant d'aspects qui font de ce film excitant l'un des meilleurs de l'année, et la contribution de Marlene n'est certainement pas à nier.


Ann Harding - Holiday: Dans un rôle auquel elle fait pleinement justice et où elle ne souffre aucunement de la comparaison avec Katharine Hepburn, Ann Harding fait preuve d'une classe, d'un dynamisme et d'une repartie qui piquent d'emblée l'intérêt, comme lorsqu'elle pousse sa sœur du coude à l'église pour la rassurer, sans compter qu'elle est encore très drôle dans le mode inquisitoire, en questionnant sans aucun problème, et avec une pointe d'humour, le héros sur sa situation financière. Elle crée également une complicité immédiate avec Mary Astor avant que leurs différences de points de vue ne les éloignent, sans oublier de renvoyer une image protectrice lorsqu'elle tapote gentiment les mains de sa sœur pour l'apaiser, bien que le résultat tombe un peu à l'eau à mesure qu'Astor révèle sa vraie personnalité. C'est l'une des raisons pour lesquelles on lui préférera tout de même sa collègue, d'autant qu'à force de vouloir la consoler, Ann Harding se lance dans des envolées lyriques se voulant réconfortantes mais qui passent de plus en plus mal face à la force rêche d'Astor, d'autant que cette alternance entre des passages très naturels et des répliques beaucoup plus théâtrales n'est pas des plus heureuses dans une adaptation cinématographique, à l'image de son vibrato sur des phrases tout à fait quelconques telles "Ooooooh! Let me do it for you! Leeeeet me do something for you once!" D'ailleurs, Harding joue de la même façon lors d'un conflit avec son père, qui lui reproche de ne pas paraître à la fête publique au rez-de-chaussée, mais cette fois-ci, ses envolées théâtrales sont atténuées par son regard défiant qui souligne la véritable force de l'héroïne. En fait, la théâtralisation passe évidemment beaucoup mieux quand Linda se met en scène et tente de dérider l'atmosphère: "I think he is a verrrrry good number". Finalement, si ces fameuses envolées tranchent quelque peu parmi le reste du casting, on retiendra avant tout une performance d'actrice excessivement charmante, avec toujours un brin d'humour même quand Linda est déçue (voir la scène où son frère Ned lui dit qu'il a compris ses sentiments, à quoi elle répond: "Give me some water."), et sa présence d'esprit reste constamment rafraîchissante.


Jeanette MacDonald - Monte Carlo: Une fois n'est pas coutume, Lubitsch a été bien peu inspiré pour ce film, que ce soit à cause de certaines scènes qui rappellent trop The Love Parade sans pour autant prétendre à son brillant, ou à cause d'un casting de seconds rôles peu judicieux, en particulier ZaSu Pitts, l'actrice la moins drôle de l'univers qu'on s'est à nouveau obstiné à caser dans une comédie, et Jack Buchanan, qui réussit l'exploit de me faire regretter Maurice Chevalier, c'est dire. Par ailleurs, si le film se propose d'exploiter à nouveau les talents musicaux de Jeanette MacDonald, force est de reconnaître qu'aucune chanson n'est assez mémorable, Beyond the Blue Horizon compris, pour la faire briller dans ce registre, à part éventuellement Always in All Ways. Néanmoins, malgré toutes les embûches mises sur sa route, super Jeanette arrive largement à tirer son épingle du jeu, et si elle mérite absolument d'être citée ici, voire d'être à deux doigts de finir dans le top 5, c'est aussi parce qu'elle tire à elle seule le film vers le haut. Il faut dire que contrairement à tous ses partenaires, lorsqu'elle décide d'être drôle, elle est... hilarante! Vraiment. Rien que l'introduction qui la voit fuir une cérémonie en robe de mariée pour se jeter dans un train est à mourir de rire, et chaque tic comique de l'actrice, savamment dispensés ça et là, souligne qu'elle sait parfaitement ce qu'elle fait, à l'image de sa façon atrocement mignonne de s'enthousiasmer pour un séjour à Monte Carlo, lever de doigt et large sourire à l'appui. Et tout ça n'est qu'un avant-goût de ce qu'elle réserve par la suite, le sommet de sa performance restant cette séquence ahurissante où on lui masse le cuir chevelu, et où elle n'est jamais loin de friser l'orgasme, avant de s'ébouriffer de dépit à la moindre contrariété. En définitive, elle est la seule du casting à ne pas se prendre au sérieux, de quoi décupler mon estime pour sa performance. La seule chose qui me retient de la nommer, outre la petite concurrence en face, c'est que je la sélectionne déjà trois fois pour des Lubitsch dans un court laps de temps, et celui-ci étant leur collaboration la moins étincelante, je préfère finalement faire l'impasse dessus, quand bien même l'actrice s'en donne à cœur joie et a peut-être davantage de choses à faire par elle-même que dans les autres.


Norma Shearer - Let Us Be Gay: Ce sera donc mon seul changement par rapport à ma liste originelle, mais on reste tout de même en terrain connu puisque je remplace l'actrice par elle-même, dans un rôle délibérément comique qui lui sied mieux que sa flamboyante divorcée aux expressions dramatiques pas toujours très bien maîtrisées. Surprise: sa Kitty Brown est également une divorcée, mais cette performance est d'une plus grande fraîcheur pour deux raisons, d'une part parce qu'on nous épargne ici une seconde intrigue tragique pour n'user que du registre de la comédie de reconquête maritale, et d'autre part parce que l'actrice doit esquisser une évolution entre l'épouse atrocement commune qui finit par lasser son mari à force de dévotion, et la flamboyante mondaine devenue coquette et apte à tourner la tête aux célibataires les plus endurcis. La clef de la réussite, c'est évidemment de suggérer que la ménagère naïve habillée comme un sac et coiffée comme un balais à brosse, puis la divorcée ravissante qui papillonne en société sont bel et bien la même femme, or Norma s'en tire avec tous les honneurs, justement parce que la performance est très bien dosée. Ainsi, l'épouse terne a beau se laisser berner par son mari, elle n'est jamais dupe trop longtemps et Norma souligne bien que cette femme a une personnalité et une perspicacité refoulées qui ne demandent qu'à sortir, le tout sans jamais se reposer sur les accoutrements grossiers qui indiquent trop lourdement le manque de confiance en soi de l'héroïne. De l'autre côté, la mondaine chic et très drôle a gardé en elle une sorte de bonté et d'honnêteté qui nous font bien dire qu'elle est la même personne qu'au début du récit, son évolution étant rendue totalement logique par le jeu d'actrice. Et sincèrement, Norma est absolument délicieuse avec son aisance inégalable dans le registre mondain, sans compter que sa repartie fait mouche à plus d'une reprise, et que ses sourires coquins lui donnent un charme ravageur qui séduit en toute simplicité. Norma se surpassera l'année suivante dans le registre purement comique, mais ce qu'elle montre ici est une réelle réussite dont le pouvoir de divertissement reste très grand.


Sylvia Sidney - City Streets: N'étant pas un grand spécialiste de la première moitié de sa carrière (comme beaucoup de personnes de ma génération, je l'ai d'abord découverte chez Tim Burton), j'avais toujours ouï dire que la jeune Sylvia Sidney était l'archétype de la demoiselle en détresse, aussi m'attendais-je inconsciemment à une performance gentille mais pas transcendante. Sauf que, si Nan est effectivement la victime des événements ici, l'actrice est tout simplement... monstrueusement charismatique! Presque au point de voler la vedette à un Gary Cooper qui la dépasse pourtant de trois têtes! Dès lors, autant dire que l'effet de surprise se révèle particulièrement payant, et c'est un réel plaisir de voir une héroïne a priori toute mignonne avoir beaucoup de répondant dans un milieu de gangsters. D'ailleurs, en affichant à la fois de la tendresse et de la dureté dans ses regards, l'actrice trouve la meilleure tonalité qu'on pouvait donner au personnage, puisque Nan apparaît ainsi comme la plus féminine d'un environnement masculin, et comme la plus masculine d'un entourage féminin lors des scènes de prison. Et même si la seconde partie tend davantage vers le schéma convenu du "je me fais sauver par Gary Cooper qui porte l'essentiel de l'action", avouons que voir Sylvia Sidney tenir trois malfrats en respect dans un véhicule lancé à toute allure reste une expérience tout à fait savoureuse.

A mettre à jour.

A la réflexion, ses concurrentes ont beau faire un travail plus approfondi, personne ne bat Marlene en terme de charisme, et aucun personnage ne me fait plus jubiler que cette Amy Jolly à la fois glaciale et passionnée, dont les quelques sourires en coin donnent un relief bienvenu à un état d'esprit impénétrable et mystérieux. La présence de l'actrice à l'écran fait ainsi de tels ravages que je suis constamment émerveillé, et décidément, tous ces regards d'une force inégalable qu'elle jette à Gary Cooper donnent un aspect plus que mythique à sa performance, avec en point d'orgue cette formidable scène de séduction dans un cabaret. Sans compter que ce film exotique porté par une excellente photographie ajoute à la puissance incandescente qui se dégage de ce rôle, certainement le meilleur de l'actrice dans la première partie de sa carrière. Il ne fait donc aucun doute que 1930/1931 est l'année Marlene Dietrich, qui se paye en outre le luxe de crever l'écran dans deux autres Sternberg, L'Ange bleu et Dishonored, même si la force de son Amy Jolly suffit à elle seule à lui valoir le prix. Sur ce, je classe Norma Shearer seconde pour son génie comique, Jeanette MacDonald troisième pour sa capacité à sauver à elle seule l'ensemble de son film tout en me faisant rire aux éclats, comme à son habitude, Ann Harding quatrième pour sa performance d'une envoûtante sympathie, puis Sylvia Sidney cinquième pour la bonne surprise engendrée par la découverte de ce rôle. Des questions?

Tallulah: Baiser lesbien? Vous avez dit baiser lesbien? On peut participer?

Marlene: Peut-être. Mais je croyais que vous n'aviez d'yeux que pour ce divin Gary Cooper...

Tallulah: Dahling, en grande actrice, je suis reconnue pour ma versatilité.

Joan: Bonjour, c'est moi. Désolée, je suis en retard, j'étais partie en vacances. Navrée de vous avoir autant manqué.

Tallulah: Ah? On n'avait pas remarqué. Et où étiez-vous donc partie, dahling?

Joan: Oh, j'ai dû faire une cure de repos suite à ma déconvenue de l'autre fois. Comme vous le savez, j'avais une fâcheuse crise de nerfs à soigner. Mais tout est pour le mieux à présent, j'ai passé des mois merveilleux dans une superbe retraite au milieu des bois, c'était très joli.

Tallulah: Intéressant. Et c'était où, cet endroit paradisiaque?

Joan: En Arizona. A mon arrivée, ça s'appelait, je crois... Holly Green Wood. Mais depuis mon passage le nom a changé. On appelle ça The Petrified Forest.

Orfeo: Et tandis que certaines savourent la non-victoire de Norma Shearer pour A Free Soul, donnons la parole à Sylvia Fowler afin de classer les performances de l'année selon qu'elles sont...

dignes d'un Oscar : Marlene Dietrich (Der blaue Engel) (Morocco), Norma Shearer (Let Us Be Gay): à mettre à jour.


dignes d'une nomination : Marlene Dietrich (Dishonored): n'étaient les miaulements de la paysanne faussement prude, une exquise performance dans la droite ligne de Morocco. Ann Harding (Holiday), Jeanette MacDonald (Monte Carlo), Miriam Hopkins (Fast and Loose): parce que dès son premier grand rôle, elle mange tout ce qui existe alentour, quand bien même le film reste assez inégal. Sylvia Sidney (City Streets): voir ci-dessus.


séduisantes : Constance Bennett (Sin Takes a Holiday): Elle est touchante pour sa simplicité au début, et parvient à ajouter de petites touches d'humour pour rendre sa composition intéressante, surtout lorsqu'elle use de répondant face à sa rivale. Mais dans l'ensemble, ce n'est pas aussi marquant qu'on aurait pu le croire. Helen Chandler (Dracula): parce que mine de rien, elle peut être ultra flippante rien qu'avec ses regards, même si personne n'arrive à la cheville du mythique Bela Lugosi. Claudette Colbert (Honor Among Lovers): une actrice très charismatique et une performance énergique qui relèvent le niveau d'un film beaucoup trop larmoyant sur la fin. Marie Dressler (Min and Bill): voir ci-dessus. Norma Shearer (A Free Soul): voir ci-dessus. Sylvia Sidney (An American Tragedy): une bonne performance dans un rôle devenu mythique grâce au remake, mais on ne s'étonnera pas de me voir préférer l'héroïne plus piquante de City Streets. Gloria Swanson (Indiscreet): parce que comme souvent, elle fait preuve d'un véritable sens comique qui aurait cependant mérité un support un peu plus exaltant pour emporter totalement l'adhésion.


sans saveur : Greta Garbo (Inspiration): en soi la performance est pas mal, mais le film est clairement l'un des moins intéressants de sa carrière. Et toutes ces thématiques sur le mode des courtisanes deviennent franchement redondantes. Jeanette MacDonald (Let's Go Native): une actrice vaguement rigolote qui finit en pleine jungle dans un accoutrement douteux cousu de feuilles. Pourquoi pas... Helen Twelvetrees (Millie): un air de chien battu et un manque total de charisme qui détournent très vite l'attention vers la géniale Lilyan Tashman en bonne copine lesbienne rigolote.


atroce : Irene Dunne (Cimarron): la petite Irene Dunne attend sa maman Subtilité au rayon prochain film. Merci de votre attention. Et je veux bien admettre que l'actrice travaille réellement son personnage, cette performance m'irrite bien trop pour la classer plus haut, même si ça me fait mal au coeur de parler en ces termes de l'habituellement divine Irene. Jeanette MacDonald (The Lottery Bride): non mais... Jeanette? Tressée comme une fermière? En sabots? Lançant une série de regards lubriques en jouant de l'accordéon? Piquant un sprint contre un dirigeable? Dans un film à moitié coupé au montage (des nouvelles de Zasu Pitts qui disparaît sans laisser de traces?) où les acteurs chantent toujours au mauvais moment? Mais pourquoi?


à découvrir : Tallulah Bankhead (Tarnished Lady), Joan Crawford (Dance, Fools, Dance), Irene Dunne (Bachelor Apartment) (The Great Lover), Mae Murray (Bachelor Apartment), Barbara Stanwyck (Night Nurse)




performances remarquables en langue étrangère : Ruan Lingyu (Tao hua qi xue ji): parce qu'elle est divine, belle et charismatique, et que cette histoire très similaire aux films tournés par une certaine actrice suédoise justifie pleinement son statut de "Chinese Garbo".



dimanche 10 mars 2013

Oscar de la meilleure actrice 1929/1930

Au programme :

* Nancy Carroll - The Devil's Holiday
* Ruth Chatterton - Sarah and Son
* Greta Garbo - Anna Christie
* Greta Garbo - Romance
* Norma Shearer - The Divorcee
* Norma Shearer - Their Own Desire
* Gloria Swanson - The Trespasser

Toujours en train de tâtonner ces premières années, l'Académie sélectionna cette fois-ci cinq actrices pour cependant sept rôles. Avec un tel schéma, il ne fait aucun doute que la victoire devait se jouer entre Norma Shearer et Greta Garbo, les deux stars les plus populaires de la MGM qui bénéficiaient également d'une grande renommée internationale. Et c'est finalement Shearer qui l'emporta, probablement en raison de son rôle juteux de divorcée, thème délicieusement pré-Code tranchant avec les habituelles héroïnes victimes de la destinée, de quoi confirmer le succès de ce film nommé dans trois autres catégories principales (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté). Sans compter que Shearer était l'épouse d'Irving Thalberg, bras droit de Louis B. Mayer, même si pour être parfaitement honnête je crois davantage que c'est sa performance et l'essence même de son rôle qui lui permirent de récupérer la statuette. En face, Garbo avait beau avoir réussi sa transition au parlant avec grand fracas, Anna Christie (le film pour lequel elle aurait gagné) fut sans doute moins soutenu par le studio, comme le prouve l'absence d'une nomination en tant que meilleur film. De toute façon, les électeurs ont pu penser que la talentueuse Suédoise aurait certainement gagné une autre année vu l'habituelle qualité de ses prestations, ce qui ne fut hélas pas le cas. Quant aux autres candidates, je n'ai absolument aucune idée de leur ordre d'arrivée lors du comptage des voix : les trois étaient très populaires à l'époque et Swanson comme Chatterton en étaient à leur deuxième nomination. Si l'on considère le très bon accueil critique fait aux performances de Chatterton, il est possible qu'elle soit passée devant Swanson qui, elle, était déjà sur la pente savonneuse après le très sulfureux Queen Kelly.

Quoi qu'il en soit, ces sept nominations me donnent du pain sur la planche, alors attelons-nous dès à présent à la tâche.

Je retire :

Ruth Chatterton - Sarah and Son : Une fois de plus, j'ai un problème avec les performances pour lesquelles Ruth Chatterton a été nommée aux Oscars, et ce en raison d'un type de jeu excessivement théâtral qui, au sein de films déjà très statiques, rend le tout plus indigeste qu'autre chose. Alors, vous me direz que certes, on n'en était qu'aux débuts du parlant et que bon nombre d'interprétations n'étaient pas encore entièrement adaptées à l'objet cinéma, mais il reste bien difficile de nier que pour un spectateur contemporain les choix faits par l'actrice à l'époque paraissent vraiment trop datés. Par ailleurs, dans le cas précis de Sarah and Son, je ne peux m'empêcher de bloquer sur son phrasé étranger: d'un côté Chatterton a le mérite de restituer un accent d'inspiration germanique au rendu toutefois quelque peu douteux, mais de l'autre, ce travail confère à son timbre des intonations trop enfantines pour que le personnage parvienne à rester totalement crédible. Pour le reste, le film a beau resservir une énième variante de la "femme miséreuse à la recherche de son enfant", l'actrice réussit néanmoins à s'attacher toute notre sympathie sans esquisser une héroïne trop piteuse, ce qui est tout à son honneur. Mais certainement pas au point de rentrer dans ma sélection.


Norma Shearer - Their Own Desire : Dans un rôle où elle semble parfaitement à l'aise, Norma Shearer crève littéralement l'écran, tout du moins dans la première partie. En effet, j'aime beaucoup son personnage de socialite enjouée, et l'actrice est précisément idéale pour incarner ce type d'héroïnes, comme le prouve son autre nomination pour The Divorcee. Dans Their Own Desire, on retrouve également Robert Montgomery et il est très plaisant de constater que l'alchimie entre les deux acteurs fonctionne à merveille. Norma a notamment des réactions vivantes et spontanées dans les scènes de séduction, ou lorsqu'elle découvre l'identité de son partenaire, ce qui donne un certain éclat à sa performance déjà riche en grands moments, à l'instar de ses regards naturels lorsque Lucia apprend le divorce de ses parents. Le problème, c'est que le personnage comme le jeu de l'actrice s'essoufflent rapidement dans la seconde moitié, la faute étant en partie imputable à des revirements de situation assez lourds, ce dont témoigne cette scène de naufrage totalement improbable bien qu'au goût du jour vu qu'on nous fait le même coup dans Sarah and Son. Quoi qu'il en soit, Norma livre ici une performance très honorable avec notamment un début très solide, mais quitte à choisir entre ses deux grands rôles de la saison, The Divorcee l'emporte haut la main.


Greta Garbo - Anna Christie : Garbo talks! Et bien entendu, la voix de la Divine est particulièrement plaisante, son timbre légèrement grave tinté d'un délicieux accent suédois collant idéalement au personnage d'Anna. Mais ce n'est évidemment que la moindre de ses qualités, car Garbo livre vraiment une bonne prestation dans ce rôle de femme rustre qui tranche avec ses héroïnes habituellement plus distinguées, ce dont témoigne cette entrée fracassante qui voit l'actrice commander un whisky. Ainsi, la première partie est menée de main de maître mais, là où la performance pèche quelque peu, c'est lorsque la Divine a tendance à dériver méchamment vers le mode diva, de quoi donner l'impression d'un personnage pas forcément très bien construit sur la durée. Par exemple, un "Oh, what's the use!" accompagné d'un rabattement de bras plus affecté que jamais, entre autres nombreuses répliques du même acabit, alimente ce décalage notoire entre la fille des bas-fonds et l'actrice qui se détache un peu trop du personnage, mais avouons que mon admiration pour Garbo ne me donne pas l'objectivité nécessaire pour m'en offusquer. Dès lors, je vois surtout en cette performance une réussite incontestable, quoique imparfaite, et je sais d'ailleurs gré à l'actrice d'élever clairement le niveau de son film, à l'aide de Marie Dressler, face à des protagonistes masculins insupportables et un scénario ultra statique.


Greta Garbo - Romance : Certes, la Cavallini n'est pas son plus grand rôle, mais le personnage est tellement charmant que je ne peux m'empêcher de l'adorer, et de passer un excellent moment en sa compagnie. Il faut dire que cette cantatrice italienne se montre toujours vivace et pleine de charme, à l'image de son flirt lors de la réception de départ, sans oublier sa spontanéité naturelle lorsqu'elle parle aux musiciens italiens depuis sa fenêtre, de quoi me séduire amplement. Par ailleurs, l'actrice sait éviter le mélodrame dans les moments les plus sérieux, au point qu'elle rayonne toujours tout au long du film, d'où un ravissement qui va de pair avec cette ambiance extrêmement divertissante de vacances hivernales à New York, malgré la platitude étonnante de la réalisation de Clarence Brown. Quoi qu'il en soit, Garbo illumine le film de sa personnalité tout en composant réellement son personnage, ce qui suffit à me faire passer un excellent moment pour moi qui aime autant l'actrice que l'héroïne. Ceci dit, force est de reconnaître que tout n'est pas au point dans cette interprétation, à commencer par cet accent suspect au possible dont les "r" gutturaux roulés sur plusieurs secondes n'ont rien de suave ni de latin, mais il me faut avouer que le charme général qui se dégage de ce rôle éminemment sympathique suffit à estomper ces quelques défauts de fabrication. On contourne également la séquence d'opéra sans prendre de gants, mais Garbo n'ayant pas de formation musicale, on le pardonnera volontiers. Par ailleurs, sa performance trouve le moyen de sortir constamment grandie par l'incessante comparaison qui s'impose entre l'actrice et son partenaire masculin franchement indigeste, voire avec le reste d'une distribution assez peu subtile, entre les sœurs aigries et un Lewis Stone trop égal à lui-même. Dès lors, Rita Cavallini n'est peut-être pas Marguerite Gautier, Romance est peut-être bien loin d'égaler Camille, mais il n'en reste pas moins que le film comme le personnage laissent une impression entièrement positive qui donne envie d'y revenir assez souvent.


Norma Shearer - The Divorcee : En parlant de divorcées, j'ai davantage de goût pour sa Mary Haines de The Women, mais impossible de nier que Jerry Martin reste l'un de ses plus grands rôles, d'autant que c'est arrivé à une bonne époque pour l'actrice qui désirait changer son image qu'elle jugeait alors trop "saine". Pourtant, tout le monde lui a déconseillé de jouer ce personnage, et Irving Thalberg lui-même pensait qu'elle n'avait pas la personnalité requise pour jouer une divorcée, thème sulfureux pour l'époque. Il a donc fallu une séance de photos osées pour que Norma parvienne à convaincre la MGM de lui laisser le rôle, ou tout du moins de l'arracher des mains de cette satanée Joan Crawford, et bien lui en a pris, car l'héroïne lui va comme un gant. En effet, Norma brille de mille feux dans l'aspect léger du film, faisant un sort à une série de répliques coquines parfaitement savoureuses ("I can't scream!"), et n'hésitant pas à flirter avec la gent masculine une fois sa liberté retrouvée, avec en prime un délicieux sourire lors de la fête du nouvel an. On notera aussi qu'elle est très à l'aise en socialite épanouie, ce qu'on avait déjà pu voir auparavant dans Their Own Desire, de quoi ajouter au charme de cette performance. Néanmoins, si la partie comédie révèle une véritable fraîcheur dans son jeu d'actrice, la partie plus sérieuse a malheureusement tendance à souligner quelque peu les limites de son interprétation, Norma partant parfois dans des envolées lyriques un peu mièvres, notamment lorsqu'elle tente de retenir Chester Morris, et ne nous épargnant pas certains gestes ampoulés un peu maladroits. Mais même dans ces moments-là, elle garde malgré tout une classe folle, surtout lors de ses retrouvailles avec Dot où l'on apprécie sincèrement la noblesse de l'héroïne, et avouons que les défauts de cette performance s'effacent très rapidement au profit de ses qualités, puisque ce sont principalement les passages enjoués qui retiennent l'attention. De toute façon, malgré les réserves énoncées, on tient là une délicieuse composition typiquement pré-Code, et lorsque les critiques professionnels définissent Norma Shearer comme "the first American film actress to make it chic and acceptable to be single and not a virgin on screen", ce n'est que trop vrai, et ce rôle rend tout à fait justice à une telle description.


Gloria Swanson - The Trespasser : Juste après son dernier rôle muet dans le scandaleux mais jouissif Queen Kelly, Gloria Swanson est elle aussi passée au parlant, et force est de reconnaître que la transition est plutôt réussie. Il est cependant dommage que pour ce faire elle n'ait pas bénéficié d'un meilleur support car, si j'avoue prendre un malin plaisir devant le film, ça n'en reste pas moins un drame féminin convenu à souhait comme l'époque les aimait, avec de surcroît un final qui laisse quelque peu perplexe. Mais concernant la performance de la star à proprement parler, j'avoue qu'en grand fan j'y trouve toujours de quoi me ravir au plus haut point, même si The Trespasser est objectivement loin d'être son meilleur rôle de ces années-là. En effet, si Swanson parvient à dégager un charme certain tout au long du film, notamment au début lorsqu'elle annonce sa démission pour aller se marier, son jeu n'en reste pas moins un peu trop pesant pour emporter totalement l'adhésion, à l'image de ces regards figés et mains levées au ciel lors de la scène du "divorce", sans parler de ces nombreuses répliques récitées de façon très théâtrales. Ceci dit, c'est une performance que j'aime beaucoup et que j'ai pris plaisir à découvrir. Mais si je veux nommer Swanson pour ses premiers parlants, je préfère me tourner vers ses performances comiques dans Indiscreet ou Tonight or Never.


Ma sélection : 

Nancy Carroll - The Devil's Holiday : A nouveau, j'ai beaucoup apprécié Nancy Carroll, petite boule de charisme dans le corps d'une poupée de porcelaine, atout qui me met d'emblée dans de très bonnes dispositions à son égard. En effet, son travail d'actrice n'a peut-être rien de resplendissant, j'admire la façon dont elle attaque le personnage à bras le corps sans jamais laisser retomber l'attention, et sans jamais laisser apparaître de moments fades. Sa présence à l'écran apporte ainsi une force considérable à un film qui aurait pu ne rester qu'une expérience insipide, et rien que pour cet aspect, sa nomination me semble amplement méritée. Par ailleurs, on a beau être dans la théâtralisation à outrance et le sur-jeu, ça passe finalement comme une bouffée d'air frais comparé au reste d'un casting trop ampoulé pour être crédible, et à plus grande échelle, on est loin de la pesanteur du jeu d'une Ruth Chatterton. Ceci dit, Nancy Carroll ne peut empêcher une scène mal écrite de sombrer dans le grotesque: par exemple, lorsque David tombe une première fois dans les escaliers, Hallie se félicite de pouvoir le laisser entre la vie et la mort pour la modique somme de 50.000 $, mais lorsque le pauvre chou fait une rechute sur un tapis quelques mois plus tard, on a droit à un plus qu'improbable: "Non! David! Je réalise à quel point je t'aime!" Ahem. Heureusement, ce passage est rapidement épongé par une grande scène de confession tout en retenue.


Mary Duncan - City Girl: J'ai toujours considéré City Girl comme un chef-d'oeuvre, certes pas au point de surpasser Sunrise ou Nosferatu, mais chef-d'oeuvre quand même, ce qui confirme par ailleurs mon goût pour les histoires rurales, après ma déclaration d'amour ardente à The Stranger's Return. Quoi qu'il en soit, Mary Duncan rend parfaitement justice à l'excellence du film et, autant j'ai pu la trouver un peu fade auparavant, autant City Girl apparaît clairement comme le rôle de sa vie. En effet, elle éblouit dès son entrée en scène au restaurant, en se moquant de Charles Farrell qui récite ses grâces, surpassant au passage sa collègue qui préfère surjouer en écarquillant les yeux, alors que Mary reste parfaitement subtile et naturelle. La rencontre entre les deux héros permet encore à l'actrice de faire des étincelles, puisqu'elle se montre à la fois entreprenante et séduisante, quoiqu'un peu rude, contrastant joliment avec la personnalité réservée de Farrell, et l'on admirera surtout sa façon de dissimuler ses véritables émotions, surtout lorsqu'elle fait bien sentir qu'elle est contente de ses échanges avec son nouveau client, bien qu'elle tente de le masquer pour ne pas perdre la face devant les habitués plus cyniques du fast-food. D'ailleurs, c'est seulement après être rentrée chez elle qu'elle dévoile ses réelles intentions, en se révélant particulièrement touchante dans son désir d'évasion depuis sa chambre glauque. Autrement, tout ce qui est amené dans la première partie est parfaitement restitué par la suite: l'émotion est toujours là dès que les regards ne sont pas braqués sur elle (sa façon poignante de regarder la mère et le fils s'embrasser), elle crée toujours très facilement une bonne alchimie avec les autres personnages (son charme quand elle donne la cage à oiseaux à Anne Shirley), et force est de constater que même en arrière plan, notamment lors des disputes père-fils, sa présence reste incontestable. Mais en définitive, c'est surtout son répondant face aux hommes qui marque le plus les esprits, qu'il s'agisse pour elle de relâcher l'étreinte de son agresseur, de provoquer son mari faible ou d'impressionner par son expressivité flamboyante face à son beau-père qui la rejette. En somme, un très beau rôle pour une bien belle histoire, et une exquise performance silencieuse au crépuscule du muet.


Jeanette MacDonald - The Love Parade : Forcément, une collaboration Ernst Lubitsch / Jeanette MacDonald, la première qui plus est, ça m'émerveille à un point tel qu'il me paraîtrait complètement inenvisageable de ne pas nommer l'actrice pour ce rôle hilarant à souhait. Sans compter que j'adore plus que de raison les chansons qui lui permettent de briller dans le registre musical, de l'évaporé Dream Lover à la radicale Marche des Grenadiers; autant d'airs qui m'enchantent au quotidien. Mais si j'aime autant cette performance, c'est aussi parce que Jeanette est tout simplement brillante dans la première partie. Elle est par exemple drôlissime lorsqu'elle dévoile ses jambes en conseil des ministres, et son charisme est tel qu'on jubile en permanence de la voir dominer entièrement un Maurice Chevalier heureusement un peu moins cabotin qu'à l'accoutumée. L'interaction entre les deux acteurs fait d'ailleurs des merveilles, à grand renfort de regards en coin et de sourires espiègles, entre autres très bons moments. Malheureusement, je dois avouer que je trouve toujours la seconde partie plus décevante en ce qui concerne l'actrice, puisque le retournement de situation et l'inversion des rôles tendent à mettre l'héroïne plus en retrait. Or, Jeanette adopte alors un jeu plus fade qu'au début, à l'instar de cette scène de larmes forcée au possible qui tranche un peu trop avec le caractère habituellement plus volontaire de la princesse. Mais à l'image du film, ce rôle reste indéniablement charmant et constitue une expérience délicieuse à laquelle s'adonner sans modération.


Helen Morgan - Applause : J'avoue que le début m'a fait un peu peur en raison du caractère excessif de son jeu, encore que ça colle finalement plutôt bien à cette diva du burlesque, mais heureusement sa performance devient de plus en plus naturelle au fur et à mesure de l'intrigue. Pour commencer, l'actrice est parfaitement crédible en femme alcoolique et complètement perdue, sa gestuelle suggérant très bien le mode de vie sordide du personnage, et ses regards expressifs rendant tout le pathétique de la situation. On appréciera tout particulièrement la façon dont Kitty s'illusionne quant à un futur à Broadway plus que chimérique, tout en soulignant qu'elle a bien conscience, dans le fond, de cette impossibilité. D'autre part, outre le côté très touchant que confèrent à l'héroïne les scènes où elle réconforte sa fille, Helen Morgan sait se montrer assez maternelle pour ne jamais faire douter du rapport entre les deux protagonistes, bien que les actrices avaient sensiblement le même âge. Mais le meilleur, c'est cette grande scène où Morgan regarde les photos des différents personnages en arborant des expressions différentes à chaque fois, et le regard ravi absolument phénoménal qu'elle lance au portrait de sa fille renforce toute la sympathie qu'on peut ressentir pour Kitty. Il est simplement dommage que ses meilleurs moments soient concentrés à la fin et que le reste du film ne lui permette pas de détailler le personnage outre mesure, mais dans l'ensemble c'est très réussi.


Barbara Stanwyck - Ladies of Leisure: Donner une seconde chance aux films a toujours du bon, car à l'instar de Casablanca, It Happened One Night et The Philadelphia Story, autres chefs-d'oeuvre universellement adorés qui viennent de faire une remontée considérable dans mon estime, Ladies of Leisure a gagné de très nombreux points la seconde fois, en partie grâce à la mise en scène inspirée de Frank Capra, et principalement grâce à la phénoménale performance de Barbara Stanwyck dans son premier grand rôle. Il faut dire qu'elle crève l'écran dès son apparition un brin gouailleuse ("Yep, do you have a cigarette?") et impose d'emblée un personnage doté d'une forte personnalité, qui rechigne par exemple lors des séances de pose pour l'artiste, et répond de façon ironique aux gens de la haute société ("Take a good look, it's free", dit-elle à l'homme qui la dévisage). Elle est encore très drôle lorsqu'elle se moque des manières du peintre, mais on admirera surtout sa façon de ne jamais reculer devant les aspects les plus antipathiques de Kay, qui conserve longtemps une certaine vulgarité en parlant d'argent. Par ailleurs, toujours excellente, l'actrice n'oublie pas d'esquisser l'évolution du personnage avec une grande cohérence puisqu'elle passe d'abord par une certaine dose d'exaspération lorsqu'elle s'aperçoit que Ralph Graves ne l'appelle toujours pas par son prénom malgré leur nombreuses séances, avant d'éblouir de façon extrêmement impressionnante lors de la nuit qu'elle passe à l'atelier: elle fait monter les larmes en réalisant que l'artiste tient vraiment à elle, mais elle ne les lui montre pas, quitte à redevenir un peu gouailleuse face à lui, afin de mieux pleurer une fois seule, en mordant la couverture avec un sourire déchirant qui en dit long sur le passé de l'héroïne. Une autre séquence très marquante, c'est aussi la confrontation avec la mère de son hôte, à qui Barbara tient parfaitement tête tout en restant très polie, de quoi conduire à une fin absolument pas mélodramatique malgré la tonalité du film dans sa conclusion. On évite alors tout pathos, les larmes sont savamment dosées, et l'on est finalement bien en peine de trouver le moindre défaut à cette performance. Bon, peut-être un "I wish I was dead" un peu exagéré, comme les aimait l'époque, ou un petit cri de diva lorsque l'héroïne se fait arracher ses faux cils, mais ce ne sont là que d'infimes détails qui n'ont aucun poids devant le degré d'excellence de cette brillante composition.

A mettre à jour.



Norma: Je vous remercie infiniment pour cette récompense que je dédie à mon époux, mon cher Irving, qui a toujours su reconnaître mon talent sans jamais faire preuve envers moi d'un quelconque favoritisme, à part une fois ou deux, peut-être... En tout cas, je lui sais gré de m'avoir donné un rôle si juteux écrit sur mesure pour moi, et... Mais pourquoi cette sous-figurante de troisième ordre tente-t-elle de me tabasser avec mon Oscar?


Joan: Parce que c'est MON Oscar! Car le rôle a tout d'abord été écrit pour MOI! Et cette [série d'insultes que nous refusons de retranscrire] de Norma ne l'a obtenu que parce qu'elle couche avec le patron et qu'elle a montré ses fesses. La preuve en images.

Tallulah: Dahling, un peu de retenue voyons, vous pourriez donner des envies à certaines.

Joan: Peu importe! J'ai la rage! Tskrprskskskcrpkcrprpr! Il faut que je passe mes nerfs sur quelque chose!

Tallulah: En ce cas, prenez cette hache dahling, j'ai justement un baobab à faire couper dans mon jardin.

Orfeo: Pas sûr que donner une hache à Joan soit une bonne idée. Quoi qu'il en soit, la parole est maintenant à Sylvia Fowler, afin de classer les performances...

dignes d'un Oscar : Barbara Stanwyck (Ladies of Leisure): là aussi, revoir les films a du bon, puisque j'ai été cette fois-ci totalement conquis par la mise en scène de Capra, et surtout par le jeu extraordinaire de l'actrice qui qui se montre à la fois vulgaire et séduisante, ou encore rieuse et vulnérable, avec un incroyable brio et une justesse constante. Il faut que je réécrive cet article à l'aune de ces nouvelles redécouvertes, mais je n'ai pas le temps dans l'immédiat.


dignes d'une nomination : Nancy Carroll (The Devil's Holiday), Mary Duncan (City Girl): j'avais oublié à quel point elle était merveilleuse avec cette héroïne volontaire qui n'a pas peur de dire les choses en face, d'autant qu'elle use d'un jeu sobre qui renforce énormément le côté émotionnel de sa performance, et agrémente joliment cet excellent Murnau. Jeanette MacDonald (The Love Parade), Helen Morgan (Applause), Norma Shearer (The Divorcee): voir ci-dessus.


séduisantes : Norma Shearer (Their Own Desire), Gloria Swanson (The Trespasser), Greta Garbo (Anna Christie) et (Romance): voir ci-dessus. Toujours concernant Garbo, citons encore le très charmant The Kiss, passionnante intrigue policière où la Divine au pic de sa beauté ne manque pas de crever l'écran. Nina Mae McKinney (Hallelujah!): parce qu'elle chante et danse tout en ayant beaucoup de présence à l'écran du haut de ses dix-sept ans. Joan Peers (Applause): pas vraiment expérimentée, elle part trop souvent dans un sur-jeu outrancier, mais des scènes plus solides et son personnage dynamique font qu'on apprécie pleinement son rôle, bien que les regards soient entièrement tournés vers Helen Morgan. Barbara Stanwyck (The Locked Door): juste parce que c'est Barbara et que pour son premier vrai rôle elle montre déjà toute l'étendue de son charisme.


sans saveur : Mary Pickford (The Taming of the Shrew): un timbre rauque et une théâtralité exacerbée qui me font définitivement préférer ses personnages muets. Ruth Chatterton (Sarah and Son): c'est vraiment dommage car contrairement à beaucoup, elle fait vraiment l'effort de composer un personnage, mais le rendu est hélas trop crispant pour me donner envie de l'homologuer.


à découvrir : Jean Arthur (The Saturday Night Kid), Claudette Colbert (The Big Pond) (Manslaughter) (Young Man of Manhattan), Joan Crawford (Our Blushing Brides), Marion Davies (Not So Dumb), Kay Francis (Raffles), Janet Gaynor (Lucky Star)



grandes performances en langue étrangère : Louise Brooks (Die Büchse der Pandora) (Tagebuch einer Verlorenen): les deux rôles les plus mythiques d'une actrice non moins légendaire, que je ne nomme pas pour les raisons évoquées plus haut mais qui devrait être honorée tout son content dans une prochaine liste de prix internationaux.