dimanche 28 avril 2013

Oscar du second rôle féminin 1936

Au programme:

Beulah Bondi - The Gorgeous Hussy
Alice Brady - My Man Godfrey
Bonita Granville - These Three
Maria Ouspenskaya - Dodsworth
Gale Sondergaard - Anthony Adverse

1936 vit naître les premières catégories consacrées aux seconds rôles, mais curieusement, les sélections officielles ne furent pas particulièrement brillantes, chez les hommes comme chez les dames. Le cru qui nous occupe aujourd'hui n'est d'ailleurs pas le dernier à laisser un arrière-goût amer, même si l'on ne peut que noter la cohérence de l'ensemble: Brady et Bondi étaient déjà connues et respectées à Hollywood, surtout la première qui faisait du cinéma depuis 1915 et surfait alors sur le succès de Godfrey; Maria Ouspenskaya s'était forgé une solide réputation à Broadway même si Dodsworth n'était que son premier film américain; tandis que Bonita Granville avait déjà fait de la figuration auparavant et passait, au sortir de l'enfance, pour une jeune actrice très prometteuse, bien que sa carrière ne décollât jamais réellement. Malgré tout, c'est Gale Sondergaard qui rafla la statuette pour son tout premier rôle à l'écran, probablement parce qu'elle figurait dans l'une des plus grosses productions de l'année, et parce qu'on a considéré son personnage comme le plus développé de la sélection. Personnellement, ces cinq rôles ont bien du mal à m'enthousiasmer, à une (énorme) exception près. Ce qui m'incite à...

... retirer:

Beulah Bondi - The Gorgeous Hussy: Désolé, le film m'a ennuyé au bout de vingt minutes, et j'ai vraiment la flemme de retenter l'expérience pour détailler un personnage dont je me contrefiche. Ainsi, pour le peu que j'en ai vu, l'habituellement très grande Beulah Bondi est ici particulièrement mal exploitée, se contentant d'énoncer quelques répliques un peu dures avant de laisser la place à d'autres personnages. Un tel début me paraît donc fort peu prometteur pour me donner envie d'en savoir plus sur cette Mrs. Jackson, et non, décidément, aucune envie de me replonger dans ce film d'aspect indigeste dans l'immédiat. Mise à jour à suivre quand ce sera chose faite.


Gale Sondergaard - Anthony Adverse: Bien essayé, mais raté. Parce que si j'en crois la lecture que l'actrice fait du personnage, voici ce qu'elle a dû se dire en préparant son rôle: "Attention, attention! J'incarne une grande méchante! Alors il me faut jouer de façon très subtile avec des regards de grande méchante, des sourires machiavéliques de grande méchante, et des intonations de... grande méchante!" En effet, Faith est brossée de façon si caricaturale qu'on en vient à se demander comment le reste de la maisonnée a pu se laisser berner aussi longtemps par ses sombres desseins. Après, il faut tout de même reconnaître que l'actrice parvient à avoir deux ou trois bonnes scènes à son actif, notamment à la fin où une Faith plus épanouie devient enfin cool tout en restant fondamentalement obscure, mais ça n'en fait pas une grande performance pour autant. A sa décharge, le film dans son intégralité est un désastre, et elle est loin d'être la plus mauvaise du lot, quand bien même son approche du rôle reste bien mal calculée.


Maria Ouspenskaya - Dodsworth: J'adore Maria Ouspenskaya, et je suis toujours content de la retrouver à l'écran, mais force est de reconnaître que cette nomination n'est pas vraiment méritée, surtout si l'on réalise qu'elle est le seul personnage féminin à avoir été distingué, quand en face Ruth Chatterton et Mary Astor font de pures merveilles avec leurs propres rôles. Alors, je ne dis pas que l'actrice livre ici une mauvaise performance, mais avec seulement une grande scène à son actif, elle n'a pas vraiment le temps de servir à grand chose. Ainsi, elle apparaît furtivement pour montrer, de façon certes efficace mais sans aucun génie, toute l'autorité de cette matriarche, puis elle quitte la scène au bout de trois minutes, ce qui ne représente pas grand chose dans le fond. Autant on l'aime dans Love Affair où elle reste magique en ne faisant quasiment rien, autant cette nomination là laisse assez perplexe: ce n'est pas raté, mais c'est parfaitement inutile et oubliable.


Bonita Granville - These Three: Si elle est la seule du casting à avoir été nommée, c'est probablement parce qu'elle incarne le personnage clef de l'intrigue. Le problème, c'est que je suis naturellement peu sensible aux interprètes trop jeunes (elle avait 12/13 ans au moment du tournage), et je regrette vivement que ce soit elle qu'on ait distingué au lieu de Miriam Hopkins et Merle Oberon dans deux très grandes performances. Car si Granville s'acquitte de sa tâche avec assez de justesse, ça ne lui demande pas un véritable effort : elle joue à la jeune fille perverse qui veut attirer l'attention sur elle, et ce à grand renfort de regards très lourds de sens, tout en se théâtralisant au maximum, mais on ne décèle jamais une réelle complexité derrière cette façade. Il s'agit donc d'une bonne performance, dont l'aspect très appuyé est en parfaite adéquation avec les réactions de ce type d'héroïnes, mais objectivement, n'importe quelle personne de cet âge pourrait faire de même, quoique la comparaison avec la très irritable actrice du remake donne constamment l'impression d'un talent inné chez Granville.


Ma sélection:

Alice Brady - My Man Godfrey: Le type d'humour qui en laisse beaucoup sur le carreau, mais pour moi, Alice Brady reste de très loin la meilleure candidate de la sélection officielle. En premier lieu parce qu'elle est phénoménalement drôle, donnant à cette Mrs. Bullock la même dose de folie qu'à sa Tante Hortense de The Gay Divorcee. Ce postulat posé, on ne peut donc s'étonner de retrouver ces mêmes rires férocement communicatifs, et l'actrice est d'ailleurs idéale pour incarner ces personnages profondément superficiels et ridicules à outrance, sans jamais conduire à saturation. En effet, Brady n'a pas oublié de quel monde provient Angelica Bullock, et elle diffuse en permanence des attitudes un brin hautaines qui donnent davantage de consistance au portrait satirique qu'elle brosse, aussi son travail n'en est-il que plus louable. Dans la même lignée, la constante drôlerie de ses répliques est sans cesse balancée par un sentiment de malaise révélant à quel point le personnage est aveugle quant à la réalité du monde extérieur, de quoi renforcer l'intérêt de ce rôle malgré son caractère hautement stéréotypé. Finalement, si je comprends que cette grande dame totalement siphonnée en agace plus d'un, je n'en reste pas moins persuadé qu'il faut un génie fou pour parvenir à un résultat aussi drôle et décapant.


Mary Astor - Dodsworth: N'ayons pas peur des mots, Mary Astor est La plus grande actrice de seconds rôles du Golden Age, voire de l'histoire du cinéma tout court. A chaque fois qu'elle est à l'écran, sa présence lumineuse apporte énormément au film, et lorsque l'oeuvre en question, à l'image de Dodsworth, est une extrême réussite, il va de soi que tous ces ingrédients se distillent en un cocktail atomique qui m'impressionne à chaque fois. Malgré tout, Edith Cortright n'est pas son plus grand rôle (je préfère par exemple son irrésistible humour de Midnight ou son héroïne intrigante du Faucon maltais), mais même sous cet angle, sa performance vaut son pesant d'or. Car bien qu'elle n'ait pas hérité du rôle le plus difficile, et qu'elle n'ait donc pas à jouer un personnage antipathique comme celui de Ruth Chatterton, elle parvient à donner vie à une dame complexe extrêmement digne et touchante qui laisse une très forte impression aux côtés de ses brillants partenaires. Et puis, tout ce charisme rayonnant achève de faire du film un chef-d'oeuvre, et si je suis autant ravi d'avoir fait cette découverte, autant dire que Mary Astor n'y est pas pour rien.


Paulette Goddard - Modern Times: Bien qu'elle soit le principal personnage féminin, je la classe tout de même en second rôle puisque le film reste essentiellement centré sur Charlot. Quoi qu'il en soit, Paulette Goddard n'en reste pas moins une présence incontournable dans l'univers de Chaplin, et cet énième chef-d'oeuvre du maître la met tout particulièrement en valeur. L'actrice parvient ainsi à se montrer drôle et touchante à la fois, et l'on appréciera notamment de la voir évoluer entre le comportement dynamique de la gamine devant voler du pain pour survivre et le caractère plus doux de la jeune fille se rêvant maîtresse de maison dans un hypothétique futur. Après, on pourra toujours m'objecter qu'elle n'est pas l'élément essentiel du film, ça ne fait rien, son rôle est bien trop mémorable pour être ignoré. Et pour moi qui adore les actrices charismatiques, je suis ici servi, d'où sa distinction assurée dans ma liste.


Edna May Oliver - Romeo and Juliet: Comme dans Drums Along the Mohawk pour lequel elle reçut son unique nomination en 1939, elle est la seule à tirer son épingle du jeu. Et ici, le personnage est bien mieux écrit (forcément), ce qui lui permet de faire un sans faute et de mériter amplement une citation. Il faut dire qu'elle est déjà très bien aidée par tous les éléments alentours, que ce soit par le reste d'une distribution prestigieuse qui joue étonnamment très mal, en particulier Leslie Howard et Norma Shearer qui sont vraiment tout sauf Romeo et Juliette et permettent alors à l'actrice de briller plus encore; ou parce que la nourrice est, dès l'origine sur le papier, le meilleur personnage de la pièce. Cependant, ça n'enlève rien à la force du travail d'Oliver qui fait des merveilles avec son rôle, en faisant notamment preuve d'un humour burlesque dont on ne se lasse pas. Le film, sur lequel je reste mitigé, a beau avoir des qualités à l'image de sa photographie et de ses décors idylliques, on ne peut que regretter que l'interprétation ne suive pas, de quoi renforcer mon admiration pour Edna May Oliver qui se charge de rattraper cet aspect là.


Gail Patrick - My Man Godfrey: Aux antipodes de Carole Lombard et Alice Brady, Gail Patrick incarne la seule femme de la famille Bullock capable de faire preuve d'intelligence et de discernement, atouts qu'elle utilise pour servir des intérêts pas toujours louables, ce en quoi elle apparaît comme plus complexe que les précédentes. En outre, elle n'oublie pas de rester extrêmement drôle bien qu'elle n'ait pas le degré de folie de ses consœurs, et force est de reconnaître que son sens de la repartie et ses répliques sarcastiques au possible font de véritables merveilles qui alimentent de façon parfaite ses rapports ambigus avec William Powell. De fait, elle s'impose à travers ce personnage de garce qu'on ne peut s'empêcher d'adorer comme un classique instantané et ajoute à la perfection de ce qui reste à mes yeux la plus grande screwball comedy jamais tournée. Vraiment, un rôle très solide, renforcé par ailleurs par la classe monstrueuse de l'actrice.

Ça, c'est dit. Et à présent, je dois reconnaître qu'il m'est objectivement très difficile de départager Mary Astor, Alice Brady et Gail Patrick. Mais en dépit de ce choix cornélien, je vais finalement me décider pour la plus controversée des trois et voter pour...

Alice Brady - My Man Godfrey

Certes, vous allez tous hurler au scandale et m'objecter que Gail Patrick compose un personnage infiniment plus complexe, et d'un humour nettement moins agaçant, que l'Angelica Bullock d'Alice Brady, mais à titre personnel je suis tellement fan de cette dernière et de son travail dans le film que je ne me vois vraiment pas voter pour l'une de ses excellentes concurrentes. Peut-être est-ce mon goût pour les personnages excentriques qui veut ça, mais voilà quatre ans que je ris au éclats avec la même intensité devant ses innombrables répliques toutes plus hilarantes les unes que les autres, ce qui décidément me conforte dans mes positions, et me fait bel et bien penser que oui, il faut un considérable talent pour parvenir à créer quelque chose d'aussi mémorable à partir d'une simple caricature. En outre, j'adore Alice Brady dans ses autres rôles, ce qui n'est pas vraiment le cas de Gail Patrick, de quoi jouer également en faveur de la première. Sur ce, je classe Mary Astor troisième puisqu'elle est à nouveau excellente sans que Dodsworth soit pour autant son plus grand rôle, Paulette Goddard quatrième pour son personnage inoubliable dans l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'histoire du cinéma, puis Edna May Oliver cinquième pour sa capacité à sauver à elle seule une partie de son film.

Et maintenant, la minute Sylvia Fowler à propos des performances...

dignes d'un Oscar: Mary Astor (Dodsworth), Alice Brady (My Man Godfrey), Gail Patrick (My Man Godfrey): voir ci-dessus.




dignes d'une nomination: Paulette Goddard (Modern Times), Edna May Oliver (Romeo and Juliet): voir ci-dessus. Jane Darwell (Craig's Wife): parce qu'avec une performance très sobre et d'une grande humanité, elle parvient à laisser une très forte impression dans cette histoire vampirisée par le génie de Rosalind Russell. Jean Dixon (My Man Godfrey): je fais le choix de ne pas la nommer afin que My Man Godfrey ne phagocite pas toute la sélection, mais son charisme et ses reparties cinglantes sont réellement dignes d'une distinction. Helen Morgan (Show Boat): j'ai presque failli la sélectionner au détriment d'Edna May Oliver en raison de son rôle extrêmement touchant, mais puisque je l'ai déjà distinguée une autre année et qu'elle n'a fait que reprendre son personnage de Broadway, je maintiens ma sélection. N'en reste pas moins une très grande performance d'actrice et de chanteuse qui vole allègrement la vedette à une certaine Irene Dunne.


séduisantes: Olivia de Havilland (Anthony Adverse): parce qu'elle est vraiment la seule du casting à m'avoir donné envie de tenir jusqu'au bout, en donnant assez de caractère à son personnage pour ne pas en faire la cruche qu'on aurait pu attendre. Myrna Loy (The Great Ziegfeld): dès qu'elle entre en scène au bout de deux heures, elle capte tout le regards, rend la prestation de William Powell bien plus intéressante, et fait rapidement oublier Luise Rainer qui a pourtant le meilleur rôle. La preuve que Myrna Loy est toujours fabuleuse. Hattie McDaniel (Show Boat): parce que, comme toujours, elle sait comment rester parfaitement mémorable avec le peu à sa disposition, tout en se montrant à nouveau très drôle. Jessie Ralph (San Francisco): juste parce que j'ai un faible pour l'actrice bien qu'elle ne serve pas à grand chose ici. Alison Skipworth (The Princess Comes Across): un personnage sincèrement amusant qui peine cependant à égaler le génie de Carole Lombard. Zeffie Tilbury (Desire): on la voit relativement peu à l'écran, mais en exprimant de touchants regrets par ses regards, elle en devient absolument inoubliable. Dennie Moore & Natalie Paley (Sylvia Scarlett): la première est très drôle, la seconde est très classe, et c'est ma foi fort rafraîchissant. Catherine Doucet & Alma Kruger (These Three): deux rôles joués de façon adéquate, même si rien ne bat le brillant de Fay Bainter et Miriam Hopkins dans le remake de 1961. Spring Byington, Elisabeth Risdon & Margaret McWade (Theodora Goes Wild): trois rôles amusants, mais ça s'arrête là. Encore que la tête de McWade lorsque son chat se fait coincer la queue dans une porte vaille son pesant d'or.


sans saveur: Beulah Bondi (The Gorgeous Hussy), Bonita Granville (These Three), Maria Ouspenskaya (Dodsworth): voir ci-dessus. Helen Broderick (Swing Time): parce que moins drôle, tu meurs, ou alors, tu t'appelles Zasu Pitts et ce n'est pas bon signe du tout! Rendez-nous Alice Brady! Genevieve Tobin (The Petrified Forest): le film est excellent, de même que Bette Davis et Leslie Howard, mais Genevieve Tobin semble quant à elle avoir perdu tout son piquant en passant au registre dramatique. Dommage. Helen Westley (Show Boat): un personnage antipathique dont on n'a vraiment que faire.


ratées: Gale Sondergaard (Anthony Adverse): ce n'est pas foncièrement mauvais, mais ça reste tout de même très mal calculé. Anita Louise (Anthony Adverse): non contente de jouer comme une lycéenne au bal de fin d'année, elle achève de faire de Maria une gigantesque cruche dont on se contrefiche entièrement. Luise Rainer (The Great Ziegfeld): voir ici. Lucile Watson (The Garden of Allah): heureusement pour elle, elle ne tient qu'un tout petit rôle qui passe presque inaperçu, aussi n'a-t-elle pas le temps de se noyer dans ce film vraiment mauvais. Ceci dit, sa mère supérieure qui, telle une énième conseillère d'orientation très pertinente, incite Marlene à partir se retrouver au Sahara, n'en fait pas une grande performance pour autant.

mardi 9 avril 2013

Oscar de la meilleure actrice 1935

Au programme:

* Elisabeth Bergner - Escape Me Never
* Claudette Colbert - Private Worlds
* Bette Davis - Dangerous
* Katharine Hepburn - Alice Adams
* Miriam Hopkins - Becky Sharp
* Merle Oberon - The Dark Angel

Sans surprise, Bette Davis remporta son premier Oscar en 1935 pour Dangerous Of Human Bondage. En effet, tout le monde s'accorde à dire que sa victoire fut le premier prix de consolation de l'histoire des Oscars après que les pressions de Jack Warner empêchèrent l'actrice d'être officiellement nommée l'année précédente pour son premier grand rôle. Et sa troisième place obtenue grâce aux write-in nominations n'était bien entendu qu'un bien maigre dédommagement, d'où son prix assuré en 1935, quoique l'actrice couronnée fût la première à reconnaître qu'elle ne le méritait pas pour ce rôle.

Une fois n'est pas coutume, on sait quelles furent les candidates qui talonnèrent Davis dans le classement final, de quoi me faire enrager en pensant que Miriam Hopkins aurait gagné (pour son unique nomination, le comble!) si sa rivale l'avait emporté en 1934. Notons que certaines sources citent Elisabeth Bergner à la place d'Hopkins, ce qui est tout à fait possible puisque l'actrice européenne était paraît-il très populaire à cette époque. En tout cas, aucune de ces actrices, énergiques à souhait, et venant tout juste de concourir à Venise pour ces mêmes rôles l'été d'avant, ne pouvaient passer inaperçues, même si leur films ne furent pas reconnus dans d'autres catégories aux Oscars, pas même Becky Sharp, la première production très attendue tournée intégralement en Technicolor trichrome. 

Quant aux autres, Katharine Hepburn finit pour sa part troisième, ou seconde selon les sources, mais sa victoire était encore trop récente, et trop controversée, pour donner aux votants l'envie de la récompenser cette fois-ci, bien que la performance fût célébrée de toutes parts, y compris par Bette Davis, et qu'Alice Adams décrochât une nomination au titre de meilleur film, d'où une très bonne visibilité pour son interprète. Il était encore moins urgent de couronner à nouveau Claudette Colbert, tout juste sacrée l'année précédente, mais l'habitude de l'Académie de toujours renommer les anciennes lauréates aussi vite que possible, et le contre-emploi dramatique de l'actrice par rapport à son succès comique dans It Happened One Night, lui permirent d'être citée pour un film standard uniquement distingué dans cette catégorie. Enfin, Merle Oberon, tout droit débarquée du cinéma britannique et déjà remarquée dans The Private Life of Henry VIII, fut une véritable sensation à l'époque, mais elle était sans doute trop nouvelle à Hollywood pour prétendre l'emporter face à des consœurs déjà plus célébrées, malgré le fort désir de certains réalisateurs, William Wyler en tête, de travailler avec elle suite à son portrait d'Anne Boleyn deux ans plus tôt.

Quoi qu'il en soit, parmi ces grands noms tous plus alléchants les uns que les autres, quels seront, à votre avis, ceux qui auront l'insigne honneur de rester dans ma liste? La réponse tout de suite!

Je retire:

Elisabeth Bergner - Escape Me Never: A bien des égards, l'actrice tout comme son film, réalisé par son mari Paul Czinner, revêtent une dimension quasi mythique avant même de poser les yeux sur l'oeuvre. Le film parce qu'il est presque impossible de le visionner aujourd'hui, et encore moins dans une copie décente; l'actrice parce qu'une dame excentrique à souhait, partie du fin fond de la Galicie pour connaître son heure de gloire à Hollywood, sur qui Marlene Dietrich ne tarissait pas d'éloges et qui aurait, cerise sur le gâteau, inspiré le personnage de Margo Channing, ne peut tout bonnement pas laisser indifférent. Ainsi, j'aurais adoré prendre plaisir devant son travail dans ce film, mais je dois avouer que son approche pour le moins... exacerbée n'est pas franchement ma tasse de thé. Car il faut bien le dire, elle est survoltée au point d'être exaspérante et il n'est pas une séquence où elle ne laisse le spectateur souffler cinq secondes. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si elle entre en scène en se débattant comme une forcenée avant de courir dans tous les sens, menaçant même de sauter par la fenêtre. Vient ensuite le temps des explications où elle prend une voix de petite fille vite agaçante: "Yes I did!" "No I don't!", bien qu'elle se coupe parfois dans son élan pour parler avec un timbre plus adulte qui sied mieux à son humour: "But my good woman, I was hungry!", dit-elle à la dame qui l'accuse de vol. Finalement, une fois qu'on s'habitue à sa drôlerie décontractée, sa performance fait meilleure impression, notamment lorsqu'elle dit sans jamais voir le problème qu'elle n'avait pas la vocation pour être nonne parce qu'elle se pensait enceinte! Mais tout de même, elle en fait toujours des tonnes, elle gesticule et grimace sans arrêt, caresse au passage le menton d'un boucher, mais tout ça sonne de plus en plus faux à mesure que le film prend une tonalité tragique. Le déséquilibre est encore accentué lorsqu'elle entreprend un virage à 180° dans ses moments les plus dramatiques pour parler à voix basse et rester figée comme une statue, malgré une bonne scène enfin normale avec Penelope Dudley-Ward. Autrement, son accent très prononcé rend ses répliques pas toujours très compréhensibles bien que les sonorités restent délicieuses, et la forte personnalité de l'actrice séduit assez pour toujours intéresser un minimum, c'est toujours ça de pris.


Claudette Colbert - Private Worlds: Ouf! J'ai enfin pu remettre la main sur cette œuvre rarissime, et se rafraîchir la mémoire a du bon, car sans être plus séduisante qu'à l'origine, la performance d'actrice reste en fait très cohérente, et nettement moins froide que dans mon souvenir. Ceci dit, la froideur est un élément essentiel pour la réussite de cette composition, puisque nous parlons bien d'une héroïne psychiatre, ce qui oblige l'actrice à sortir des sentiers battus en laissant de côté son naturel pétillant, afin de garder tout son sérieux et sa retenue. De cela, elle s'acquitte le mieux du monde et brosse un tableau fort réaliste d'une profession médicale, étant toujours à la fois grave et courtoise, ou sérieuse bien que souriante devant ses patients, comme un vrai médecin, et sa force de conviction face au fugueur sonne tout à fait juste, de même que son ton rassurant face à un nouvel arrivant. A vrai dire, même avec ses vêtements déchirés, elle sait se montrer rassurante, au point de faire totalement croire à son implication dans ce métier. Ceci dit, cette gravité apparente n'est que la base d'une performance avant tout centrée sur les relations affectives de l'héroïne, et lorsqu'on entre dans sa vie privée, on voit Jane faire parfois preuve d'humour, d'un humour néanmoins sans relief, lorsqu'elle applaudit aux bêtises de Joel McCrea, ou lorsqu'elle rit avec réserve sur son canapé. On entrevoit également des inquiétudes, elles aussi contenues pour bien coller à l'esprit du personnage, en particulier quand il est question de son avenir à l'arrivée de Charles Boyer, et l'on gagne petit à petit en émotions avec de la sécheresse ("What are your plans for me?"), de l'agacement parfaitement suggéré en un regard quand on s'étonne qu'elle soit une femme si haut placée, et du dépit devant l'évolution malheureuse de Joel McCrea. On notera même une certaine dose de déformation professionnelle dans cette performance, puisque l'héroïne parle toujours à ses amis comme à ses patients, qu'il s'agisse de rassurer Joan Bennett ou de faire un reproche à Joel McCrea, et ce avec toujours beaucoup de courtoisie. Dommage, néanmoins, qu'un personnage aussi sérieux peine à séduire, voire à captiver, et ce malgré une excellente scène où l'on voit enfin Jane faire de l'humour presque pétillant face à Charles Boyer lors d'une réception. Néanmoins, une fin pas du tout crédible et un personnage beaucoup trop sérieux pour être attachant ne rendent pas cette composition très mémorable, mais le portrait reste très cohérent.


Bette Davis - Dangerous: Vous allez m'accuser de mauvais esprit mais, pour être parfaitement honnête, il me faut reconnaître qu'en terme de personnages je préfère Joyce Heath à Mildred Rogers, probablement parce que la première est dotée d'un caractère beaucoup plus humain qui rassure davantage. Ceci dit, je reconnais qu'en terme de performances, Davis est plus impressionnante dans Of Human Bondage, quoique son rôle dans Dangerous fasse mouche à plus d'une reprise. Car si l'histoire est ici franchement improbable (cette fin, vraiment?), et si son jeu est de facto moins vigoureux et moins surprenant, l'actrice exploite tout de même plein de registres différents, et c'est toujours un ravissement pour moi de voir Davis composer une héroïne forte capable du pire comme du meilleur. Le problème, c'est que son interprétation manque cruellement de subtilité, ce qui détonne beaucoup trop dans cette intrigue qui demande un jeu davantage nuancé que dans Of Human Bondage. Parce qu'ici, les larmes forcées ou les regards bien trop lourds de sens pour faire croire à un sérieux repentir ne sont hélas pas vraiment crédibles. Cependant, rien que pour la puissance que Davis apporte au rôle, je considère ce travail comme très largement digne d'intérêt, bien qu'on soit encore loin de l'éclat de ses futures performances.


Merle Oberon - The Dark Angel: Honnêtement, j'aime beaucoup ce film, un divin mélodrame romantique avec tout ce qu'il faut d'élégance et de sentiments pour me faire jubiler, mais je reste toujours partagé sur la performance d'actrice. Tout d'abord, c'est clairement Fredric March qui domine l'histoire, surtout dans la seconde partie où il doit jouer sur son nouvel handicap sans jamais s'apitoyer sur son sort, et Merle n'a finalement plus qu'à jouer la fiancée aimante qui attend son retour, un personnage standard dont on comprend tout dès le début puisqu'elle fait d'emblée la différence entre son attirance plus marquée pour Fredric March, et son affection amicale pour Herbert Marshall. D'autre part, l'actrice parvient à être à la fois très charismatique ou assez mièvre selon les séquences, ce qui m'empêche d'apprécier totalement sa composition, bien que les aspects positifs l'emportent. Ainsi, elle use par moments d'une voix mélodramatique au possible qui a tendance à la rendre un peu fade ou vaporeuse ("Alan! Alan darling!" "Gerald! Gerald dear!"), et sa façon de s'effondrer en pleurs n'est pas toujours très crédible, pas plus que ses regards pétrifiés d'effroi lorsqu'elle entend les coups de canon. Par bonheur, elle réussit tout de même de véritables morceaux de bravoure, spécialement dans les passages où elle se retient d'être trop expressive. Par exemple, sa déception lors de ses retrouvailles avec March est extrêmement bien jouée, et c'est avec beaucoup de charisme et de dignité qu'elle s'exprime avec, cerise sur le gâteau, une larme au coin de l’œil qu'elle fait sortir sans aucune difficulté et qui étoffe joliment la scène. Elle est aussi très douée pour estomper ses sourires après des moments de gaieté, quand la guerre se fait sentir, et son dynamisme lui permet de créer une bonne complicité avec ses partenaires, quelle que soit la tonalité de la séquence. En somme, son jeu "physique" est presque parfaitement maîtrisé, de quoi renforcer sa sensibilité et se laisser émouvoir, même si vocalement elle a un peu tendance à rendre certaines répliques un peu fade. Dommage, car certaines scènes très convaincantes auraient suffi à la faire entrer dans ma liste autrement.


Ma sélection:

Katharine Hepburn - Alice Adams: Sous réserve de nouvelles découvertes, je considère pour le moment Alice Adams comme étant le plus grand rôle de Kate Hepburn avec Holiday, même si Bringing Up Baby, Long Day's Journey into Night et The Lion in Winter ne sont pas loin derrière. Mais vraiment, après ses premiers rôles de 1933 peut-être un peu trop secs pour vraiment créer la surprise, Alice Adams fait figure de révélation. Tout d'abord parce que le personnage est éminemment sympathique et que l'actrice sait très bien en capter la dimension universelle, à savoir cette capacité à toujours vouloir paraître ce que l'on n'est pas afin de plaire aux personnes dont on recherche l'estime. Pour ce faire, Hepburn compose une héroïne dynamique qui semble absolument moderne, surtout lorsqu'elle montre à quel point elle a conscience de faire sans cesse illusion pour séduire un homme bien plus fortuné. Mais si cette performance est autant réussie, c'est également parce que l'actrice fait des merveilles en dévoilant ses émotions, notamment lorsqu'elle tente de masquer ses déceptions par des sourires embarrassés, principalement lors d'un désastreux dîner mal préparé qui ne trompe pas son monde. De fait, Hepburn cherche constamment à rester sur la ligne très nuancée de la jeune fille bien trop sensible pour être crédible en arriviste voulant s'élever dans la société, et c'est justement ce parfait équilibre entre illusion et conscience de l'illusion qui achève de rendre le personnage aussi touchant. C'est également un réel délice d'observer une actrice aussi démonstrative qu'Hepburn composer une héroïne tout en nuances sans jamais donner l'impression d'en faire trop. Et c'est aussi une assez bonne surprise de découvrir un personnage dans le fond moins snob qu'à l'accoutumée, ce qu'on entrevoit parfaitement dans les blessures de cette jeune fille méprisée par ses pairs lors du bal, et dans la grande complicité que l'actrice parvient à créer avec ses parents de classe moyenne, moments où le masque de ses aspirations tombe légèrement pour révéler tout le charme de l'héroïne. Pas étonnant, à la réflexion, que Bette Davis elle-même ait déclaré que c'est cette performance qui aurait dû l'emporter cette année.


Miriam Hopkins - Becky Sharp: Attention. Attention. Je vénère Miriam Hopkins et j'adore Becky Sharp, alors autant dire que la rencontre entre ces deux femmes de caractère reste une expérience absolument et totalement culte. D'ailleurs, je ne sais même pas par où commencer pour dire à quel point j'aime cette interprétation tant l'actrice me fait l'effet d'une bombe atomique par le charisme monstrueux et l'humour d'une férocité sans égal qu'elle ajoute au rôle. Il n'est ainsi aucune scène qui voie la tension retomber ne serait-ce qu'un instant, et l'aplomb du personnage est si irrésistiblement bien retranscrit par Hopkins que toutes ses répliques prennent un tour entièrement savoureux dans sa bouche. En fait, l'actrice est à mourir de rire à chaque seconde, qu'il s'agisse pour Becky de jeter autant de livres qu'elle le souhaite sur une série de bigots acariâtres, de flirter ouvertement avec ses futures proies devant des aristocrates engoncés dans leurs principes, avant de mépriser de front cette société à laquelle elle souhaite s'intégrer. En outre, Hopkins sait comment pratiquer l'autodérision d'une manière tout à fait rafraîchissante ("voici les portraits de mes grands-parents, respectivement duc et duchesse, que j'ai achetés aux puces la semaine dernière!"), et elle est encore irrésistible dans sa façon de se réjouir d'événements tragiques pour son profit personnel, principalement lors de l'approche de Napoléon, qu'elle envisage visiblement de séduire, de quoi conduire à ce climax époustouflant où Becky ne manque pas de comparer les jeunes soldats partant mourir à la guerre avec son propre petit-déjeuner, après avoir bien entendu spolié un hobereau de tout son argent! Pour ainsi dire, la grande force de cette performance, c'est que l'actrice ne montre jamais l'extrême amoralité de l'héroïne sous un jour négatif, et c'est justement ça qui est bon. Elle prend même la peine d'ajouter d'infimes nuances dans son jeu très démonstratif afin de révéler les doutes secrets du personnage, de quoi rendre Becky assez touchante, notamment lorsque celle-ci doit repartir du bas de l'échelle et qu'actrice comme héroïne doivent mettre leur orgueil de côté pour s'adonner à un ridicule numéro musical dont chaque mouvement est à la fois drôle et tragique. En clair, l'approche de ce personnage entièrement excessif fait des merveilles, et pour moi c'est un régal absolu.


Irene Dunne - Magnificent Obsession: Techniquement, le film n'étant sorti que le 30 décembre 1935, je suppose que ç'aurait été éligible pour l'année suivante, mais comme l'histoire des Oscars a prouvé que l'Académie n'a pas toujours été très regardante sur les dates, je considère qu'un film sorti à Hollywood en 1935 doit concourir pour l'année 1935. Voilà qui me permet d'inclure l'immense Irene Dunne à ma liste de prix, et ce dans un rôle qui lui valut de bonnes critiques à l'époque, principalement à cause de cette longue deuxième partie qui lui demande d'incarner une personne aveugle. De cette difficulté, elle s'acquitte fort bien en n'oubliant pas un seul instant le handicap de son personnage, démarche ralentie et bras tâtonnants à l'appui, mais cependant, ce n'est pas ce qui fait la force de cette composition. Car la grande réussite d'Irene, c'est précisément d'éviter constamment toute inflexion mélodramatique dans son jeu, afin de ne jamais renforcer un propos déjà très lourd sur le papier. Ainsi, elle reste toujours parfaitement digne et sérieuse, et ne se plaint absolument jamais de ce qui lui arrive, depuis son veuvage à son accident, et elle prend également bien soin d'ajouter des touches lumineuses à l'histoire, principalement lorsqu'elle noue des relations avec des gens qu'elle ne peut plus voir, de sa petite voisine au responsable de ses malheurs. En fait, l'actrice a beau rester sur une tonalité assez grave dans une grande partie du film, elle n'en cherche pas moins toutes les voies possibles pour détailler son personnage, ce qui est notamment visible dans le climax parisien lorsque vient le temps d'explications tout en douceur, où perce même une pointe d'humour derrière la façade très posée de l'héroïne. Pour ainsi dire, l'alchimie de la star avec un Robert Taylor particulièrement dynamique fonctionne parfaitement, au point de ne jamais donner l'impression qu'un tel mélodrame suintant les bons sentiments par tous ses pores puisse paraître daté de nos jours. C'est donc à une Irene Dunne dramatique dans toute sa splendeur que nous avons affaire ici, aussi une nomination dans la liste officielle n'aurait-elle absolument pas déparé.


Greta Garbo - Anna Karenina: Je sais, vous allez me dire que ça manque d'originalité, mais lorsque je vois l'actrice la plus mythique de l'histoire du cinéma incarner l'une des héroïnes les plus légendaires de l'histoire de la littérature, il m'est absolument impossible de faire l'impasse sur une performance aussi scintillante, et ce d'autant plus que le film est une réelle réussite. Après, il faut reconnaître qu'elle n'atteint pas ici les mêmes sommets que dans Camille ou Queen Christina, et que son interprétation n'est guère surprenante : Garbo y fait du Garbo, à grand renfort d'envolées lyriques et d'inflexions toujours très théâtrales, mais cette approche sied finalement fort bien à ce personnage, à qui il ne déplaît pas de se mettre en scène à l'occasion. De surcroît, l'actrice se révèle tellement lumineuse dans la première partie festive qu'elle accroche le regard en un clin d’œil, et donne constamment envie de s'intéresser à cette héroïne brillante qui peut se permettre le luxe de résoudre des problèmes conjugaux tout en papillonnant avec allégresse lors d'une mazurka; le seul défaut de la star étant qu'elle ne sait absolument pas danser et se contente alors de courir sur la piste! Dans l'absolu, disons que l'éclat de cet étincelant début est sans doute ce que je préfère, en particulier l'humour dont fait preuve l'actrice lorsqu'elle raconte ses émois de jadis, mais cela n'enlève en rien la force de cette composition dans la suite du film, tant Garbo parvient à être émouvante dans ses rapports avec les trois hommes de la vie d'Anna (son amant, son mari et son enfant), a fortiori parce qu'elle ne cède que progressivement au drame, sans offrir une vision trop déprimante de l'héroïne trop vite. Et il faut encore ajouter à son crédit qu'elle domine entièrement son partenaire, un Fredric March étonnamment falot, bien qu'elle ne parvienne pourtant pas à s'imposer autant que certains des seconds rôles qui lui font face, dont la Kitty énergique et spontanée de Maureen O'Sullivan, et surtout un éblouissant Basil Rathbone qui s'arrange pour laisser une impression si forte que même son illustre partenaire s'efface quelque peu dans leur dialogues en commun. Malgré tout, Garbo est Garbo, et la réussite est ici indéniable, alors impossible de me passer d'une performance qui me ravit à chaque fois.


Ann Harding - Peter Ibbetson: Lors d'une année très riche en mélodrames romantiques, après Irene Dunne et Merle Oberon, c'est au tour d'Ann Harding de se distinguer en évitant les pièges tendus par un scénario très rocambolesque, pas loin de flirter avec un certain type de mièvrerie dans son finale fantasmé. Il est d'ailleurs assez intéressant de relever que ce rôle fait encore débat aujourd'hui, certains trouvant l'actrice trop sérieuse pour un personnage rêvé et tant désiré par le héros, d'autres estimant qu'il s'agit là de sa meilleure interprétation, Ann Harding ayant justement pris soin d'abandonner ses tics théâtraux de Holiday pour faire montre de toute sa subtilité. Sans surprise, je suis de la seconde catégorie, l'actrice étant à mes yeux plus qu'honorable dans ce rôle difficile qui aurait pu être absolument désastreux si une autre actrice s'en était emparé avec moins de dextérité. Car dans le détail, Harding donne vraiment une grande force de caractère à l'héroïne, de quoi assurer parfaitement la liaison avec la fillette charismatique esquissée par Virginia Weidler, et de quoi faire également digérer une histoire assez lourde sur ces amants déchirés qui ne peuvent se fréquenter que dans un rêve idyllique qu'ils font en commun. La duchesse fait ainsi une entrée en scène fracassante en tenant tête à Gary Cooper, avec qui elle échange un lot de répliques pour le moins électrisantes, et force est constater que l'actrice n'oublie jamais la forte personnalité de l'héroïne, en trouvant notamment le bon équilibre entre la femme forte et l'épouse un brin apeurée devant son mari jaloux. Ce qui est un peu dommage, c'est que le long finale, centré sur Gary Cooper en état végétatif, fait de la duchesse un personnage presque secondaire, si bien qu'à force de gambader dans les champs en déclamant son amour, son charisme a tendance à s'estomper par moments, bien qu'il faille rendre grâce à l'actrice de ne jamais céder aux facilités d'un jeu mélodramatique, ce qui lui permet de réciter un texte presque mièvre sans jamais le rendre niais. En cela, la nomination me semble vraiment méritée, même si c'est surtout la partie centrale au château qui donne toute sa force à cette composition.

Voilà donc pour ma sélection, dont je me demande juste, finalement, si parmi toutes les tenantes du mélodrame, Merle Oberon n'aurait pas pu se glisser dans la liste au détriment d'Irene Dunne ou Ann Harding. Il est d'ailleurs intéressant de savoir qu'en visionnant le finale rêvé de Peter Ibbetson, je n'avais de cesse d'imaginer Oberon donner la réplique à Gary Cooper. Néanmoins, Harding me semble précisément moins mélodramatique, notamment dans son timbre, que sa consœur britannique, aussi resté-je sur mes positions. En attendant, vous aurez donc compris que l'Oscar 1935 se joue pour moi entre Katharine Hepburn et Miriam Hopkins. And the winner is...


Miriam Hopkins - Becky Sharp

Est-il possible de le nier? J'adore ce film et cette performance d'actrice, qui comptent parmi les expériences cinématographiques les plus drôles du monde, et vous avez dû comprendre depuis le temps que Miriam est mon idole ultime! Il est donc plus que nécessaire de la sacrer pour l'un de ses brillants premiers rôles, et ils sont légion, aussi 1935 est-il un moment plus que parfait pour ce faire, tant son peps et son charisme foudroient tout ce qui existe alentour, et tant Becky est l'un des personnages les plus délicieusement antipathiques portés à l'écran. Je suis donc totalement du côté de l'actrice comme de l'héroïne, et la rencontre entre les deux est un tel crépitement que je ne peux plus me lasser de voir et revoir le film. Partant de là, Kate se classe assurément seconde pour son excellence absolue dans son propre registre, devançant ainsi Garbo pour une nouvelle création des plus éblouissantes. Vient ensuite Irene Dunne pour son gigantesque talent à toujours éviter le mélodrame même dans ses projets les plus risqués, puis Ann Harding pour l'énorme charisme dont elle fait preuve lors des retrouvailles des héros devant les écuries du château.

Et à présent, la parole est à Sylvia Fowler pour le traditionnel classement des performances...

dignes d'un Oscar: Katharine Hepburn (Alice Adams), Miriam Hopkins (Becky Sharp): sans l'ombre d'un doute, l'Oscar 1935 se joue exclusivement entre ces deux immenses interprétations qui me ravissent au plus haut point.




dignes d'une nomination: Irene Dunne (Magnificent Obsession), Greta Garbo (Anna Karenina), Ann Harding (Peter Ibbetson): voir ci-dessus.





dignes d'intérêt: Bette Davis (Dangerous): voir ci-dessus. Jean Arthur (If You Could Only Cook), Mary Boland (Ruggles of Red Gap), Claudette Colbert (She Married Her Boss), Carole Lombard (Hands Across the Table), Jeanette MacDonald (Naughty Marietta), Ginger Rogers (Roberta) (Top Hat): autant de performances comiques qui restent toutes très drôles, mais clairement pas au point d'espérer passer la barre des nominations, bien que dans le peloton, Carole Lombard soit la plus à même de sortir en tête. J'ai tout de même du mal à trouver qu'elle sorte des sentiers battus, et ses rôles comiques des années suivantes sont encore meilleurs. Marlene Dietrich (The Devil Is a Woman): puisqu'il s'agit d'une gigantesque parodie de tous ses films précédents, cette performance en devient irrésistiblement hilarante, notamment lorsqu'elle fait exprès de jouer très très mal pour exprimer la colère. Pour tout vous dire, j'hésite toujours à la faire entrer dans ma liste tant le parti-pris d'humour et de drôlerie est payant dans ce film. Irene Dunne (Roberta): un rôle musical sympathique qui peine cependant à s'imposer face à une Ginger Rogers plus dynamique. Merle Oberon (The Dark Angel): voir ci-dessus. Margaret Sullavan (The Good Fairy): si elle est un peu agaçante quand elle force dans le mode pauvre petite chose fragile, elle est heureusement fort charmante dans le reste du film, surtout amusée derrière son éventail ou maladroite en rangeant de la vaisselle, et elle ne se laisse pas dominer par ses partenaires.


sans saveur: Elisabeth Bergner (Escape Me Never): voir ci-dessus. Claudette Colbert (Private Worlds) (The Gilded Lily): le second film m'a également beaucoup déçu, puisque après un amusant dialogue mêlant existentialisme et cacahuètes dans un jardin public, les situations tombent constamment à plat. Miriam Hopkins (Barbary Coast): Boucles d'Or chez les gangsters... Comme c'est Miriam, je prends nécessairement un plaisir non feint devant sa performance, mais on est franchement bien loin de ses meilleurs travaux.


à découvrir: Marion Davies (Page Miss Glory), Jean Harlow (China Seas), Myrna Loy (Wings in the Dark), Merle Oberon (The Scarlet Pimpernel), Luise Rainer (Escapade), Barbara Stanwyck (Annie Oakley).




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