dimanche 2 mars 2014

Difficile.


Je mange de tout sauf du poireau (et des choux de Bruxelles, mais ça, c'est normal). En effet, je n'ai jamais rechigné à goûter des mets pour lesquels je n'ai pas une grande sympathie, des poires belle Hélène aux piments, en passant par les ananas et les poivrons; j'ai même accepté d'ingérer du saucisson pour faire plaisir à des hôtes bavarois, et je n'ai jamais laissé le moindre brocoli dans le coin de mon assiette, toute grande fût la tentation d'en faire tomber involontairement dans le pot de fleurs le plus proche. Eh bien, croyez-le ou non, mais malgré tous mes efforts surhumains pour manger plein de légumes variés pendant toute mon enfance, je n'ai pu échapper à une insupportable belle-mère cherchant à plaquer des réalités totalement fantasmées sur les gens, qui fit un jour remarquer à son délicieux lignage: "Bah, comme tous les enfants, il n'aime pas les légumes. Il est difficile." Blessé par tant d'injustice, ma réaction fut sans appel...


... mais par souci d'honnêteté, je veux bien admettre qu'effectivement, dans certains cas, j'ai une forte tendance à être "difficile". Les différentes remises de prix cinématographiques de l'année 2013 sont d'ailleurs là pour le prouver.

Ainsi, je suis difficile car...


... je n'ai pas aimé La vie d'Adèle. Non, désolé, j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne supporte pas ce film interminable auquel je reconnais pourtant plein de qualités. Il est d'ailleurs effarant de voir que dès les premières minutes, l'impression était si bonne que j'étais parti pour lui mettre un bon 8/10, avant de descendre à 7, puis à 6, puis à 5, dans une dégringolade assez vertigineuse. Parmi les qualités, je reconnais que oui, il y a de bonnes idées de mise en scène (le banc sous l'arbre en fleurs, Adèle disparaissant dans la rue, entre autres), oui, la tonalité très naturaliste, presque documentaire, reste une force incontestable pour toucher le spectateur (malgré mon goût plus prononcé pour des points de vue plus mélodramatiques), et oui, mille fois oui, les actrices jouent superbement bien. Je ne suis d'ailleurs pas du tout fan de Léa Seydoux dans l'immédiat, mais je n'ai que des éloges à lui faire pour ce film, et bien entendu, Adèle Exarchopoulos est une telle révélation qu'un César de la meilleure actrice tout court et un prix d'interprétation cannois auraient été amplement mérités. Et le plus incompréhensible dans tout ça, c'est que j'ai vécu une histoire aussi dure que celle d'Adèle, une histoire éprouvante qui m'a tué à petit feu pendant sept ans et dont je ne suis pas sûr d'être tout à fait remis, si bien que j'aurais dû être absolument bouleversé par le propos.

Cependant, quelque chose n'a pas fonctionné. Déjà, puisqu'on parle d'amour, pourquoi le filmer comme un tableau de Diane au bain, aiguisant ainsi le désir du public pour les corps féminins tout en discréditant la force des sentiments que les actrices s'échinent à retransmettre par ailleurs? Et pourquoi passer deux très longues heures sur une histoire de plus en plus statique qui m'a, et ça ne m'arrive pourtant jamais, incité à regarder ma montre à plus d'une reprise? Non, cette torpeur de gestes quotidiens a eu raison de mon goût pour les amours intenses et déchirantes, et je dis ça alors que j'ai découvert le film avant la BD. Ce n'est en effet que le lendemain que j'ai mis la main sur l'éblouissante oeuvre de Julie Maroh, où j'ai justement retrouvé cette intensité et ce déchirement que la réalisation de Kechiche a aboli à mes yeux. Et certes, j'admets que le film avait parfaitement le droit de différer du livre, mais l'évidence demeure: je préfère cent fois passer quelques minutes avec la BD la plus poignante de ma collection plutôt que trois heures avec un film sans magie qui peine finalement à me toucher.


... je n'ai pas aimé Blue Jasmine. Alors je sais que comparé aux deux derniers très gros navets du maître, Blue Jasmine fait figure de renaissance et passerait presque pour un chef-d'oeuvre, mais je ne suis pas convaincu pour autant. Déjà, la trame générale est paresseuse malgré une projection plus personnelle du scénariste via des indices sur sa propre vie (sur laquelle je n'ai aucun avis à donner, lâchez-moi!), et cette impression d'un plat réchauffé nommé Désir a bien du mal à m'emballer. Mais là, je me démarque peu puisque le film en lui-même n'est que très rarement cité comme l'un des meilleurs de l'année. Non, là où je suis manifestement "difficile", c'est sur la question des personnages, et par conséquent des interprètes. En effet, la performance de Cate Blanchett est unanimement louée dans toutes les critiques possibles et imaginables, et je reconnais que c'est effectivement mérité. Oui, Cate s'est investie à fond dans le rôle et elle est techniquement parfaite : elle suggère tout ce qu'il faut au bon moment, elle ne commet jamais l'erreur de se révéler sous un jour plus sympathique et choisit justement de rester toute aussi garce que pathétique, elle pleure extrêmement bien, séduit avec tout autant de facilité, et assure parfaitement la connexion entre les différents états d'âme de Jasmine. On peut donc le dire sans honte aucune : c'est un sans faute très bien rodé qui mérite amplement toutes les louanges qu'on peut lui faire, mais dans le même temps, impossible d'être vraiment enthousiaste devant cette expérience. En fait, j'ai surtout l'impression d'avoir vu Cate dire: "Regardez, je vais vous montrer ce que je sais faire", mais je ne conçois pas vraiment l'intérêt d'un tel rôle. Peut-être l'effet de non-surprise après Blanche DuBois est-il en cause, mais pour le coup, la performance de Cate me paraît trop technique, trop "prétexte", et somme toute assez peu novatrice pour emporter l'adhésion. Mais c'est quand même exceptionnel. Je suis perplexe. Idem pour Sally Hawkins, heureuse bénéficiaire d'un rôle plus subtil et retenu dont elle restitue toute la saveur mais qui ne me séduit aucunement pour les mêmes raisons. Je suis donc vraiment trop "difficile", sans doute. Je ne saurais dire.


... je suis très mitigé sur 12 Years a Slave. C'est vraiment le film qu'il est de bon ton d'aimer actuellement, et pourtant, je n'en suis absolument pas fan, même si là encore je lui reconnais bon nombre de qualités. Parmi elles, une photographie magnifique qui tranche avec l'horreur du propos, propos qu'il m'a fait énormément de bien d'entendre, pour moi qui vit dans un cocon où le Vieux Sud fantasmé de Margaret Mitchell fait figure de référence. En cela, le film est fort et doit effectivement être montré. Toutefois, ce n'était pas une raison pour faire des raccourcis aussi simplistes que: le Nord = l'Eden où tout le monde est gentil et courtois, vs le Sud = l'Enfer où tout le monde est raciste et vraiment très méchant. En effet, les personnages sont tellement didactiques qu'ils en deviennent extrêmement indigestes d'un point de vue scénaristique. C'est surtout le cas des Blancs dont tous les personnages, de l'épouse jalouse au contremaître inculte, sont à peine esquissés pour mieux servir leur prétexte premier. En fait, seuls Brad Pitt, nécessaire à l'avancement de l'intrigue, et Benedict Cumberbatch, un peu plus nuancé, sortent vaguement du schéma "bien vs mal", mais ils sont aussi très secondaires. Des personnages très racistes étaient cependant incontournables pour bien coller aux tristes réalités d'alors, mais leur traitement manque néanmoins de subtilité. Heureusement, les performances d'acteurs corrigent le tir, notamment Sarah Paulson qui tente de suggérer plusieurs dimensions à partir de son personnage très stéréotypé, et surtout Michael Fassbender qui par son intensité donne une grande complexité à cet homme foncièrement mauvais et fermé d'esprit.

Du côté des esclaves, on ne peut évidemment qu'être touché par l'horreur de leur sort, mais paradoxalement, les performances des acteurs en pâtissent quelque peu, dans la mesure où ils n'ont qu'à se laisser porter par le propos et les effets spéciaux. Chiwetel Ejiofor est par exemple très émouvant, et fait bien ressortir les tourments du héros (même si sa résignation me semble un peu trop rapide), mais je ne trouve pas sa caractérisation éblouissante outre mesure. Le cas est similaire pour Lupita Nyong'o, celle du casting qui a le plus de chances de remporter un Oscar dans quelques heures, puisque si son personnage est aussi touchant, c'est davantage à mettre sur le compte de la violence très crue dont Patsey est victime que sur le (bon) travail de l'actrice qui n'a finalement qu'à montrer des réactions similaires lors de ses apparitions. Quant à Eliza, autre personne libre qui tombe en esclavage, elle disparaît trop vite, et je suis assez perplexe sur sa façon de pleurer sur commande tout en s'entrecoupant par des moments de dialogues plus fermes. En fait, le personnage le plus intéressant reste à mon avis Harriet Shaw, campée par la toujours impressionnante Alfre Woodard, qui bénéficie d'un statut vraiment complexe, et dont le comportement indécent donne constamment envie d'en savoir plus sur elle.

Je suis donc assez mitigé sur l'ensemble: c'est un bon film, c'est fort bien joué, et ça fonctionne surtout très bien parce que le tableau très réel et sordide dépeint par McQueen est vraiment très éprouvant pour le spectateur. Mais dans le détail, les performances d'acteurs ne me paraissent pas aussi exceptionnelles qu'on le dit, sauf peut-être celle de Fassbender.


Tout cela pour dire que je suis visiblement difficile à satisfaire en matière de cinéma. Je vais aller en cure de désintoxication chez Norma Desmond, ma psy de Sunset, mais il est vrai que devant tous ces films ou performances adulés de partout, j'ai l'impression d'avoir des attentes peut-être trop personnelles. Je me souviens par exemple d'une conversation Facebook assez violente où tous mes arguments en défaveur de La vie d'Adèle, bien qu'ayant pris soin d'en souligner les nombreuses qualités, étaient systématiquement battus en brèche par 99% des participants, comme si j'étais passé à côté du plus grand chef-d'oeuvre de tous les temps. Et là, je ne prends à témoin que les films les plus récents, mais ces réflexions peuvent également s'appliquer n'importe quelle autre année. Après tout, je n'aime toujours pas The Philadelphia Story après cinq tentatives... Mais pour en revenir à 2013, j'avoue que ces remises de prix m'excitent relativement peu, malgré la très grande qualité de certains rôles. Je crois que je complexe surtout sur Cate Blanchett. Il n'y a absolument rien à redire et peu d'actrices auraient été capables d'atteindre son niveau dans Blue Jasmine, mais je n'arrive vraiment pas à m'intéresser à cette performance. Je dois donc être "difficile" d'une façon ou d'une autre.

Sur ce, je m'en vais préparer une soupe. Sans poireaux.

5 commentaires:

  1. Tu n'as pas encore dit : "je n'ai pas aimé Gravity" (que j'ai aimé) ! Ni "je n'ai pas aimé Philomena" (que je n'ai pas adoré) qui font aussi partie des films à adorer en France ces temps-ci ...

    Pas vu La Vie d'Adèle (je n 'ai pas pu m'y résoudre), pas vu "12 years a Slave" mais vu Blue Jasmine que j'ai plus aimé que toi (en même temps ce n'est pas difficile) mais j'ai toujours été bon public pour les semi-drames, finalement asses snobs d'Allen et pour les interprétations démonstratives et bien rodées alors bon ... disons que je trouve qu'il y a quand même quelque chose d'assez jouissif dans ce sans-faute.

    L'Anonyme

    PS :

    Streep est assez ... euh ... à la limite du grotesque, en revanche.

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    1. Pas vu Gravity qui ne me tentait pas à l'époque, qui me fait actuellement très envie, et que je regrette d'avoir manqué. Idem pour Frozen... Pas vu non plus Philomena (malgré la caution Judi Dench), ni August, mais je vais très probablement céder pour celui-là, la chair est faible! Le seul problème, c'est que je suis actuellement très sensible à l'overdose de Meryl Streep, ce qui me fait oublier à quel point je l'aimais jadis.

      Sinon, j'adore les personnages snobs de Woody Allen (surtout Diane dans Manhattan!), mais j'avoue que dans certains cas, la magie ne fonctionne pas (Judy Davis dans Husbands and Wives, Dianne Wiest dans Bullets Over Broadway, Cate dans Blue Jasmine). Je n'ai aucune explication rationnelle à donner, question de ressenti je suppose.

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  2. Oui, en même temps c'est très cohérent (le trio qui tu donnes je trouve) et j'ai beaucoup pensé à Judy Davis en regardant Cate Blanchett. A méditer je pense, il doit y avoir quelque chose là dessous.
    Frozen c'est La Reine des neiges ? (Un moment j'ai pensé au film avec Melissa Leo dont j'ai oublié le titre). C'était très bien, mais j'ai trouvé les ficelles apparentes.

    Moi aussi je fais une overdose de Meryl Streep (aux oscars au moins) d'autant plus cette année que j'espérais un retour d'Emma Thompson quelque part. Bref, tu nous diras ce que tu as pensé d'August (LE film qui ne donne pas envie d'aller dans l'Oklahoma) mais enfin la performance de Streep partage. Mon ami a trouvé que c'était une des meilleures interprétations de la dame et a presque pleuré ... moi j'ai trouvé qu'elle faisait un remake de Virginia Woolf sauf que Taylor jouait en fonction de critères 1960 (que j'adore au demeurant mais là face au jeu plus naturels des autres ... c'était parfois ridicule de pauses).

    Gravity c'est dommage parce qu'évidemment ça perdra de sa force en DVD, mais enfin ce qui est fait est fait (Bullock était étonnante).

    Bref, je retourne corriger mes copies, hein, parce que ça va deux minutes d'écrire des commentaires à ralonge alors que la rentrée est demain et que Maud Cunitz me tend les bras euh la voix ...


    L'Anonyme

    PS : mais quand même par principe

    1 - Blanchett
    2 - Bullock
    3 - Dench
    4 - Adams (un peu déçu)
    5 - Streep

    Comme ça c'est fait.

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    1. Oui, je parlais bien de La Reine des neiges qui m'intrigue énormément alors que je n'étais pas du tout tenté cet hiver... Mais 2013 aura été une année catastrophique en termes de cinéma, pas eu le temps d'y aller. Snif.

      Je te dirais mon avis sur August, mais je suis entièrement d'accord sur l'overdose streepienne vs le comeback thompsonien. Je n'ai pas encore vu Mr Banks mais Emma est un tel délice les soirs de remises de prix que j'aurais adoré la voir aux Oscars. Résultat: pas de nomination, pas de déplacement. Et puis ce serait encore mieux de la voir se remettre à faire de grands films comme il y a vingt ans.

      Pour le moment je n'ai jamais été fan de Sandra Bullock, mais je suis de plus en plus intéressé. En outre, elle a l'air sympa sur les tapis rouges.

      PS: tu corriges des copies de... quoi?

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  3. De français et de latin (mes élèves voient davantage d'extraits de films datant d'avant 1968 que la moyenne ...)

    La campagne et la victoire de Bullock en 2009 ça a été pour moi une espèce de divine surprise, comparable je pense à ce que les oscargasmeurs de 1940 ont pu vivre avec Ginger Rogers, de 1945 avec Joan Crawford, Turner en 1957 ou ceux de 1961 avec Piper Laurie (qui n'ont pas gagné mais bon ...) J'adore absolument les actrices considérées comme avant tout des stars du Box Office et qui, tout à coup, pour le bon film, sont révélées actrice dramatique avec la côté "oh mon Dieu mais elle sait jouer !" qui va avec, les prix, les gens qui ralent et tout et tout. Bon dans le cas de Bullock c'est accentué par mon âge aussi : elle faisait partie des actrices que j'ai identifiées quand j'ai commencé à aller au cinéma à la fin des années 90, d'où mon attachement (ça, les deux nominations antérieures au GG et le fait que je ne crache jamais devant une comédie romantique niaiseuse).

    L'Anonyme

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