lundi 1 décembre 2014

Boulevard des chaleurs

Cette semaine, j'ai découvert un film étonnant sur lequel j'ai bien du mal à avoir un avis concret, j'ai nommé Heat (1972), réalisé par Paul Morrissey et surtout produit par Andy Warhol.

Contre toute attente, c'est un film qui a très bonne réputation, avec 100% d'avis positifs sur Rotten Tomatoes et pas mal de louanges dès sa sortie en salle, ce qui n'est évidemment pas sans intriguer. D'autre part, le film porte la marque du légendaire Andy Warhol, qui a évidemment produit l'excellent album The Velvet Underground and Nico, mais dont je déteste le Diptyque Marilyn. Néanmoins, un film produit par Andy Warhol ne peut pas laisser indifférent, surtout quand l'icône Sylvia Miles en fait partie, que l'histoire se veut une parodie du monument Sunset Boulevard et que le générique est à base de Days of Steam de John Cale. Qu'en est-il concrètement?

Eh bien, comme le laissait penser la bande-annonce, Heat se caractérise avant tout par une certaine pauvreté visuelle. Inutile d'y chercher une quelconque prouesse technique, le film détonnant par une absence de cadrage (Sylvia Miles a-t-elle un front?), d'éclairage (hormis l'ombre d'une plante qui donne un effet assez joli sur le sein de Sylvia Miles) et de décors, si l'on excepte la piscine et la grande salle très glauque de cette villa d'ex-starlette de banlieue. D'un côté, cette absence de tout renforce le côté très cru du propos, ce dont témoigne encore l'absence de costumes. Car dans le monde merveilleux de Sally Todd, on se promène avec le moins de vêtements possible, voire sans vêtements du tout, et d'ailleurs, le seul type qui porte des pantalons se caresse sans craindre de faire des taches dedans. On a donc bien affaire à un Sunset Boulevard du pauvre, chose assez jouissive au demeurant puisque là où Norma Desmond pouvait se targuer d'avoir été une star, Sally Todd est une gigantesque never been qui s'y croit. D'ailleurs, pour bien enfoncer le clou, ses partenaires ne sont non pas un scénariste en cavale, un majordome funeste et une jeune scénariste distinguée, mais un bellâtre passé une fois à la télévision, une concierge grincheuse et une fille demeurée. A partir de là, débrouille-toi, et tente de faire un film à partir de rien, pour clore la trilogie entamée par Flesh and Trash, que je n'ai pas vus.

En fait, Heat fonctionne principalement grâce à la performance d'actrice. Déjà, il faut savoir que Sylvia Miles a toute ma sympathie depuis des années, depuis son amusant caméo de prostituée dans Midnight Cowboy à sa mégère castratrice qui martyrise ce pauvre James Mason dans Evil Under the Sun, en passant par son caméo plus triste dans Farewell, My Lovely, ses looks indécents parfaitement assumés, et son goût prononcé pour l'autodérision: non, elle ne mourra pas tant qu'elle n'aura pas gagné d'Oscar, tenez-le vous pour dit!

Dans tous les cas, le casting est ici parfait et Sally Todd est dans l'immédiat ce que je considère comme sa meilleure performance. Pour commencer, les séquences avec sa fille qui l'exaspère sont techniquement géniales: elle lui parle toujours fermement sans jamais exploser de colère, tout en instillant un peu de compassion et d'orgueil mal placé quand elle se targue d'être une bonne mère alors qu'elle se comporte comme une diva: "I'm a woman, not just your mother." "I tried to be a good mother, but I'm an actress." Et lorsqu'elle lève les yeux au ciel pour faire comprendre à son stupide rejeton qu'elle l'agace plus qu'autre chose, c'est mortellement drôle, surtout qu'elle ne se prive pas de la vampiriser de toutes parts pour contrôler sa vie sexuelle. Par ailleurs, les séquences avec le bellâtre lui donnent encore l'occasion d'ajouter quelques morceaux de bravoure à sa performance, puisque autant elle s'illusionne sur son sort avec assurance lorsqu'elle parle à sa fille, autant elle révèle bien plus de doutes et de fêlures lorsqu'elle se confie à un inconnu: "I was a big star!" lui dit-elle d'un sourire ému. Dans le même registre, la longue séquence de sexe entre les deux est un véritable festival où la fausse diva se révèle très troublée, criant et pleurant en même temps, et il est assez intéressant de noter que Sally parvient tout de même à être lucide sur sa situation, faisant le parallèle avec sa retraite anticipée et la difficulté de trouver un partenaire sexuel à son âge dans ce milieu superficiel. La fin, totalement parodique, n'est à rater sous aucun prétexte, et l'actrice s'en sort une fois de plus très bien vu le ridicule de la situation. En somme, elle se livre vraiment à nu dans tous les sens du terme, et si le film est loin d'être appétissant, le portrait n'en est pas moins passionnant. Je me demande néanmoins dans quelle mesure le dialogue a été improvisé, ce qui expliquerait les 63 occurrences du mot "lesbian": oui, elle a un gros problème avec ça, au point qu'il ne se passe jamais plus de cinq minutes sans qu'elle harcèle sa fille à ce propos.

Les autres acteurs sont en revanche assez infâmes. Joe Dallesandro, un blondinet imberbe aux cheveux longs, antithèse même de la séduction, est insipide à pleurer, au point qu'on ne peut même pas croire à son côté manipulateur. Andrea Feldman est pour sa part insupportable au possible. Le personnage est d'ailleurs tellement stupide que lorsqu'elle demande de l'argent à sa mère, elle ne dit pas: "I want 200 dollars!" mais "I WANT 200 DOLLAAAAAAAARS!" Insupportable, vous disait-on. Et comme elle relance sa mère à ce sujet toutes les trois secondes, elle exaspère à tel point que ses pleurnicheries pendant sa crise d'identité passeraient presque pour un sommet d'élégance. Finalement, le seul second rôle à peu près intéressant, c'est la concierge jouée par Pat Ast, mais le personnage est tellement repoussant avec sa coiffure de caniche et ses manières rustres, que ça ne me donne pas particulièrement envie de la voir ailleurs, même s'il faut reconnaître qu'elle est très charismatique et fait naître une bonne dose d'émotion dans ses moments intimes. Quant au type blond qui se caresse au bord de la piscine, c'est sans doute l'un des personnages les plus grinçants jamais portés à l'écran, au point de faire passer Sam Jaffe dans L'impératrice rouge pour un homme très désirable, c'est dire le niveau d'abomination atteint.

Par bonheur, Heat reste avant tout une parodie, on lui pardonnera donc volontiers son côté trash exacerbé, mais ça n'excuse en rien l'indigence visuelle. Pour l'absence totale de mise en scène et de scénario, je partais sur un vilain 3, mais la performance de Sylvia Miles, qui fait le film et qu'on retrouvera certainement aux Orfeoscars, vaut bien un point de plus: 4/10.

3 commentaires:

  1. J'aime beaucoup Sylvia Miles (que j'ai vue dans exactement les mêmes films que toi, ce qui tend à confirmer que sa filmographie est assez pauvre) ce film me tentait pas mal, mais moi et les expériences trop ... extrêmes ... je reste méfiant. Encore que je sois plus susceptible que toi de m'extasier devant des bellâtres californiens.

    En parlant de ça, je pense que Mort au soleil est le plus queer des films adaptés d'Agatha Christie et Sylvia Miles n'y est pas pour rien.

    L'AACF

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    1. Oui! Entre Diana Rigg et Maggie Smith qui se trémoussent comme des meneuses de revue en s'envoyant plein de répliques assassines à la figure, Roddy McDowall en admirateur gay et Sylvia Miles qui reluque sans discrétion le bellâtre brun passant son temps à montrer ses muscles, c'est vrai que le film est assez queer, en tout cas beaucoup plus que les castings croustillants mais plus policés du Nil et l'Orient-Express. Quoique... Wendy Hiller avec ses plumes sur la tête, Lauren Bacall en diva théâtrale, Angela Lansbury en nymphomane alcoolique, Rachel Roberts et Maggie Smith en domestiques lesbiennes en cravate...

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  2. Oui ! Tu noteras que le bellâtre en question porte un maillot de bain assez sidérant pour 1930 ...

    Meurtre au soleil venant après les deux autres, je pense que les producteurs ont dû réaliser le potentiel ... effectivement bien discernable dans les premiers opus.

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