samedi 26 juillet 2014

Courrier du cœur : Le Diable s'habille en céruléen


Chère Gretallulah,

Je n'ai pas l'habitude de solliciter de l'aide en cas d'ennui, mais à présent, la situation est telle qu'il me faut prendre le taureau par les cornes afin que vous résolviez ce problème dans les plus brefs délais. Et quand je dis dans les plus brefs délais, vous avez tout intérêt à vous y mettre dès aujourd'hui.

En effet, voilà maintenant trois mois que j'ai embauché une nouvelle assistante ayant pour vocation de me décharger de certaines tâches que mon emploi du temps de ministre m'empêche d'effectuer moi-même. Malheureusement, cette jeune fille sans expérience, qui a menti lors de son entretien à l'aide grands principes moraux quant à l'éthique du travail qu'elle s'ingénie à ne pas respecter, se révèle incompétente à plus d'un égard, et son comportement est finalement si amateur que le magazine que je dirige risque d'en pâtir. Sachant que j'ai consacré ma vie entière à Runway, vous imaginerez sans peine le désastre psychologique dans lequel je me trouve à cause d'elle, sans compter qu'avec mon septième mari qui demande le divorce, et la presse qui se délecte de la moindre occasion de me faire passer pour un dragon carriériste, cette mésaventure ne pouvait pas plus mal tomber.


Pourtant, j'ai déjà fait tout mon possible pour accueillir ma nouvelle employée à bras ouverts dans notre entreprise, ayant eu à cœur de la rassurer constamment lors de sa formation, et n'hésitant pas à lui glisser de gentils compliments à l'oreille, à l'occasion. Mais en retour, je n'ai reçu depuis trois mois que du mépris, la mijaurée passant tout son temps à se promener dans les couloirs du bureau en se prenant pour la reine, avide qu'elle est d'afficher les nouveaux vêtements de haute couture que son salaire conséquent lui permet de s'acheter depuis qu'elle travaille pour moi. Et si encore elle faisait son travail correctement! Car chaque matin, la même ritournelle : en effet, pourquoi être ponctuelle quand on peut aller siroter un café sur la Cinquième avant de faire un brin de shopping matinal, avant de pointer (enfin!) au bureau en fin de matinée? Et pourquoi répondre au téléphone lorsque j'ai besoin de joindre Demarchelier de toute urgence quand on peut se tourner les pouces à jacasser avec ses collègues du service publicité?


En outre, Andrea n'a de cesse de m'humilier publiquement, que ce soit en pleine réunion marketing en se présentant vêtue comme une grand-mère pour me faire honte devant tout le service, ou en s'introduisant chez moi en douce pour mieux espionner mes conversations avec mon mari. Sans parler de l'autre jour, où elle n'a pas hésité à tambouriner à ma porte, alors que j'étais en plein entretien avec mon éditeur, tout cela pour se faire croire zélée afin de mieux obtenir une promotion sur la base de pures diffamations. 

Bref, nul besoin d'énumérer davantage les souffrances que je vis au quotidien depuis trois mois, mais vous comprenez bien à quel point je suis affectée. Dans l'absolu, j'aimerais beaucoup me confier à ma première assistante, ma fidèle Emily, mais elle a déjà tant de travail que pour rien au monde je n'aimerais la déranger avec mes problèmes personnels. Heureusement, j'ai eu récemment le plaisir de m'épancher quelque peu sur l'épaule de ma grande amie Jacqueline, de passage à New York la semaine dernière, mais étant donné qu'elle travaille en France, il va de soi que nous ne pouvons nous voir autant que nous le voudrions.

Sur ce, au regard de toutes les preuves fournies ci-dessus, indiquez-moi comment me débarrasser de cette employée catastrophique aussi vite que possible, sachant qu'avec les syndicats sur le dos et ma réputation à maintenir, je n'ai pas très envie d'être accusée de licenciement abusif. Le pire, c'est qu'avec cette jeune arriviste qui a juré ma perte, je vais encore passer pour une patronne hautaine et cruelle alors qu'il va de soi que je suis en fait douce comme une agnelle, avec un cœur grand comme ça.


Ce sera tout.

Miranda P.              

PS: pas besoin de dire que je vous ai promis un encart publicitaire dans le prochain Runway afin de m'assurer que ma missive sera bien sélectionnée. Mais il va de soi que si le problème n'est pas résolu par vos soins dans les 24 heures, vous pourrez faire une croix sur cette chance de promotion inouïe. That's all.

Tallulah: Bon, dahlings, que devons-nous lui répondre si nous ne voulons pas manquer cette opportunité? 

Bette: Bah, rien de plus facile. Si elle veut se débarrasser d'une personne encombrante, elle n'a qu'à faire comme moi : ordonner qu'on la décapite. C'est bien elle la patronne, non?

Joan: Bette, je sais que votre grand âge vous fait perdre la notion du temps, mais nous ne sommes plus au XVIe siècle, nous ne saurions légitimer le meurtre tout de même! Mais pour répondre à notre épistolière, sachez que je cherche justement une nouvelle gouvernante pour Christina, envoyez donc votre employée à la maison, je me chargerai de la former dans notre environnement familial épanouissant, et elle vous reviendra docile et charmante, vous n'aurez plus aucune inquiétude à avoir quant à l'avenir de votre journal.

Norma: Mais, Joan chérie, sachant que la jeune femme en question aime visiblement les vêtements, que se passera-t-il si amène ses plus beaux costumes sur des cintres en métal?

Joan: Des quoi???!!! Je crois avoir mal compris...

Tallulah: Du calme, dahlings. Je propose plutôt de prendre cette assistante sous mon aile. Je peux lui proposer une formation au Garden of Allah, ça devrait contenter tout le monde.

Marlene: Connaissant votre moralité pour le moins... austère, j'ai peur que ce soit là une solution trop radicale. Par contre, je crois savoir que Garbo a précisément besoin d'une nouvelle secrétaire pour gérer ses rendez-vous. Si cette nouvelle recrue y montre autant d'entrain qu'envers Miranda P, il y a peut-être une chance que la Divine rate ainsi quelques bonnes opportunités cinématographiques sur lesquelles je m'empresserai de sauter. Je ferais une merveilleuse Anna Karénine, qu'en dites-vous?

Greta: C'est une proposition alléchante. A un détail près. Je gère mes rendez-vous... toute seule.

Miriam: Eh bien, eh bien... Tandis que mes collègues préfèrent s'adonner au pugilat, j'en profite pour vous révéler en exclusivité l'information capitale de la soirée, à savoir que... c'est moi qui vient de rédiger cette lettre sous une fausse identité. Car pendant que les grandes divas du septième art se déchirent sur des querelles d'ego, comme je l'avais pressenti, j'ai le champ libre pour aller signer pour le nouveau rôle qu'elles convoitaient toutes. Un personnage du nom de Becky Sharp. Alors, who is the best?

Note du rédacteur en chef : Comme vous l'avez peut-être remarqué, nous sommes actuellement en été, ce qui est peu ou prou synonyme de vacances. Pas le temps, dès lors, de rédiger les longs articles Oscars promis le mois dernier (1939, 1941), aussi vous faudra-t-il vous contenter momentanément de ces nouvelles rubriques. Ça ne vous plaît pas? Subissez. That's all.