samedi 15 novembre 2014

Rêves de stars


Je me souviens rarement de mes rêves, mais quand cela arrive, ça concerne toujours des réminiscences particulièrement loufoques. Par exemple, à la veille d'entrer à l'université il y a de ça quelques années, j'avais rêvé qu'une amie, une autre fille de ma promo et moi-même étions à fond de cale sur un bateau de pirates birmans, et qu'il fallait s'arranger pour faire passer le navire entre de gigantesques piquets plantés dans l'eau, étape "très importante" selon la rameuse, à qui je servais le thé pendant que l'autre fille grommelait dans son coin. A la fin, nous étions accueillis dans un port très vilain de type Gunkanjima, avec en prime de multiples tuyaux rouillés qui sortaient de partout, tout ça pour être applaudis de bon cœur par la junte qui voulait nous décorer pour avoir bien navigué... Ohé ohé. 

A la même époque, j'avais aussi rêvé que toute ma promo s'était réunie pour me souhaiter un bon anniversaire, y compris mes ennemis qui s'étaient incrustés au goûter (sans doute parce que j'étais encore tétanisé par un anniversaire commun qu'une collègue avait absolument tenu à fêter ensemble quelques mois plus tôt, où l'une des personnes avait apporté un cadeau uniquement à elle! L'injustice suprême!). Bref, parmi les intrus du rêve, la pimbêche-première-de-la-classe, aka la fille à lunettes et cols blancs impeccables qui n'adressait la parole au commun des mortels que pour leur dire:

* avant un examen: "Olala! C'est une catastrophe! Je n'ai rien révisé!"
* au sortir de l'examen: "Olala! C'est une catastrophe! Je vais encore avoir 2!"
* à l'annonce des résultats: "Olala! C'est une catastrophe! Je n'ai eu que 18 à ma dissertation!"

Tout ça pour dire que dans le rêve, ce délicieux personnage avait eu la bonne idée de m'offrir une "carte comestible" signée avec soin et agrémentée d'une charmante chanson explicative. Or, dès qu'elle ouvrait la bouche, il en sortait un son grave, mélange horrifiant de trompette tibétaine et meuglements bovins (j'avais visiblement une grande estime pour elle), entrecoupé d'un refrain ridicule pour ceux qui n'auraient pas compris: "♫ C'est la carte qui se mange! ♪ C'est la carte qui se mange! ♫" Ce faisant, la carte se transformait en un énorme gâteau dégoulinant de crème tandis que, le comble, la chanson devenait soudain un hit international qui passait à la radio. Et la pimbêche de se glorifier avec fausse modestie: "Allons, allons! C'est juste une chanson sur la carte qui se mange!"

Donc, pour vaincre des psychodrames personnels à grand renfort de loufoqueries en tous genres, mes rêves sont des armes de premier choix. Cependant, il m'arrive aussi de faire des songes nettement plus classes, dont certains vont jusqu'à faire intervenir des stars de cinéma. Et comme les derniers exemples remontent à cette semaine, je me suis dit qu'il pourrait être amusant de partager le devenir de nos actrices préférées dans l'inconscient tordu d'Orfeo. Voyons ça en détail en compagnie de...


Sophia Loren ou "Comment poser un lapin sans vous faire gronder."

Alors là, c'est tout simple. Au joli mois de mai 2010, je devais choisir entre deux invitations pour un même weekend, l'une pour une pendaison de crémaillère porte de Vincennes (glamour), l'autre pour deux jours sur le littoral aquitain dans une villa avec jardin (bouh). Techniquement, j'avais déjà répondu à la première invitation six mois plus tôt, mais l'hôte n'avait jamais pris soin de me demander une confirmation plus récente, considérant qu'un oui de l'an 40 avait valeur intemporelle. A sa décharge, je me souvenais parfaitement de la date, mais lorsque entre temps je fus invité au bord de la mer, par des gens avec qui j'avais en outre plus d'affinités, je changeai mes plans l'air de rien, avec malgré tout un petit pincement au cœur devant mon entorse au protocole, étant donné qu'après six mois sans nouvelles, je ne me voyais pas appeler pour annuler. Et comme je déteste me montrer incivil, mon subconscient ne manqua pas de me rappeler ma faute, ma très grande faute, et c'est là que la divine Sophia intervint.

Je me surpris donc à rêver, la mort dans l'âme, que j'étais bel et bien allé à la fameuse pendaison vincennoise où, pour bien confirmer mes craintes, les gens ne parlaient que d'écoles de commerce, de finance, du dernier concert d'Usher et, pire que tout, du dernier Marc Lévy; d'où un profond embarras qui me donnait envie de fuir par la fenêtre. Par bonheur, Sainte Sophia se présenta au beau milieu de l'appartement et entreprit de me tirer de là! Oui, sauf que... Dans le plan suivant, nous nous retrouvâmes tous deux sur un tapis, cernés par notre hôte et ses invités qui nous fixaient sans mot dire, et c'est ce moment là que choisit la star pour... me faire des avances, arguant qu'il n'y avait pas lieu de se gêner et que les gens n'y verraient que du feu. Grands dieux! Malheureusement, je ne saurai jamais ce qui se passa sur ce fichu tapis, puisque nous fûmes aussitôt projetés dans un autre plan où, cette fois-ci, tous les invités étaient endormis dans le salon. Et que croyez-vous que nous fîmes? Nous transportâmes chaque personne en dehors de l'appartement, jusqu'à un véhicule qui les emmena vers des contrées inconnues. Dès lors, plus aucun souci à me faire: je n'avais plus à justifier mon absence non prévenue et merci Sophia Loren! Après un tel rêve, c'est d'ailleurs l'esprit tranquille que je profitai pleinement de mon dimanche à la mer, et tout fut pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais de retour en ville le dimanche soir, un message Facebook: "Alors... On ne t'a pas vu à ma soirée hier... [Avec que des points de suspension, au cas où on n'aurait pas compris.]" Et moi de présenter des excuses en arguant que j'étais alors très pris par un mémoire et que j'avais complètement oublié la soirée, que j'étais sincèrement désolé, tout ça. Bon, mémo à moi-même: quand quelqu'un vous lance une invitation, même trois ans à l'avance, il compte sur vous et ne vous loupera pas. Je prends note.


Vanessa Redgrave ou "Comment oublier son premier amour en musique."

Cette fois-ci, je ne suis pas apparu dans ce rêve, mais ce fut assez bouleversant d'en suivre le déroulement. Ainsi, prenez l'actrice la plus magique de l'univers, une actrice très charismatique de la même génération, la plus grande actrice de la décennie suivante, un bellâtre classique et une rockstar, agitez le tout et vous obtenez... l'histoire d'une méchante reine (Glenda Jackson), prête à tout pour envahir le royaume de sa rivale (Vanessa Redgrave), au point de battre son armée et de marcher sur son palais. Ne comptant pas se laisser faire, Vanessa emmena toute sa cour pour se mettre en lieu sûr, de quoi donner lieu à de fort belles images d'une caravane aristocratique à travers la lande, chacun arborant son costume le plus chatoyant, très pratique pour passer inaperçu dans la verdure. Arrivées dans une épaisse forêt, Vanessa et sa suite décidèrent de faire une halte pour abreuver les chevaux dans le courant d'une onde pure, sans voir qu'une bande de brigands était tapie dans la chênaie. Et c'est bien entendu au moment où tout le monde se délassait que les brigands attaquèrent, contre toute logique néanmoins car ils n'étaient pas plus d'une dizaine et qu'aucun des nombreux gardes de la reine n'eut l'idée de dégainer son épée pour la défendre. "La bourse où la vie?" demanda alors le chef des brigands (Tyrone Power avec la pilosité faciale de Barbe Noire). Et Vanessa de répondre: "Je vous montrerai comment meurt une reine!" Bref, tout se mélangeait, et mon songe fit un bond en avant pour arriver dans une séquence où la souveraine était alors très amoureuse du brigand (comme c'est original!), qui n'hésita cependant pas à lorgner sur l'une de ses suivantes, une noble dame fort jolie (Meryl Streep), qui décida de l'épouser le jour même (ben voyons, tant qu'à faire!). Je me souviens enfin d'un dernier plan sur le visage de Vanessa, désolée par cette trahison sentimentale, avec comme fond sonore l'interprétation de Greensleeves par Marianne Faithfull. 

Sur ce, on ne saura jamais le fin mot de l'histoire pour cause d'éveil, mais la signification est somme toute assez simple: la trahison fait évidemment référence à ma première histoire d'amour, cependant beaucoup plus perverse que le rêve le suggère, et dont je ne suis pas disposé à parler en détail. Autrement, je note quand même la cohésion de styles avec des actrices des 60's/70's au sein d'une histoire Renaissance; et une chanteuse de la même époque sur un air du XVIe siècle. Quoi qu'il en soit, pourquoi mon inconscient a-t-il mélangé ma propre histoire aux guerres de religions britanniques d'alors? Allez savoir...


Janet Gaynor ou "Comment obtenir des scoops gratis au Cocoanut Grove."

Celui là, c'est un rêve récent que j'ai fait dans la nuit de lundi à mardi. Et c'est d'autant plus étrange qu'il n'y a vraiment pas grand chose à dire à ce propos, et que je cherche encore la signification à tout ça. Ainsi, j'étais à table au Cocoanut Grove, dans une ambiance effervescente, avec deux personnes dont j'étais visiblement très proche, dont une élégante blonde type Rosamund Pike, avec qui je discutais comme si nous nous connaissions de longue date. Et, alors que nous parlions avec entrain, Janet Gaynor arriva à notre table et s'installa sans même demander si la place était libre, imitée en cela par Charles Buddy Rogers, manifestement content de souffler cinq minutes entre deux danses. Chose encore plus surprenante, Janet Gaynor, pourtant pas la plus tapageuse des actrices de sa génération, se mit à couper court à notre conversation pour attirer l'attention sur elle coûte que coûte et monopoliser la parole, tout ça pour mieux m'annoncer en avant-première... ses fiançailles avec Buddy!

Malheureusement, je ne connais pas la suite du songe, car m'étant alors rendu compte que j'avais perdu une boule Quies, je suis parti faire de la spéléo sous ma couette à la recherche du précieux objet nécessaire à mon sommeil, si bien que je n'étais plus du tout préoccupé par la vie sentimentale de Janet Gaynor. J'espère simplement que Mary Pickford n'était pas dans le coin!


Sandrine Bonnaire ou "Comment réconforter ses collègues... dans une baignoire???"

Alors là... Autant les trois rêves précédents avaient une petite cohérence narrative, ou tout du moins une unité de temps et de lieu, autant celui d'il y a deux jours fut un joli bazar où je croisai d'abord un ex-amant et l'une des médecins de mon ancienne université, avant de me retrouver en plein festival de Cannes où, bousculé par un mouvement de foule, je finis par atterrir dans une pièce en marge du tapis rouge, salle infestée de journalistes qui me poussèrent dans une baignoire vide aux côté de Sandrine Bonnaire et Mélanie Laurent, tout le monde étant habillé, encore heureux! Les journalistes étaient pour leur part très occupés à interviewer Mélanie Laurent, mais apprenant soudain l'existence d'une starlette sur les marches du palais, ils désertèrent l'endroit pour aller la prendre en photo, laissant la pauvre Mélanie en larmes après cette injuste infidélité. Par bonheur pour elle, Sandrine Bonnaire était là pour la consoler, faisant preuve d'un charme extrêmement élégant et d'une bonne dose d'humour, et réconfortant sa collègue qui avait l'impression d'avoir vieilli de dix ans en une minute. De mon côté, j'étais visiblement très touché par la personnalité de Sandrine, au point que je lui demandai de faire une séance photo devant un vitrail vert arrivé là opinément. Il est d'ailleurs frustrant que tout cela ne fût qu'un rêve, car les photos étaient vraiment jolies.

Mais alors, quelle peut bien être la signification d'un tel songe? D'une part, je ne connais absolument pas Mélanie Laurent que je n'ai vue de mémoire que dans un film, et je ne suis pas du tout spécialiste de la filmographie de Sandrine Bonnaire, que j'ai néanmoins adorée dans La Cérémonie. Alors, à quoi cela rime-t-il? Pourquoi elles? Pourquoi une conversation dans une baignoire? Pourquoi un vitrail vert? Difficile de trouver un début d'élément de réponse dans tout ça!

Ainsi, voilà toutes les stars qui sont venues visiter mes rêves ces dix dernières années. Si vous avez des expériences similaires, n'hésitez pas à les partager!

vendredi 7 novembre 2014

Oscar de la meilleure actrice 1930

Avec 1929, 1930 reste définitivement une année de transition, à l'heure du passage au parlant. Malheureusement, ce n'est pas une période excessivement agréable à visiter car, pour une poignée de bons films, quelques très bons films et deux ou trois surprises fort plaisantes, Hollywood fut malgré tout noyé sous une pluie d’œuvres beaucoup trop statiques pour séduire un minimum, d'essais sonores sans histoire ayant pour seul but d'employer les nouvelles techniques, de numéros musicaux sans cohérence, ou d'interprètes peinant encore à donner à leur jeu la subtilité requise par le parlant. A la réflexion, il n'y a peut-être pas plus de mauvais films que d'autres années, mais il faut bien avouer que les défauts de ceux-là me sautent encore plus aux yeux. Mais ce ressentiment est peut-être davantage lié à ma déception concernant le nombre de performances d'actrices éligibles dans cette catégorie, car sur la soixantaine de films visionnés, à peine un tiers comporte un rôle féminin qu'on puisse légitimement classer comme lead, d'où une petite aigreur face à certaines attentes qui n'ont pas porté leurs fruits. Dès lors, je ne peux littéralement plus me forcer à regarder de mauvais films juste pour vérifier que Myrna Loy était toujours excellente même dans de petits rôles, ou qu'une actrice de série B pouvait tirer son épingle du jeu à l'occasion. C'était déjà exténuant cet été avec 1933, malgré la grande satisfaction de complétude ayant suivi, mais je ne suis plus disposé à me lancer dans de telles entreprises de sitôt. Donc, pour les années à venir, je me consacrerai uniquement aux films qui me font envie, et tant pis pour Sheila Terry.

Bien. Et maintenant, entrons dans le vif du sujet avec...

... ma sélection:

Nancy Carroll - The Devil's Holiday: Actrice absolument incontournable pour cette année, Nancy Carroll peut se targuer d'être éminemment charmante, dynamique et naturellement à l'aise devant une caméra dans le léger, mais creux, Follow Thru; et en tout point excellente dans le fabuleux Laughter, qu'il faut découvrir de toute urgence si ce n'est déjà fait. Cependant, c'est pour son contre-emploi dramatique dans The Devil's Holiday que je la nomme, d'une part parce que le rôle lui permet de sortir de l'ordinaire, et d'autre part parce que le contraste entre sa frêle silhouette et son gigantesque charisme y est particulièrement saisissant. On admirera donc sa façon de crever l'écran à chaque seconde en ne laissant jamais retomber la pression, au point de se hisser au-dessus du matériel de départ, et de tirer l'ensemble du film vers le haut alors que ni le scénario improbable, ni la mise en scène peu inspirée de Goulding, ni le reste d'un casting franchement mauvais, lui sont d'une quelconque aide en la matière. Je garde ainsi un bon souvenir du film pour la seule performance d'actrice, de quoi lui faire gagner bien des points. Dans le détail, force est de reconnaître que Nancy Carroll est en fait loin d'être subtile, mais sa théâtralisation à outrance est malgré tout nettement plus naturelle que les désastreuses approches mélodramatiques de Phillips Holmes et Hobart Bosworth, d'autant que l'actrice sait ne pas franchir la limite avec le sur-jeu, en nuançant sa performance dans les moments les plus graves, dont une grande scène de confessions tout en retenue. En définitive, le seul reproche qu'on peut lui faire, c'est de ne pouvoir empêcher une scène mal écrite de sombrer dans le grotesque, en l'occurrence lorsqu'elle se félicite de laisser son amant entre la vie et la mort pour la modique somme de 50.000 $, avant de revenir lui déclamer son amour quand le pauvre chou fait une rechute sur un tapis quelques mois plus tard: l'actrice reste pourtant énergique à souhait, mais on perd la logique du personnage à cause de ces répliques impossibles à jouer: "Non! David! Je réalise à quel point je t'aime!" Malgré ce petit défaut, l'héroïne reste très dynamique, ambiguë car peu scrupuleuse quoique amoureuse, et Nancy Carroll lui rend parfaitement justice en en remontrant à tous ses partenaires. Ainsi, elle a beau être techniquement meilleure dans Laughter, la nomination pour The Devil n'en est pas moins entièrement justifiée.


Marlene Dietrich - Morocco: Malgré les images absolument mythiques de Marlene en costume embrassant l'une des clientes du cabaret sur la bouche, la performance en tant que telle reste éminemment divisante, puisqu'on a d'un côté les admirateurs éblouis par le fascinant charisme de la dame, et de l'autre ceux pour qui l'actrice ne joue pas vraiment, et se contente d'être très joliment filmée par Sternberg. Sans aucune surprise, je fais partie des premiers, mais j'entends tout à fait les arguments des détracteurs: oui, il est clair que Marlene a essentiellement suivi les ordres de son mentor sans afficher une palette expressive très étendue, et concrètement, elle ne joue qu'avec deux expressions, très justement exécutées ceci dit, via ses regards désabusés un peu déprimés et ses sourires légèrement ironiques. Cependant, nous parlons bien de Marlene Dietrich, la femme la plus charismatique de l'univers et l'une des mes idoles absolues, que je vénère depuis l'enfance, ce qui me rend totalement partial. Alors, peu importe qu'il y ait en fait peu de choses à dire sur l'interprétation en tant que telle, que Marlene récite toutes ses répliques d'une même voix (mais elle ne parlait pas encore anglais à l'époque), ou qu'elle n'approfondisse pas vraiment le personnage: la fascination est bel et bien là, son degré de photogénie inouï lui permet de voler la vedette à Gary Cooper et même Adolphe Menjou, qui donne pourtant la performance du film, et force est de reconnaître que Marlene sait comment regarder ses partenaires avec intensité même en ne faisant rien, chose que Sternberg a parfaitement su capter. Et bien que la performance soit uniquement due à la direction d'acteurs, le fait que Marlene ait parfois à ajouter des sourires en coin au gré des besoins de l'histoire donne une impression d'aération et de nuance qui rend le personnage d'autant plus intéressant. Et puis, avouons-le, dirigée ou pas, c'est quand même Marlene qui crève l'écran par sa seule personnalité, et l'éblouissement de la séquence du cabaret est bien à mettre à son crédit: en effet, c'est l'actrice en personne qui a suggéré de jouer sur sa bisexualité en ajoutant un baiser lesbien, et c'est encore elle qui a pris soin de charmer l'assistance avec une fleur pour empêcher que la scène ne soit coupée par la censure par un savant jeu de continuité. En somme, voilà autant d'aspects qui font de ce film excitant l'un des meilleurs de l'année, et la contribution de Marlene n'est certainement pas à nier.


Mary Duncan - City Girl: J'ai toujours considéré City Girl comme un chef-d'oeuvre, certes pas au point de surpasser Sunrise ou Nosferatu, mais chef-d'oeuvre quand même, ce qui confirme par ailleurs mon goût pour les histoires rurales, après ma déclaration d'amour ardente à The Stranger's Return. Quoi qu'il en soit, Mary Duncan rend parfaitement justice à l'excellence du film et, autant j'ai pu la trouver un peu fade auparavant, autant City Girl apparaît clairement comme le rôle de sa vie. En effet, elle éblouit dès son entrée en scène au restaurant, en se moquant de Charles Farrell qui récite ses grâces, surpassant au passage sa collègue qui préfère surjouer en écarquillant les yeux, alors que Mary reste parfaitement subtile et naturelle. La rencontre entre les deux héros permet encore à l'actrice de faire des étincelles, puisqu'elle se montre à la fois entreprenante et séduisante, quoiqu'un peu rude, contrastant joliment avec la personnalité réservée de Farrell, et l'on admirera surtout sa façon de dissimuler ses véritables émotions, surtout lorsqu'elle fait bien sentir qu'elle est contente de ses échanges avec son nouveau client, bien qu'elle tente de le masquer pour ne pas perdre la face devant les habitués plus cyniques du fast-food. D'ailleurs, c'est seulement après être rentrée chez elle qu'elle dévoile ses réelles intentions, en se révélant particulièrement touchante dans son désir d'évasion depuis sa chambre glauque. Autrement, tout ce qui est amené dans la première partie est parfaitement restitué par la suite: l'émotion est toujours là dès que les regards ne sont pas braqués sur elle (sa façon poignante de regarder la mère et le fils s'embrasser), elle crée toujours très facilement une bonne alchimie avec les autres personnages (son charme quand elle donne la cage à oiseaux à Anne Shirley), et force est de constater que même en arrière plan, notamment lors des disputes père-fils, sa présence reste incontestable. Mais en définitive, c'est surtout son répondant face aux hommes qui marque le plus les esprits, qu'il s'agisse pour elle de relâcher l'étreinte de son agresseur, de provoquer son mari faible ou d'impressionner par son expressivité flamboyante face à son beau-père qui la rejette. En somme, un très beau rôle pour une bien belle histoire, et une exquise performance silencieuse au crépuscule du muet.


Norma Shearer - The Divorcee: En parlant de divorcées, j'ai davantage de goût pour sa Mary Haines de The Women, mais impossible de nier que Jerry Martin reste l'un de ses plus grands rôles, d'autant que c'est arrivé à une bonne époque pour l'actrice qui désirait changer son image qu'elle jugeait alors trop "saine". Pourtant, tout le monde lui a déconseillé de jouer ce personnage, et Irving Thalberg lui-même pensait qu'elle n'avait pas la personnalité requise pour jouer une divorcée, thème sulfureux pour l'époque. Il a donc fallu une séance de photos osées pour que Norma parvienne à convaincre la MGM de lui laisser le rôle, ou tout du moins de l'arracher des mains de cette satanée Joan Crawford, et bien lui en a pris, car l'héroïne lui va comme un gant. En effet, Norma brille de mille feux dans l'aspect léger du film, faisant un sort à une série de répliques coquines parfaitement savoureuses ("I can't scream!"), et n'hésitant pas à flirter avec la gent masculine une fois sa liberté retrouvée, avec en prime un délicieux sourire lors de la fête du nouvel an. On notera aussi qu'elle est très à l'aise en socialite épanouie, ce qu'on avait déjà pu voir auparavant dans Their Own Desire, de quoi ajouter au charme de cette performance. Néanmoins, si la partie comédie révèle une véritable fraîcheur dans son jeu d'actrice, la partie plus sérieuse a malheureusement tendance à souligner quelque peu les limites de son interprétation, Norma partant parfois dans des envolées lyriques un peu mièvres, notamment lorsqu'elle tente de retenir Chester Morris, et ne nous épargnant pas certains gestes ampoulés un peu maladroits. Mais même dans ces moments-là, elle garde malgré tout une classe folle, surtout lors de ses retrouvailles avec Dot où l'on apprécie sincèrement la noblesse de l'héroïne, et avouons que les défauts de cette performance s'effacent très rapidement au profit de ses qualités, puisque ce sont principalement les passages enjoués qui retiennent l'attention. De toute façon, malgré les réserves énoncées, ont tient là une délicieuse composition typiquement pré-Code, et lorsque les critiques professionnels définissent Norma Shearer comme "the first American film actress to make it chic and acceptable to be single and not a virgin on screen", ce n'est que trop vrai, et ce rôle rend tout à fait justice à une telle description.


Barbara Stanwyck - Ladies of Leisure: Donner une seconde chance aux films a toujours du bon, car à l'instar de Casablanca, It Happened One Night et The Philadelphia Story, autres chefs-d'oeuvre universellement adorés qui viennent de faire une remontée considérable dans mon estime, Ladies of Leisure a gagné de très nombreux points la seconde fois, en partie grâce à la mise en scène inspirée de Frank Capra, et principalement grâce à la phénoménale performance de Barbara Stanwyck dans son premier grand rôle. Il faut dire qu'elle crève l'écran dès son apparition un brin gouailleuse ("Yep, do you have a cigarette?") et impose d'emblée un personnage doté d'une forte personnalité, qui rechigne par exemple lors des séances de pose pour l'artiste, et répond de façon ironique aux gens de la haute société ("Take a good look, it's free", dit-elle à l'homme qui la dévisage). Elle est encore très drôle lorsqu'elle se moque des manières du peintre, mais on admirera surtout sa façon de ne jamais reculer devant les aspects les plus antipathiques de Kay, qui conserve longtemps une certaine vulgarité en parlant d'argent. Par ailleurs, toujours excellente, l'actrice n'oublie pas d'esquisser l'évolution du personnage avec une grande cohérence puisqu'elle passe d'abord par une certaine dose d'exaspération lorsqu'elle s'aperçoit que Ralph Graves ne l'appelle toujours pas par son prénom malgré leur nombreuses séances, avant d'éblouir de façon extrêmement impressionnante lors de la nuit qu'elle passe à l'atelier: elle fait monter les larmes en réalisant que l'artiste tient vraiment à elle, mais elle ne les lui montre pas, quitte à redevenir un peu gouailleuse face à lui, afin de mieux pleurer une fois seule, en mordant la couverture avec un sourire déchirant qui en dit long sur le passé de l'héroïne. Une autre séquence très marquante, c'est aussi la confrontation avec la mère de son hôte, à qui Barbara tient parfaitement tête tout en restant très polie, de quoi conduire à une fin absolument pas mélodramatique malgré la tonalité du film dans sa conclusion. On évite alors tout pathos, les larmes sont savamment dosées, et l'on est finalement bien en peine de trouver le moindre défaut à cette performance. Bon, peut-être un "I wish I was dead" un peu exagéré, comme les aimait l'époque, ou un petit cri de diva lorsque l'héroïne se fait arracher ses faux cils, mais ce ne sont là que d'infimes détails qui n'ont aucun poids devant le degré d'excellence de cette brillante composition.

En somme, cinq candidates prestigieuses, cinq performances très excitantes, trois bons films et un chef-d'oeuvre font de cette sélection 1930 un très bon cru. Et le prix de la meilleure actrice revient à...

Barbara Stanwyck - Ladies of Leisure

Peu de suspense à l'horizon: Barbara donne très clairement la meilleure performance de l'année, et je n'ose imaginer à quel point cette révélation aurait été éblouissante si je l'avais découverte à l'époque, sans connaître encore le degré d'excellence de ses futures interprétations. Sur ce, Mary Duncan se classe seconde pour sa performance déchirante dans les derniers feux du muet, et j'ai bien envie de faire monter Nancy Carroll sur le podium étant donné qu'elle est particulièrement incontournable cette année, avec deux grands rôles à son actif. Marlene n'arrive dès lors qu'à la quatrième place pour l'énorme fascination qu'exerce sa personnalité sur moi, de quoi laisser Norma Shearer fermer la marche avec sa délicieuse héroïne typiquement pré-Code. Vous constaterez au passage que mes goûts ont quelque peu changé par rapport à mes précédents articles, aussi vous invité-je à ne pas tenir compte de mes anciens commentaires tant que je ne les aurai pas réécrits.

En guise de touche finale, conclusion rouge jungle, suivant la liste des performances...

dignes d'un Oscar: Mary Duncan (City Girl): Barbara Stanwyck (Ladies of Leisure): voir ci-dessus.





dignes d'une nomination: Evelyn Brent (Framed): une performance puissante, portée par les regards intenses et la dureté de la voix d'une actrice qui n'oublie pas de faire preuve d'une ironie mordante face à ses ennemis. Nancy Carroll (The Devil's Holiday): voir ci-dessus. Nancy Carroll (Laughter): la surprise la plus agréable de l'année, dont je n'attendais rien de prime abord, et où tous les acteurs brillent de mille feux, notamment Nancy Carroll qui nuance très bien son jeu très énergique lors de moments d'une sobriété exemplaire, avant une explosion nucléaire aussi tendre qu'hilarante lorsqu'elle joue à se déguiser en ours avec Fredric March! Que j'aime ce film! Marlene Dietrich (Morocco): voir ci-dessus. Jeanette MacDonald (Monte Carlo): hilarante à souhait, elle parvient à elle seule à sauver ce Lubitsch peu inspiré du naufrage, notamment à travers une scène décoiffante d'orgasme capillaire lors d'un massage du cuir chevelu! Norma Shearer (The Divorcee): voir ci-dessus. Quant à Let Us Be Gay, elle est une fois encore délicieuse dans le registre mondain épanoui, voire très drôle quand elle se joue de son ex, et sa transformation après une première partie volontairement terne, où elle fait d'ailleurs bien sentir le brillant refoulé du personnage, est sincèrement réjouissante.


dignes d'intérêt: Constance Bennett (Sin Takes a Holiday): simple et polie, mais certainement pas transparente, elle gagne surtout en intensité dans la dernière partie, quand elle tient tête à sa rivale. Evelyn Brent (The Silver Horde): un rôle très énergique, avec tout ce qu'il faut de dureté pour seoir à l'actrice comme un gant, quand en face Jean Arthur a hérité du rôle sans intérêt de la jeune fille de bonne famille. Nancy Carroll (Follow Thru): à l'image du film, une performance extrêmement futile et sans profondeur, où l'on admirera néanmoins le naturel frappant de l'actrice devant une caméra, et son charme sans égal. Claudette Colbert (Young Man of Manhattan): elle est vraiment parfaite et autant charismatique qu'émouvante. Dommage que le film, assez quelconque, ne lui permette pas d'éblouir autant que par la suite. Marie Dressler (Min and Bill): évidemment, elle en fait des tonnes, ce qui a au moins le mérite de réveiller le spectateur devant cet assez mauvais film, mais rien que ce dernier regard sobre et lumineux lui vaut d'entrer dans la légende oscarienne, même si à la réflexion on est loin de ses meilleurs rôles. Greta Garbo (Anna Christie): malgré ses envolées lyriques qui tranchent méchamment avec cette fille des bas-fonds, son entrée mythique dans le monde du parlant m'éblouit trop me rendre impartial. Greta Garbo (Romance): d'accord, son accent guttural au possible n'est pas du tout italien, mais tout de même... Quel charme! Quel charisme! Garbo rayonne entièrement dans ce personnage exquis, et annonce par-là même sa prodigieuse Marguerite Gautier de Camille. Ann Harding (Holiday): parfois un peu trop théâtrale, parfois beaucoup plus naturelle, l'actrice use d'un tel charme qu'on ne peut qu'être séduit. Miriam Hopkins (Fast and Loose): le film a beau rester assez inégal, la toute première performance de Miriam au cinéma n'est reste pas moins savoureuse, l'actrice mangeant déjà tout ce qui existe alentour (dont Carole Lombard) pour briller de charisme et d'énergie. Mary Nolan (Outside the Law): elle n'est peut-être pas aussi mémorable que Priscilla Dean dans la version d'origine, mais elle a tout ce qu'il faut de charme (le lavage du chien!) et de dureté pour piquer l'intérêt au vif.


sans intérêt: Jean Arthur (Danger Lights): le rôle est vraiment insipide, mais l'actrice sait malgré tout en faire quelque chose en dotant son personnage d'une petite dose de répondant. Bebe Daniels (Dixiana): comme dans de nombreux films musicaux de l'époque, la différence entre premiers et seconds rôles est ténue vu que l'œuvre n'est qu'une succession de numéros dansés et chantés. Et si l'on ajoute que l'interprétation ne parvient même pas à sauver le tout, dire que cette performance n'est pas mémorable est un euphémisme. Alice Day (Ladies in Love): comparée aux très mauvais seconds rôles qui l'entourent, dont une secrétaire la bouche en cœur, sa classe lui fait gagner de nombreux points. Dommage qu'elle n'ait absolument rien à faire à part être créditée au générique. Marceline Day (Paradise Island): techniquement pas mauvaise du tout, l'actrice pense bien à garder sa personnalité malgré les déceptions de l'héroïne, mais elle ne parvient pas à sauver les meubles pour autant. Mary Lawlor & Bessie Love (Good News): pffff, j'ai la flemme de chercher à savoir qui est plus leading que supporting dans ce galimatias où tout le monde s'amuse gaiement en musique sans chercher à composer un personnage. On notera juste que Mary Lawlor est assez insignifiante, tandis que Bessie Love en est encore au stade de se taper la cuisse pour mimer le rire, malgré son indéniable énergie. Jeanette MacDonald (Let's Go Native): une actrice vaguement rigolote qui finit en pleine jungle dans un accoutrement douteux cousu de feuilles. Pourquoi pas... Marian Nixon (The Pay-Off): de mémoire, je dirais qu'elle ne fait aucun faux-pas... mais elle est si peu mémorable que j'ai déjà tout oublié d'elle après une semaine. Ce qui n'est pas très bon signe... Marie Prevost (Party Girl): elle en sans doute plus à sa place en supporting, mais c'est le seul personnage féminin que j'ai retenu en cette affaire... Peu importe au demeurant, car sortie de la période du muet, elle se révèle trop peu naturelle dans sa façon de jouer, malgré son talent à ne pas passer inaperçue.


ratées: Ruth Chatterton (Sarah and Son): avouons qu'entre son jeu très théâtral et son accent allemand raté qui lui confère une voix de petite fille, cette performance laisse franchement à désirer, bien que l'actrice évite de quémander notre pitié en se tenant à bonne distance du mélodrame. Jeanette MacDonald (The Lottery Bride): Non! Jeanette! J'aimerais bien mettre ce ratage sur le compte de ce navet à moitié tronqué au montage, mais quand même, que faire d'une Jeanette en tresses et sabots, jetant des regards lubriques derrière son accordéon, piquant un sprint contre un dirigeable et s'effondrant en pleurs sur la banquise norvégienne? Qui a osé lui faire ça? Mae Murray (Peacock Alley): ouch, elle pose tellement, et sans énergie qui plus est, qu'on perd tout intérêt pour elle dès les premières minutes, d'autant que sa très mauvaise façon de jouer la détresse confirme malheureusement l'impression initiale. Lupe Vélez (Hell Harbor): pas à même de sauver un film presque documentaire du naufrage, elle surjoue et minaude dès qu'elle en a l'occasion, quand elle ne pince pas des chevilles, avant de se montrer totalement inexpressive lorsqu'elle doit être plus tendre ou apeurée.


performances en langue étrangère: Je n'en ai pas vu assez pour faire une catégorie à part, mais ce que j'ai visionné pour le moment a l'air plutôt prometteur, avec Louise Brooks (Prix de beauté): une performance dans la lignée de Tagebuch et Pandora en matière de jeu, hélas massacrée par un doublage français proprement scandaleux. Marlene Dietrich (Der blaue Engel): une performance éblouissante où l'actrice est encore meilleure que dans Morocco, même si c'est la seule de ses collaborations avec Sternberg que je n'aime pas. Yagumo Emiko (Sono yo no tsuma/その夜の妻/L'épouse de la nuit): une actrice qui se révèle finalement plus expressive que son calme apparent le laisse supposer de prime abord. En attendant d'en découvrir d'autres...


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