jeudi 16 juillet 2015

Milady de Turner

de George Sidney

Il y a quelques temps, j'avais dit en parlant de Scaramouche que c'était un film plus séduisant que les médiocres mousquetaires du même George Sidney. Pour être plus exact, Les Trois Mousquetaires furent longtemps une sorte de film culte dans mon adolescence, d'une part parce que ça passait systématiquement le dimanche soir à l'heure euphorique où je pouvais m'enfuir de chez un père violent, et d'autre part parce que, sans être vraiment fan du XVIIe siècle, j'adore absolument l'atmosphère de complots et d'espionnage qui régnait, apparemment en vrai, à la cour de Louis XIII, d'où un mélange d'excitations variées plus que grisant. Mais pour avoir revu le film voilà quelques années, j'avais été un peu déçu par rapport à mes souvenirs fébriles, d'où ma relative amertume en évoquant l'adaptation en préambule de l'article sur Scaramouche. Ceci dit, j'ai revu l'œuvre à tête reposée le mois dernier, et force est de reconnaître que tout n'est qu'une question d'humeurs, ayant cette fois-ci retrouvé le plaisir que je prenais devant ces belles aventures en couleurs treize ans auparavant. Qu'en est-il dans le détail?


Lana, m'observant discrètement derrière mon écritoire,
pour vérifier que je ne vais pas dire de bêtises.

Tout d'abord, on notera que l'ambiance de complots recherchée est bien là: Milady apparaissant dans la pénombre d'un carrosse, et ne se montrant que sous un loup de dentelle noire; Constance et Buckingham conversant en ombres chinoises devant la chambre de la reine, les gros plans sur le coffret à ferrets lors d'une étreinte royale, ou sur les mains de Richelieu signant un arrêt d'une plume rouge sang; et surtout Marie Windsor et ses apparitions hautement subtiles au coin d'une rue ou d'un couloir; tout concorde en effet à faire jubiler l'amateur de cabales historiques que je suis, le tout sans que le film prétende s'embarrasser de finesse ou de psychologie: on est là pour être diverti, et il faut identifier au plus vite les gentils des grands méchants, d'où cette série d'images percutantes et excitantes à la fois. Misant encore sur le divertissement à grande échelle, cette adaptation ne ménage pas non plus de nombreuses scènes de batailles, avec ces duels de capes et d'épées fort bien chorégraphiés dans un parc aux couleurs chatoyantes, ou sur les rives d'une mer bleu foncé, sans compter que voir le héros sauter sur les toits du Louvre provoque en moi de nombreux frissons, n'aimant rien tant qu'imaginer des histoires romanesques sur les toits d'un château. Par ailleurs, le film n'oublie jamais sa dimension humoristique pour atteindre le degré de divertissement recherché, si bien que son caractère épique finit toujours sur une note prêtant à sourire, depuis d'Artagnan faisant son entrée solennelle sur le dos d'un percheron (amusant), à Jussac en caleçon après un duel (pas drôle), en passant par des personnages croustillants comme Planchet et la cruche stupide servant de suivante à Milady.


Les décors et costumes se devaient quant à eux d'être parfaitement au point afin de servir ces aventures colorées, mais j'avoue n'être qu'à moitié convaincu de ce côté-là. En effet, si les décors urbains sont réussis, entre les dorures et parquets luisants des appartements royaux, les portes monumentales du cabinet de Richelieu, les toits du palais et les rues impeccablement propres, les images rurales sonnent en revanche assez faux dès le départ, depuis tous ces relais de campagne aux fenêtres en vinyle flambant neuf, à ces peintures abjectes lorsque d'Artagnan chevauche sur une route boueuse dont la limite avec le carton-pâte est visible à trois kilomètres. De leurs côtés, les costumes de Walter Plunkett tentent d'être le plus pompeux possible, mais même les plus réussis ont l'air trop carnavalesques pour être réellement historiques, sans compter que l'habituellement talentueux costumier s'est vautré en beauté en essayant de faire porter un pompon à Milady, laquelle semble alors davantage sortie d'une série Z de science-fiction que d'un entretien au Palais-Cardinal. Par bonheur, il y a tout de même des réussites, mais il est vrai que les costumes d'Autant en emporte le vent paraissent beaucoup plus authentiques, pour comparer avec d'autres travaux de Plunkett sur des films en Technicolor.


Le pompon, cet accessoire tellement tendance.

Ceci dit, pompons ou pas, les éléments positifs l'emportent largement, et c'est l'essentiel. On suit alors l'histoire avec beaucoup d'intérêt même si d'aucuns préféreront le roman, que je n'ai pas le courage de relire pour ma part: la dernière fois que j'ai plongé dans un Dumas, des longueurs descriptives m'ont perdu et je ne suis pas d'humeur à m'y remettre cette année. Quoi qu'il en soit, les deux heures de film passent sans ennui, cette adaptation remplissant parfaitement son contrat de divertissement, quoique la musique d'Herbert Stothart ne soit pas des plus mémorables, en revanche. Mais quid des performances d'acteurs, pour compléter ce tableau?


Eh bien, reconnaissons tout d'abord à Gene Kelly une réelle agilité et une énergie non feinte, malgré la présence de doublures pour certaines pirouettes risquées. Par contre, niveau interprétation… Restons polis en avouant qu'il s'agit d'un danseur et chorégraphe très talentueux, et reconnaissons encore qu'il est l'auteur de films charmants (Hello, Dolly!) et le co-réalisateur d'un chef-d’œuvre, mais dans l'attente de nouvelles découvertes, j'ai énormément de mal à le prendre au sérieux en tant qu'acteur, tout du moins dans le registre comique où sa seule ficelle est de sourire en ouvrant la bouche le plus grand possible. Sa performance dans Les Trois Mousquetaires frise l'atrocité tant il se croit obligé d'écarquiller les yeux à chaque découverte, et son comportement de petit chien en rut lors de l'arrivée de Constance un étage plus bas n'est tellement pas drôle que c'en est consternant. Ou alors, c'est tout le contraire: son interprétation est géniale si l'on considère... qu'il n'existe pas d'individu de sexe féminin en Gascogne et que ce pauvre d'Artagnan n'en a jamais vu de sa vie avant d'arriver à Paris…


"Oh mon Dieu! Un humanoïde avec des seins?
Mais qu'est-ce que ça peut bien être?"

June Allyson se défend quant à elle très bien dans un rôle ingrat, et jouer à la brave fille ne l'empêche nullement de faire preuve d'humour et de charisme, mais la pauvre n'est tout de même pas très difficile, puisqu'elle tombe éperdument amoureuse du héros après l'avoir entrevu seulement deux minutes. Du côté des mousquetaires, Gig Young et Robert Coote font leur job sans génie particulier, mais Van Heflin a une plus large palette émotionnelle à exploiter, ce dont il s'acquitte lui aussi assez bien sans toutefois marquer durablement les esprits. En fait, on compte peu de performances mémorables dans l'ensemble, pas même dans les couloirs du palais où Frank Morgan reste beaucoup trop âgé pour être un roi crédible, où John Sutton est insipide en ambassadeur énamouré, et où Angela Lansbury est très cool lorsqu'elle défie le cardinal du regard mais ne bénéficie que d'un temps d'écran très limité. Mon favori Vincent Price est quant à lui idéalement distribué en éminence rouge machiavélique et charismatique, mais ce n'est pas son plus grand rôle pour autant, malgré son irrésistible panache qui me donne une fois de plus envie de l'épouser. Reste encore un Keenan Wynn judicieusement burlesque en valet maladroit, collant par-là même très bien à l'esprit du film; une Patricia Medina d'une sottise sans bornes en suivante de la comtesse; et une Marie Windsor en méchante espionne qui regarde tout le monde en coin, pour bien signifier qu'elle est… très méchante!


L'une de ces femmes est une espionne sournoise. Sauras-tu trouver laquelle?

En revanche, le film comporte bel et bien une lumière interprétative en la personne de Lana Turner, qui livre ici une performance… attention vous allez tous hurler si vous ne l'aimez pas… éblouissante à plus d'un égard. Et j'assume: son interprétation est parfaitement équilibrée entre divertissement et profondeur émotionnelle: ainsi, on frise parfois la caricature pour bien l'identifier comme une méchante (son mauvais rire complice avec Richelieu), mais elle s'arrête toujours pile au bon moment pour ne pas franchir la ligne, et tout est parfait. Quant au registre de l'émotion, toutes les séquences en Angleterre sont fabuleusement excitantes, lorsque Charlotte se lance dans le rôle de sa vie afin de se tirer d'un très mauvais pas. L'actrice y est en effet constamment juste, et tout en n'ayant jamais peur de présenter une femme irrémédiablement nocive, elle réussit à en faire le plus beau personnage du film, au point qu'on ne se soucie plus de ce qui peut arriver aux autres. Néanmoins, on ressentait déjà quelque chose pour Milady auparavant, notamment lors de son désarroi sincère en apprenant que son amant n'avait pu venir la visiter. En définitive, les deux seuls bémols la concernant sont le dernier regard pervers qu'elle jette alentour, seule devant sa coiffeuse, alors qu'il n'y a vraiment plus besoin de forcer le trait quant à la méchanceté du personnage à ce moment-là; mais aussi l'impossibilité totale de croire qu'une femme aussi intelligente que Milady puisse être bernée par d'Artagnan, quand bien même les chandelles sont éteintes dans la pièce. Mais ce dernier point est à mettre sur le compte du scénario, si bien que je n'ai en fait pas grand chose à reprocher à l'actrice, dont la performance m'exalte au plus haut point, malgré un ou deux regards maladroits.


Lana, s'apprêtant à faire un compte rendu de cet article au cardinal.

Les Trois Mousquetaires me laissent alors le même ressenti que Scaramouche: on est loin du chef-d’œuvre mais un caractère hautement divertissant, de jolies images colorées et un personnage féminin excessivement cool rendent l'expérience réellement enthousiasmante. Un petit 7/10 n'est nullement volé.


4 commentaires:

  1. Comme disait Jacques Lourcelle "la Milady définitive et indépassable" ... je la nomme d'ailleurs (en supporting). Cela dit, c'est un rôle payant et je n'ai connu aucune Milady mauvaise : Demongeot est étonnante par exemple (dans un registre "fausse ingénue" surprenant) et Faye est divine (même si le fait que Constance ait un rôle plus marquant qu'habituellement dessert sa rivale).

    A noter que June Allyson a dit beaucoup de bien de Turner (elle-même estimait que Constance était sa moins bonne interprétation), en expliquant qu'elle avait vraiment réussi à lui faire peur dans toutes les scènes de prison.

    L'AACF

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    1. Grosse lacune du moment: je n'ai toujours pas vu la version "Faye", qui me tente terriblement, évidemment. Merci pour l'anecdote sur June Allyson que je ne connaissais pas. Pour ma part, je pousse le vice à donner ma préférence à Turner sur toutes les candidates officielles (supporting) de 1948. Je me rends compte que je suis vraiment très fan de l'actrice et que j'ai toujours envie de voir un film rien que pour elle.

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  2. En 1948 j'ai Simmons en gagnante, mais un peu par défaut (d'autant que je la fais gagner deux autres fois en leading). Comme Lana n'a encore aucun prix chez moi ... je pense que je vais suivre ton exemple sans honte et sans gêne !!! Merci pour l'idée, donc.

    L'AACF

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    1. J'aime bien Jean Simmons dans Hamlet, mais je suis souvent assez indifférent aux performances shakespeariennes, donc nomination probable mais dont je pourrais me passer à l'occasion. Parmi la liste officielle, il me faudrait revoir le film mais ma préférence va actuellement à Agnes Moorehead, qui m'a assez ému dans un rôle moins sophistiqué qu'à l'accoutumée. Lana reste néanmoins ma gagnante, la séquence dans la tour avec June Allyson m'excite totalement!

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