lundi 24 août 2015

The Deer Hunter (1978)

Un film de Michael Cimino.
A l'origine, ce n'était pas du tout une priorité de parler de Voyage au bout de l'enfer, mais comme c'est un film que je n'envisage pas de revoir, autant noter mes impressions tant que c'est frais, avant que tout ne retombe dans l'oubli et m'empêche d'en parler en détail lorsque je traiterai des Orfeoscar 1978.

The Deer Hunter a ainsi eu la bonne idée d'être diffusé hier soir, d'où une visite spéciale à mon chat pour regarder la télé, afin de voir un film qui a priori ne me tentait pas, mais néanmoins indispensable pour comprendre l'époque post guerre du Vietnam perçue aux Etats-Unis. Avant toute chose, il me faut cependant évoquer deux points très subjectifs qui ne pouvaient que m'influencer lors du visionnage: d'une part, je n'aime pas, mais vraiment pas, les films de guerre, et contrairement à la grande-duchesse de Gérolstein, je n'ai pas non plus une grande passion pour les militaires, tout du moins ceux qui choisissent spontanément d'aller se battre en quelque endroit que ce soit ou de se divertir en tuant du gibier. D'autre part, je ne connais strictement rien à l'histoire contemporaine et plus précisément à la guerre du Vietnam, je n'ai jamais suivi les débats à ce sujet, je ne sais pas ce qu'a dit Jane Fonda sur la question et tout cela m'intéresse finalement bien peu; à tort, certainement, mais je suis plus intéressé par le XVe que par le XXe siècle, c'est comme ça. En somme, je n'avais pas particulièrement envie de voir ce film, mais comme c'était incontournable pour étoffer ma culture cinématographique des 70's, il m'a bien fallu passer outre mes réticences et tenter l'aventure le temps d'une soirée. Pour quel résultat?

Eh bien contre toute attente, l'impression est plutôt positive, même si beaucoup de points me laissent perplexe. On dira pour commencer que le film accuse son temps: ça n'a pas si mal vieilli que ça, mais ça garde un esprit très 70's auquel je suis assez peu sensible, tout en ayant pu en apprécier la saveur grâce à des qualités techniques. En effet, The Deer Hunter reste malgré tout bien mis en scène, et l'on relèvera entre autres plusieurs jeux plaisants sur des miroirs qui soulignent la dualité d'une séquence (Meryl Streep arrivant tranquillement dans une pièce dans un reflet, puis se faisant gifler dans le vrai plan, ou découvrant plus tard le traumatisme de Robert De Niro alors qu'elle s'attendait visiblement à passer une nuit agréable avec lui de l'autre côté de la glace), et qui renforcent à plus grande échelle le propos général du film, entre les joies d'avant et les traumas d'après, le tout dans la même petite ville de Pennsylvanie dont seule la partie centrale nous aura éloignés quelques instants. D'autre part, les scènes de chasse prennent des accents quasi lyriques dans leur façon d'être filmées et par le choix de la musique de ces moments, ce qui témoigne d'un réel effort de mise en scène qu'on ne peut que saluer. Et pour rester dans le domaine musical, l'évolution est également savamment choisie entre le "Can't Take My Eyes Off You" guilleret de la première partie et le "God Bless America" lourd de sens de la troisième. En fait, ces choix servent bien un scénario qui reste quant à lui cohérent dans ses grandes lignes, au prix d'une division en trois actes (le mariage, la guerre, ses conséquences), et j'ai par ailleurs apprécié que The Deer Hunter soit moins un film de guerre qu'une histoire sur les conséquences psychologiques de la guerre. On nous épargne ainsi les stratégies militaires pour se concentrer sur l'humain, et c'est évidemment beaucoup plus intéressant.

Malheureusement, pour d'indéniables qualités, le film souffre aussi de nombreux problèmes qui en altèrent sa force. En premier lieu, certaines séquences sont beaucoup trop longues, parfois au point de faire patiner l'intrigue et perdre le spectateur dans un océan de tranches de vie quotidienne qui n'apporte absolument aucun élément pour éclairer le thème du film. Sérieusement, combien de temps est-il possible de tenir devant des gens qui dansent à un mariage? Quelques minutes pour montrer que les héros sont comme tout le monde avant de partir en guerre, d'accord, mais pas trois-quarts d'heure rien qu'avec des pas sur la piste, quelques verres avalés ça et là et une main aux fesses. De même, quel intérêt de se focaliser pendant dix minutes sur une route déserte pour découvrir, suspense, suspense (!) si le groupe d'amis va finalement faire demi-tour pour faire monter le gros lent qu'ils ont laissé dans le fossé après avoir uriné partout? En toute honnêteté, la séquence du bar où les hommes boivent entre eux alors qu'un archétype de matriarche vient faire la morale à son fils chéri en révèle beaucoup plus sur le quotidien des héros en seulement cinq minutes que toutes les séquences suivantes bien trop longues, et qui ennuient à mourir pour révéler finalement un certain manque de maîtrise de la part des scénaristes.

Ces mêmes scénaristes, justement, auraient également pu simplifier certains rebondissements auxquels on ne peut tout bonnement pas croire même si l'on ne connaît rien à la guerre. Par exemple, comment admettre que dans la séquence au Vietnam, deux prisonniers parviennent à abattre tous leurs geôliers armés jusqu'aux dents sans jamais être touchés par les multiples rafales qui les visent depuis chaque coin du cabanon? Et combien de temps un personnage peut-il passer à s'enrichir en jouant à la roulette russe alors que l'histoire suggère bien qu'il exerce une telle activité depuis au moins plusieurs mois? A propos de cette fameuse roulette russe, je sais que c'est un sujet de controverse puisque certains historiens contestent l'existence de tels paris dans les zones de guerre vietnamiennes, et pensent qu'il est dommage d'avoir réduit cette même guerre à cet unique élément. Personnellement, ça ne me pose pas problème puisque les séquences de paris, absolument insoutenables, donnent toute sa force à la narration et justifient amplement les traumatismes subis par les soldats, mais on aura quand même du mal à croire qu'un personnage arrive à gagner sa vie aussi longtemps avec si peu de chances de survie à chaque fois. D'ailleurs, justifier que ce personnage en arrive à de telles extrémités après-guerre, dans le seul but d'envoyer de l'argent à qui de droit afin de se faire pardonner pour une affaire franchement légère par rapport au reste de l'histoire, ne me semble pas très heureux.

Autrement, je sais que John Cazale était en phase terminale au moment du tournage, mais à moins que son rôle ait été réduit pour ces raisons, je n'ai pas vraiment compris ce que son personnage apportait à l'intrigue dans la fameuse première partie qui traîne en longueur. Mais ceci n'est qu'un défaut mineur qui n'est peut-être dû qu'à un manque de compréhension de ma part, et dans l'ensemble, le film atteint parfaitement son objectif en révélant les traumatismes subis par les soldats pendant la guerre. Pour incarner un sujet aussi sérieux, il fallait que l'interprétation soit à la hauteur, et en toute honnêteté, je suis absolument conquis. Robert De Niro porte en effet la majeure partie du film sur ses épaules en faisant le choix d'une sobriété intense où aucun sentiment ne semble jamais appuyé, même dans les scènes de terreur les plus "jouées", et cette approche est constamment excellente puisqu'on est touché par l'humanité d'un personnage auquel on croit parfaitement sans que l'acteur disparaisse derrière ses traits. D'autre part, j'ai longtemps eu peur que l'Oscar de Christopher Walken soit davantage le fruit d'un surjeu qui ne m'aurait pas étonné de sa part dans un tel rôle, mais heureusement, il n'en est rien, et l'acteur est toujours très bon sur les trois heures de film, mais à mon avis davantage dans la première partie où il joue au gars simple d'une petite ville, qui prend plaisir à s'amuser pour masquer les inquiétudes que lui cause son départ immédiat. John Savage est lui aussi bon quoiqu'un peu éclipsé par le charisme de ses co-stars, mais sa dernière grande scène à l'hôpital est vraiment très réussie, sans rien d'appuyé, ce qui était évidemment le bon choix. Quant à Meryl Streep, on comprend aisément que pour son seulement deuxième film elle ait fait sensation: à chaque apparition, elle sait absolument comment donner plusieurs dimensions à son personnage, et sa performance apparaît ainsi comme très riche, malgré toutes ses réussites futures qui tendent à présent à éclipser ces débuts fort prometteurs. Néanmoins, j'ai une petite réserve concernant ce rôle, car tout joliment orné soit-il, j'ai tout de même l'étrange impression de voir une actrice anxieuse de bien jouer chaque émotion, et sa technique n'en est que trop apparente. Or, le personnage est si quelconque que trop de technique ne lui sied pas particulièrement. Ça reste néanmoins une performance plus qu'honorable, qu'on se le dise.

Je pense avoir fait le tour d'horizon des impressions que m'a laissé le film. J'ajouterai que ses nominations reçues dans les catégories de montage, son et photographie me semblent méritées même si c'est loin d'être ce qui m'a le plus marqué, et je n'aurais clairement pas élu The Deer Hunter comme meilleur film de l'année bien que la citation reste possible dans l'immédiat, tandis que le scénario a peu de chances de passer le cap par rapport aux points énoncés à l'instant. Après, je ne suis pas en mesure de vous donner mon avis sur les nombreuses controverses du film vu que je n'ai pas de connaissances historiques sur la question, et que je n'ai pas envie de le revoir pour déterminer s'il y a du racisme ou non, ou si c'est aussi "manipulateur" que certains le disent, ce terme étant utilisé à tort et à travers de nos jours. A mon avis, The Deer Hunter est une petite réussite servie par des effets de mise en scène intéressants et une interprétation de haut niveau, ce qui lui vaut un petit 7/10 malgré de nombreuses réserves.

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