lundi 12 octobre 2015

Tonka Šibenice (1930)


Film tchécoslovaque de Karl Anton, sorti le 4 mars 1930, et dont le titre signifie littéralement Tonka "Gibet". Considéré comme le premier film tchèque parlant, c'est en fait une production muette sonorisée lors de trois séquences musicales chantées, à la façon de la Divine Lady de Frank Lloyd sortie un an plus tôt.

L'histoire: De retour à la campagne pour le printemps, Tonka, une ancienne paysanne devenue citadine, assure sa mère inquiète qu'elle a trouvé une bonne place à la ville. Malheureusement, devant la cour empressée que lui fait un ancien soupirant nuit et jour, Tonka doit écourter sa visite et repartir pour Prague après seulement quelques semaines. Là-bas, la rencontre improbable avec un condamné à mort changera-t-elle le cours de son existence?

[Attention, je dois révéler les trois quarts de l'intrigue pour détailler mon ressenti.]

J'avoue que Tonka Šibenice me laisse pour le moins perplexe, la faute à une seconde partie décevante après une première moitié captivante qui m'a réellement enthousiasmé de prime abord. Il faut dire que le scénario est franchement daté et, même pour 1930, le second acte uniquement consacré à une succession d'acharnements du sort n'était plus du tout d'actualité. Bon, passe encore que des villageois jamais sortis de leur campagne se mettent à calomnier l'héroïne à cause de son rapport, pourtant très pur, avec un condamné à mort, mais que tout Prague fasse de même, c'est assez douteux. D'ailleurs, ce scénario qui glorifie une fois de plus le mythe de la pute au grand cœur est rendu caduque par la phrase du gendarme venu chercher Tonka dans sa "pension", celui-ci la remerciant de sa bonne action alors qu'elle accepte d'aller passer la nuit avec un prisonnier dont la dernière volonté est la compagnie d'une femme. Dès lors, si l'homme qui fait autorité dans le film trouve l'acte de Tonka courageux, pourquoi diable les autres en font-ils tout un foin? Et quel est l'intérêt de passer la moitié du film à montrer que du jour au lendemain, Tonka perd tout à cause de sa nouvelle réputation liée à la potence, au point qu'elle passe l'automne isolée dans la rue, tremble de froid dans la neige hivernale, se fait passer à tabac par son ancien soupirant qui a découvert le pot aux roses, etc, sans oublier de souligner qu'elle reste quand même bien sympathique puisqu'elle sacrifie sa nourriture pour aider un cheval? Non, franchement, je suis déçu, et il y avait largement moyen de faire mieux plutôt que de jouer sur une énième version de la pauvre fille qu'il faut plaindre de tout notre cœur, "pitié!"

Par exemple, la même année, les Etats-Unis nous révélaient avec Ladies of Leisure une call-girl capable d'agir par elle-même malgré sa réputation salie, tandis que Mary Duncan, pas loin d'être traitée de prostituée par son beau-père dans City Girl, savait tout de même se débattre dans un milieu hostile et sans soutiens. Mais avec Tonka Šibenice, nous voilà repartis des années en arrière avec ce motif de la pécheresse qui descend toujours plus bas à chaque station, sans jamais rien faire d'autre que d'accepter son sort. Sincèrement, il aurait été bien plus intéressant de questionner avant tout la volonté de l'héroïne, ce que laissait faussement croire l'excellente première partie, après laquelle je m'attendais à un parcours centré sur ses questionnements intérieurs: allait-elle réussir à tromper son ennui manifeste devant un métier détestable? Finirait-elle par choisir de son propre gré la ville ou la campagne? Malheureusement, rien de tout ça, et après le sublime élément perturbateur dans la cellule du condamné, on dérive sur un bon gros drame tout droit sorti du XIXe siècle, où l'héroïne passe d'active à passive sans sourciller. Quel dommage, c'est vraiment une occasion manquée.

Autrement, Tonka Šibenice reste bien filmé, et regorge de belles images, entre de jolis plans champêtres avec vaches et moulins à vent, et de furtives photos de Prague de nuit, avec ces jolis monuments éclairés qui soulignent l'effervescence nocturne dans laquelle l'héroïne doit gagner de quoi vivre. Cependant, rien n'égale la séquence du cachot, où les jeux d'ombres sont très expressifs, en particulier lorsque la silhouette du prisonnier, dont les mains s'avancent dangereusement, se met à recouvrir entièrement celle de Tonka, avant que les motifs des barreaux ne forment des croix lourdes de sens sur les personnages lors du joli dialogue qui s'ensuit. D'autre part, si, et seulement si, la musique date bien de l'époque, ce que semble confirmer la qualité sonore pour le moins modeste, les choix musicaux servent plutôt bien le propos, en particulier lorsque les plus beaux accords de la Vltava de Smetana sont joués sur les images de Prague, afin de suggérer le retour à la ville après l'interlude rural. La mise en scène rattrape donc en partie les écueils du scénario et c'est tant mieux.

Ceci dit, le film doit également beaucoup à Ita Rina, l'une de ces actrices du muet avec lesquelles il faut compter, et dont le visage charismatique n'est pas sans évoquer une Evelyn Brent, en encore plus jolie d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, comme le suggérait déjà sa performance dans Erotikon l'année précédente, il ne fait aucun doute que la dame sait jouer: elle se garde constamment d'être trop expressive et touche par-là même bien plus que certaines de ses collègues de l'époque, et on lui rendra grâce de savoir être autant crédible en hétaïre un peu sûre d'elle qu'en clocharde laminée, la grande force de l'actrice étant qu'elle parvient à connecter ces deux parties sans qu'on doute jamais qu'il s'agit du même personnage, l'hétaïre étant rongée par le doute sous sa façade légèrement arrogante envers ses consœurs, et la clocharde faisant toujours preuve d'une certaine intensité même si le scénario s'ingénie à la rendre totalement passive. Ainsi, le film vaut au moins le coup pour son interprète principale et, même si son travail ne compte pas parmi les plus grandes performances de l'année, ça reste tout de même plus que digne d'intérêt. C'aurait même pu être réellement fascinant, si l'histoire ne lui mettait pas d'aussi gros bâtons dans les roues. Autrement, les seconds rôles sont à peu près corrects d'un point de vue interprétatif, mais étant donné que les personnages réagissent tous comme des simples d'esprit, on ne peut vraiment rien ressentir pour eux, à l'exception du prisonnier, qui hérite de la meilleure séquence et qui a le bon goût d'être l'un des rares à ne pas juger Tonka.

En somme, c'est un film qui se laisse découvrir sans déplaisir, mais c'est finalement décevant. 6/10.

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