samedi 25 avril 2015

Divas de l'Orient-Express


Après Mort sur le Nil, amusons-nous à classer les personnages du Crime de l'Orient-Express dans l'adaptation de Sidney Lumet de 1974, à la seule différence que les suspects étant ici plus nombreux, j'ai largement de quoi établir un Top 10 qui nous épargnera les personnages ultra secondaires et inutiles. Mais attention, dans le cas peu probable où vous n'auriez pas lu le livre, des spoilers sont à prévoir.

La preuve, c'est qu'avant de passer aux choses sérieuses, je précise que toute divertissante soit-elle, l'intrigue (que j'avais déjouée dès l'autopsie dans le livre) comporte d'énormes incohérences que rien ne justifie, en particulier lorsque certains personnages confient sans ambages un quelconque lien avec l'affaire Armstrong bien qu'ils n'aient aucun intérêt à le faire, à l'image du secrétaire qui met les pieds dans le plat sans qu'on le lui demande! Mais le pire, ce sont quand même les déductions totalement bidons du détective, en particulier le coup de la cuisinière qui sort de n'importe où, et qui n'est même pas crédible car pourquoi une grande dame voyagerait-elle avec une cuisinière alors que l'amitié des deux femmes de chambre suffisait à inclure la domestique dans le périple? Et d'ailleurs, en quoi peut-on soupçonner une Allemande vêtue comme la patronne d'un cabaret gay du Berlin des Années folles d'être une cuisinière refoulée? Parce qu'elle vient du pays de la Grützwurst et des Kartoffeln? C'est un peu maigre comme justification, et ça me fait méchamment penser aux raisonnements subtils de la folle furieuse de Lakanal qui m'avait prédit que je me destinerai à des études de philosophie avec spécialisation dans la pensée kantienne uniquement parce que je faisais Allemand LV2, tout cela avant de me marteler le dos à coups de poings en hurlant: "C'est Diderot! C'est Dideroooot! Hahahahahahaha!" Ce pauvre Jacques Chouillet s'en retournerait dans sa tombe, mais je m'égare.

Parmi les autres problèmes du film, quel besoin, également, de faire en sorte que la Suédoise tente de prouver sa débilité, alors que ça n'influence en rien ses actes? Et pourquoi faire une tache de graisse sur un passeport alors que le personnage sait qu'il y a d'autres H dans le wagon? Bref, c'est marrant cinq minutes mais à la fin ce sont autant de rebondissements qui ne servent qu'à meubler les pages. Après, je suis peut-être de mauvaise foi car, une fois encore, c'est moins la résolution du crime qui m'intéresse que les rapports entre des personnages de différentes nationalités, et l'ambiance de voyage de luxe et de blocage inattendu en pleine Yougoslavie enneigée m'excite totalement. L'histoire reste ainsi captivante malgré tout et je pense que le film s'adressait de toute façon à un public déjà au fait de ces détails, et par conséquent plus avide de voir un casting de rêve échanger quelques répliques plutôt que de chercher à savoir à qui appartient un mouchoir en dentelle ou un cure-pire usagé.

Sachant cela, quel sera mon Top 10 des meilleurs personnages du film?

10. M. Beddoes (John Gielgud)

Concrètement, il ne sert pas à grand chose, mais il est très drôle lorsqu'il fait son majordome snob et méprisant envers quiconque ne maîtrise pas la langue de Shakespeare à la perfection ("A kind of English, sir. I think he learnt it in a place called Chicago."), et qui lit secrètement des romans de bonnes femmes avant de s'endormir. En outre, il ment avec aplomb en toutes circonstances, même lorsqu'il n'y a plus lieu de le faire (le coup de la bagarre à la cantine), de quoi lui conférer une certaine classe tout du long.

9. Comte Andrenyi (Michael York)

Un autre personnage qui ne sert pas à grand chose, et qui peut même finir par agacer à force de considérer sa femme comme un pauvre petit moineau à protéger du monde extérieur, mais lorsqu'il lui sourit en plein interrogatoire, il devient subitement séduisant avec sa petite moustache blonde et sa coiffure volumineuse impeccablement gominée.

8. Hector McQueen (Anthony Perkins)

Un personnage extrêmement nerveux porté par un acteur bien décidé à capitaliser sur son image malsaine de Psychose. L'ennui, c'est qu'il joue ici au secrétaire modèle et qu'à force de lorgner sans vergogne du côté d'Hitchcock, sa performance se transforme en une recette assez bizarre, curieux mélange d'Erica Martin et de Norman Bates, ce qui ne rend pas le personnage très cohérent quoiqu'il reste par-là même totalement marquant. On aime particulièrement le sourire pervers soulignant un joyeux bouillonnement intérieur lorsqu'il découvre l'identité de son patron, et confie à la limite de l'orgasme qu'il l'aurait volontiers étranglé s'il avait su plus tôt le fin mot de l'histoire. Flippant!

7. Hildegarde Schmidt (Rachel Roberts)

Déjà, Rachel Roberts fait très bien l'accent allemand, n'hésitant pas à en rajoutant une couche en se la jouant matrone autoritaire martelant bien chaque syllabe comme pour vous priver de déjeuner, et son petit cri tout germanique à la limite de l'hystérie lorsqu'elle découvre la veste dans sa valise rend cette domestique d'apparence réservée assez jouissive. On aime également sa dévotion sans bornes auprès de son employeuse, dont elle parle toujours comme de sa princesse et non de la princesse, ainsi que le sourire de satisfaction qui entrouvre ses lèvres de plaisir lorsqu'on lui fait un compliment sur ses talents de cuisinière, chose néanmoins hors de propos pour un personnage beaucoup trop stylé et maquillé pour l'imaginer derrière des fourneaux. Quoi qu'il en soit, il faut encore louer la capacité de l'actrice à s'effacer pour bien coller à son personnage, tout en suggérant un certain lesbianisme que traduisent encore sa cravate et son costume.

6. Colonel Arbuthnot (Sean Connery)

C'est toujours un plaisir de retrouver Sean Connery ailleurs que dans James Bond, surtout quand il a l'extrême bon goût de sortir avec la flamboyante Vanessa Redgrave afin de former un tandem explosif non dénué de romantisme. Il séduit encore par son talent à faire autorité sur le reste des passagers, tout imbu de sa rigueur militaire où perce néanmoins une certaine émotion lorsqu'il évoque une franche camaraderie passée, et il sait en outre improviser sans avoir à rougir alors qu'il lui faut se sortir d'un mauvais pas. Il fait également autorité sur tout un troupeau de moutons avant de traverser le Bosphore, de quoi lui faire gagner des points.

5. Harriet Belinda Hubbard (Lauren Bacall)

Dotée du personnage le plus voyant, Lauren Bacall ne peut absolument pas passer inaperçue, d'autant que Mrs. Hubbard est constamment prête à vampiriser la moindre conversation pour tout ramener à elle. L'effet comique est réussi, mais il est tout de même regrettable que l'actrice révèle par-là même trop de choses avant même le déclenchement de l'intrigue, au point de se faire reconnaître par le détective au premier regard (voir également Jean-Pierre Cassel et son "Ah, Mr. Ratchett!" qui en révèle beaucoup trop). Ceci dit, même si trop théâtrale trop vite, Mrs. Hubbard n'en reste pas moins très drôle, en particulier lorsqu'elle n'hésite pas à parler de ses détails intimes avec ses deux maris, au point de faire fuir la moitié des passagers et de mettre les autres dans un embarras profond (voir les réactions gênées de la Suédoise, de la princesse et de la secrétaire, c'est hors de prix). Par ailleurs, elle s'illusionne totalement sur son âge ("Il y a vingt ans, j'aurais eu à peine quinze ans!"), ce qui la rend pathétiquement délicieuse, bien que là encore, tout ne soit qu'illusion.

4. Comtesse Andrenyi (Jacqueline Bisset)

De tous les passagers, c'est probablement celle qui réussit le mieux ses entrées, toute aristocratique qu'elle reste en esquivant des oranges qui roulent à ses pieds, ou se présentant à son interrogatoire cigarette à la main. Elle garde en tout cas une classe folle, en particulier avec son chapeau à plumes, ainsi qu'avec son petit rire mignonnement snob lorsqu'elle plaisante sur ses somnifères, après avoir regardé très amoureusement son mari. D'ailleurs, les regards qu'elle lui lance sont toujours très charismatiques, et elle est encore joliment émue à la fin, sans compter qu'elle fait bien l'accent hongrois à chaque réplique.

3. Greta Ohlsson (Ingrid Bergman)

La performance la plus honnie du film reste pourtant un sommet de drôlerie souvent hilarant, tant la star joue bien à la gouvernante stupide qui cherche toujours à se réfugier dans la religion. "Aaaah! Mon précieux Saint Christophe!" pose d'emblée les bases de la composition, et loin d'être agaçante, Bergman est constamment drôle lorsqu'elle arpente le wagon-restaurant mettant Dieu à toutes les sauces dans des répliques telles: "La neige est un don de Dieu, tout est pour le mieux!" "Seul le pardon de Dieu importe!" Le mieux, c'est lorsqu'elle s'accroche à sa Bible en grimaçant comme une hystérique à la limite de l'orgasme pour conclure que "Dieu qui dit: "Tu ne tueras point", a été bafoué!" Cependant, le clou du spectacle réside dans la séquence de l'interrogatoire, avec toutes ces expressions faciales absurdes qui font planer la pauvre Suédoise comme après un gros joint: "Oui! J'ai vu Jésus... Dans le ciel! Avec les petits enfants attardés! Oui! La robe est lila! Tout lila!" Après, rien de tout cela ne méritait un Oscar, ni même une nomination, mais ça reste très amusant. Reste à savoir si l'actrice avait prévu de jouer sur un mode comique ou si c'est une réinterprétation de ma part.

2. Mary Debenham (Vanessa Redgrave)

Ah! Moi, je n'ai pas vu Jésus dans le ciel, mais j'ai vu Vanessa Redgrave en rousse flamboyante dans l'Orient-Express. Et ça vaut toutes les drogues ou religions du monde! Dieu qu'elle est belle! Et charismatique! En effet, rien que son apparition sur une jetée d'Istanbul lui permet de brûler la pellicule et d'éclipser tout ce qui existe alentour, même Sainte-Sophie en arrière-plan, de même que sa façon de porter sa veste sur les épaules au wagon-restaurant: sublime! Et si l'on ajoute le fascinant clin d’œil qu'elle jette à Sean Connery au moment d'être interrogée, son baiser tendre et riant sur la joue de son amant, sa façon joviale de trinquer avec les dames de la dernière séquence et surtout ses fabuleuses réponses lors de l'interrogatoire ("Of course, yes, yes, and I don't know."), avec tout ce qu'il faut de regards défiants avec un soupçon de mépris et de sourires assurés, on obtient une performance explosive qui me séduit davantage à chaque visite. Ça me confirme également que mon idéal féminin reste plus que jamais une rousse indépendante et distinguée, type Eleanor Parker ou Vanessa Redgrave, et cette apparition mythique de la seconde me fait totalement jubiler.

1. Princesse Dragomiroff (Wendy Hiller)

Cependant, l'Orient-Express compte tout de même un personnage encore plus délicieux que Mary Debenham, en la personne de la princesse Dragomiroff, une femme prodigieuse qui parvient à garder la classe avec un kilogramme de plumes sur la tête, et dont chaque regard défiant, superbement ironique, fait des merveilles qui me font clairement envisager au minimum une nomination aux Orfeoscar. Il faut dire qu'avec son visage blanchi à la chaux pour mieux ressembler à un vampire, sa voix évaporée aux intonations savoureuses, sa façon de voler la vedette à tout le monde en entamant elle-même la conversation ("Vous voudriez que je m'accuse d'avoir tué Monsieur Dieu-sait-qui?") et sa manière de rabattre le caquet de Mrs. Hubbard ("I can think of no other reason, Madame!"), elle reste le meilleur personnage de l'histoire, et la dame me parle d'autant plus personnellement qu'elle me rappelle mon arrière-grand-mère par plusieurs aspects, notamment à travers son humour pince-sans-rire, sa voix éthérée et sa manie d'aligner ses photos auprès d'elle. Bref, la princesse était, sans surprise, programmée pour être le meilleur personnage du film, et l'on peut s'étonner, mais se réjouir aussi, qu'Ingrid Bergman ait décliné le rôle pour jouer qui l'on sait. Mais tant mieux pour Wendy, en l'honneur de qui j'ai même appelé mon disque dur externe Dragomir. Il fallait que ce soit dit.

Maintenant, pour ceux qui s'étonneraient de ne voir aucune mention des autres personnages, sachez que je hais la composition d'Albert Finney, pourtant bien charismatique mais si horriblement caricatural qu'il en est insupportable. Les autres hommes ne m'intéressent vraiment pas, de leur côté. Il faut dire que lorsqu'on peut avoir Ingrid Bergman, Lauren Bacall et Vanessa Redgrave à la même table, le reste du monde revêt subitement moins d'importance.

mardi 14 avril 2015

Panthéon


Voilà déjà trois ans, j'avais publié une première version de mon panthéon d'actrices de l'Âge d'or hollywoodien, en me basant principalement sur la liste des 250 candidates de l'AFI, et en restant dans les premiers rôles pour simplifier le tout. Mais en trois ans, mes goûts ont eu le temps de s'affiner, et les nouvelles découvertes ont créé certains bousculements dans la liste originelle, d'où ce nouvel article pour remettre les choses à jour. Seulement, comme l'exercice se révèle plus compliqué qu'il n'y paraît de prime abord, pour conjuguer mes deux passions ultimes que sont les actrices et le cinéma américain des années 1930/40, j'ai décidé de stratifier l'article en une dizaine de catégories, dans lesquelles les stars seront classées par ordre alphabétique, tant il est difficile de déterminer qui a ma préférence dans l'absolu. Pour certaines, comme Mary Astor, la frontière entre star de premier plan et actrice de genre est difficile à tracer, d'où une rubrique explicative spécifique au milieu de l'article. D'autres seront recalées non pas par indifférence à leur égard mais parce qu'elles n'ont que partiellement été intégrées au système hollywoodien et restent avant tout européennes (Danielle Darrieux, Anna Magnani), ou parce qu'elles n'ont commencé leur carrière qu'à l'extrême fin des années 1950 et restent donc surtout modernes dans mon esprit (Shirley MacLaine), ou encore parce qu'elles conjuguent ces deux aspects à la fois (Sophia Loren). Enfin, n'arrivant pas à m'en tenir à un top 25 comme l'a fait l'AFI, et que j'avais envie de parler d'autres actrices plus rarement évoquées, je me suis résolu à monter jusqu'à un top 30 pour mes principaux coups de cœur. Partant de là, comment organiser mon panthéon de façon adéquate?

Les 15 Olympiennes

Claudette Colbert

De Claudette Colbert, on retiendra de prime abord le chic et l'élégance hors du commun, mais surtout le génie comique qui ne peut rendre qu'envieuse n'importe quelle autre actrice. Déjà phénoménale dans le très bon Smiling Lieutenant (1931), où elle est aussi drôle qu'émouvante dans un film davantage centré sur sa collègue, elle est encore pétillante à souhait dans de grands péplums sauce DeMille tels The Sign of the Cross (1932) et Cleopatra (1934), où elle n'occulte pas l'aspect tragique de figures légendaires comme la reine d'Egypte, qui n'est d'ailleurs que l'un de ses morceaux de bravoure de sa plus grande année hollywoodienne, aux côtés d'Imitation of Life (1934), un savoureux mélodrame où l'actrice est constamment juste, et surtout It Happened One Night (1934), l'archétype de la screwball comedy qui lui valut un Oscar. C'est d'ailleurs dans le registre comique que sa carrière a le plus brillé, principalement avec Bluebeard's Eighth Wife (1938), où elle embrasse Gary Cooper après avoir mangé de l'oignon, Midnight (1939) et It's a Wonderful World (1939) où elle s'en donne à cœur joie; sachant que même dans ses compositions les plus ordinaires, de type She Married Her Boss (1935), I Met Him in Paris (1937) et The Palm Beach Story (1942), elle est toujours très inspirée et constamment hilarante. A partir des années 1940, comme l'annonçait déjà Arise, My Love (1940), ses meilleures performances sont à chercher du côté des drames marqués par la guerre, où elle est à chaque fois formidable de force et de charisme, sans oublier d'ajouter une touche d'humour à des œuvres telles So Proudly We Hail! (1943), Since You Went Away (1944) ou encore Three Came Home (1950). Son plus beau rôle? Midnight, où dans les souliers d'une fausse Cendrillon cherchant à s'incruster dans la haute société, chacune de ses expressions est à mourir de rire.

Joan Crawford

Incontestablement l'une des stars les plus excitantes de cette liste, Joan Crawford me fait entrer en transe dès qu'elle apparaît à l'écran, au point qu'on peut légitimement parler d'orgasme visuel, tant elle est toujours un minimum intéressante, même dans la première partie de sa carrière où la MGM la reléguait dans des films de moindre envergure pour rapporter des sous. Pourtant, Crawford était déjà fabuleuse dès l'ère du muet, notamment dans Our Dancing Daughters (1928), son premier grand rôle où elle pulvérise tous ses partenaires, avant de retenter l'épreuve avec succès dans Grand Hotel (1932), où elle éclipse à la fois Wallace Beery, les frères Barrymore et même Greta Garbo, tant elle y est vivace et sympathique, avec tout ce qu'il faut d'émotion pour toucher au cœur. Désireuse de trouver des rôles à la mesure de son talent, la star n'hésita pas, ensuite, à prendre des risques en jouant la méchante voleuse de maris dans la plus grande comédie du monde, The Women (1939), avant de se défigurer le temps d'un rôle dans un autre chef-d'oeuvre de Cukor, A Woman's Face (1941), l'une de ses meilleures performances. Poussée vers la sortie par son ancien studio, elle put heureusement rebondir en signant pour la Warner dans les années 1940, où elle réalisa l'un des comebacks les plus remarqués de l'histoire du cinéma avec Mildred Pierce (1945), à mi-chemin entre le mélodrame féminin et le film noir, et à peu de choses près le rôle de sa vie, qui lui permit de détrôner Bette Davis comme reine de la maison. A partir de là, elle enchaîna les projets prestigieux, souffrant admirablement bien au passage dans Humoresque (1946), Possessed (1947) et Sudden Fear (1952). Survivant au passage cinématographiquement délicat de la cinquantaine, elle fut encore prodigieuse dans Johnny Guitar (1954), le western féminin qu'il faut avoir vu cent fois avant de mourir, et What Ever Happened to Baby Jane? (1962), se lançant avec son ennemie jurée Bette Davis dans un grand duel sado-masochiste de divas vieillissantes délicieusement camp. Son plus grand rôle? Incontestablement Humoresque, chef-d'oeuvre romantique contenant sa performance la plus nuancée.

Bette Davis

D'abord repérée au théâtre, puis assez mal exploitée à ses débuts par la Warner, un studio d'hommes qui ne savait pas trop quoi faire de son physique singulier, c'est vraiment en 1934 que Bette Davis se fit remarquer en prenant un énorme risque avec le pire personnage de garce de l'époque dans Of Human Bondage, rôle que personne d'autre ne voulait jouer et qui, bien qu'interprété assez lourdement, lui valut d'emblée la reconnaissance de ses pairs. Récompensée dans la foulée par un Oscar pour Dangerous (1935), elle fut aussitôt couronnée à Venise en 1937, entre autres pour sa femme battue dans Marked Woman, même si le meilleur rôle de cette première période reste à mon avis The Petrified Forest (1936), où elle captive en jeune femme cultivée coincée dans un environnement qui ne lui sied pas.

Mais c'est à partir de 1938 que Bette devint le monument que l'on sait, grâce à une rencontre bienheureuse avec William Wyler qui la conduisit à un second Oscar dans l'excellent Jezebel, où elle donne vie à l'archétype de la Southern Belle avec une pugnacité magistrale, inaugurant par-là même une série de performances toutes plus éblouissantes les unes que les autres dans des films hautement prestigieux, de quoi s'imposer comme la plus grande actrice de son époque. Très occupée en 1939, elle éblouit encore avec Dark Victory, sa meilleure performance sur cette période avec cette jeune héritière mourante qui évite constamment le mélodrame; Juarez, où elle joue la folie avec une énergie décapante, The Old Maid, dans un premier échange savoureux avec sa rivale Miriam Hopkins, et The Private Lives of Elizabeth and Essex, où elle est aussi drôle que tragique en reine vieillissante et amoureuse. La nouvelle décennie la vit ensuite se surpasser, principalement avec sa meurtrière sans scrupules dans The Letter (1940), son ogresse avide de richesses dans The Little Foxes (1941) et, histoire de changer un peu, sa vieille fille dépressive qui revient à la vie dans Now, Voyager (1942). Cet enchaînement de réussites lui valut d'ailleurs cinq nominations consécutives aux Oscar, notamment pour sa capacité à jouer sur les variations les plus subtiles de la méchanceté.

Old Acquaintance brisa le cercle en 1943 bien qu'elle y soit encore une fois plus que digne d'éloges, en restant parfaitement sobre face à une Miriam Hopkins déchaînée, mais elle revint très vite dans la course l'année suivante avec Mr. Skeffington, un contre-emploi aussi drôle que pathétique où elle joue, à la surprise générale, une écervelée de première classe. Malheureusement, la deuxième moitié des années 1940 la vit décliner rapidement à cause d'une série de rôles peu intéressants, mais alors qu'on la crut finie, elle se ressaisit et livra rien moins que la meilleure performance de l'histoire du cinéma dans All About Eve (1950), le plus grand rôle de sa très riche carrière, et le plus bel hommage qu'une actrice pouvait faire à sa profession. Malgré ce coup de maître, les bons projets se firent de plus en plus rares dans les années 1950, en dépit de bonnes performances dans Phone Call from a Stranger (1952) et The Virgin Queen (1955), et c'est surtout avec What Ever Happened to Baby Jane? (1962) qu'elle revint une dernière fois triomphale, en martyrisant avec grand plaisir son ennemie mortelle, Joan Crawford. Par la suite, elle ne décrocha plus de rôles à sa mesure: Hush... Hush, Sweet Charlotte (1964), n'est qu'une pâle copie de Baby Jane, mais on la retrouva tout de même avec grand plaisir dans un second rôle croustillant avec Death on the Nile (1978); dans une excellente apparition télévisée, Strangers (1979), un très grand échange avec Gena Rowlands qui lui valut un Emmy; et enfin dans The Whales of August (1987), où elle reste mémorable face à Lillian Gish malgré ses énormes problèmes de santé.

Bref, All About Eve reste son plus grand exploit, mais devant une carrière aussi époustouflante, difficile de choisir parmi ses innombrables sommets.

Marlene Dietrich

Assurément l'une des femmes les plus charismatiques du XXe siècle, et qui restera à jamais gravée dans les mémoires comme la muse de Sternberg, bien que son charisme perçât déjà auparavant, comme dans Die Frau, nach der man sich sehnt (1929). 1930, la date précise de sa rencontre avec son mentor, reste néanmoins l'année de la consécration, puisque l'énorme succès de l'Ange bleu les conduisit tout droit à Hollywood afin de tourner le très beau Morocco dans la foulée, avant d'enchaîner sur une série de grandes réussites toutes très excitantes dont Dishonored (1931), mais surtout Shanghai Express (1932) et Blonde Venus (1932), où l'actrice injecte tout ce qu'il faut d'émotion et de vivacité pour étoffer ses rôles, puis The Scarlet Empress (1934), le chef-d'œuvre ultime du septième art, et enfin The Devil Is a Woman (1935), où Marlene est très drôle en parodiant son propre style à la manière assumée d'une mauvaise actrice. Ceci dit, l'après Sternberg n'est pas à négliger puisqu'on la retrouve très bonne comédienne dans les irrésistibles Desire (1936) et Destry Rides Again (1939), où elle s'en donne à cœur joie, et dans des films plus oubliables comme The Flame of New Orleans (1941) et The Lady Is Willing (1942). Les années 1940 furent effectivement moins pittoresques dans sa carrière, encore qu'elle soit assez touchante dans Seven Sinners (1940) et Pittsburgh (1942), deux œuvres médiocres, et très intéressante dans une grande prise de risque avec A Foreign Affair (1948), après avoir précisément combattu le nazisme en personne tout au long de la décennie. Les années 1950 furent malgré tout plus glorieuses d'un point de vue cinématographique puisque l'époque fut l'occasion d'un petit comeback plaisant avec Rancho Notorious (1952), et surtout d'un grand comeback éblouissant avec Witness for the Prosecution (1957), son dernier très grand rôle, quoiqu'elle soit absolument marquante dans ses seconds rôles de Touch of Evil (1958) et Judgment at Nuremberg (1961). Bref, sa filmographie parle pour elle, et son charisme fut toujours tel qu'il lui permit de briller sur scène avec de magnifiques chansons, sans que la dame fût une très grande chanteuse, il faut bien le reconnaître. Mais vraiment, je l'adore, et j'aime  plus que tout revoir ses grands films des années 1930 au moins une fois par an.

Irene Dunne

L'une des actrices les plus modernes des années 1930, qui sut toujours éviter toute note mélodramatique dans ses rôles, et fut aussi éblouissante dans des drames que dans des screwball comedies. Ses rôles les plus marquants? Consolation Marriage (1931), contenant une séquence mythique de bataille d'oreillers; Back Street (1932), l'une de ses meilleures performances dramatiques; Magnificent Obsession (1935), où elle est fort crédible en aveugle tout en apportant une légèreté bienvenue à ce rôle très chargé; Theodora Goes Wild (1936), sa première grande performance comique contenant une transformation des plus délicieuses; The Awful Truth (1937), un sommet de comédie où elle est fabuleuse à chaque plan; et Penny Serenade (1941), un merveilleux mélodrame où elle est encore une fois parfaite. Son plus beau rôle reste néanmoins Love Affair (1939), une superbe comédie romantique où elle brille dans tous les registres.

Greta Garbo

La Divine, qui m'éblouit très régulièrement dans une série de chefs-d'oeuvre. Parmi ses plus beaux rôles, notons sa jeune comtesse dans Gösta Berlings saga (1924), un chef-d'oeuvre parfait où elle soutient très bien la comparaison avec les plus grands acteurs suédois des années 1920; Torrent (1926), son premier grand rôle américain où elle captive à chaque instant dans une délicieuse histoire typique de ces années-là; Flesh and the Devil (1926), un sommet d'érotisme latent qui donne des frissons; A Woman of Affairs (1928), un excellent drame sur la jeunesse riche des Années Folles; The Mysterious Lady (1928), un film d'espionnage excitant à souhait; The Painted Veil (1934), la meilleure version de l'histoire où elle crève l'écran par son charisme et sa vivacité; Anna Karénine (1935), une très bonne performance divisée entre une première partie pétillante et une fin fabuleusement dramatique où sa théâtralité fait des merveilles; et enfin Ninotchka (1939) et Two-Faced Woman (1941), où elle surprend en donnant deux performances comiques de tout premier ordre qui tranchent avec le reste de sa filmographie. Malgré tout, ses deux plus grands exploits restent Queen Christina (1933), son rôle le plus riche qui interroge aussi bien la question du pouvoir, de la place des femmes en politique, des sentiments contrariés et de la sexualité; et Camille (1936), la plus superbe des Dames aux camélias qu'on puisse rêver, où l'introduction d'une prodigieuse légèreté renforce la splendeur du drame qui suit, et où la Divine abandonne tous ses tics théâtraux pour toucher au cœur en toute simplicité: sublime.

Miriam Hopkins

Comme on le sait à présent, l'un de mes plus grands coups de cœur de cinéma, et une actrice versatile capable de briller dans tous les registres. Ses meilleurs rôles: The Smiling Lieutenant (1931), une délicieuse performance comique à mourir de rire avec une princesse peu dégourdie qui se transforme en grande séductrice; Trouble in Paradise (1932), une gigantesque réussite à laquelle elle participe pleinement; The Story of Temple Drake (1933), un film sordide dans lequel l'actrice n'a pas peur de se donner à 100%; Design for Living (1933), où elle brille par son pétillant et sa repartie dans un ménage à trois osé; Becky Sharp (1935), où elle est incendiaire dans le registre comique et dévore à peu près tout sur son passage; These Three (1936), où elle frappe par sa sobriété; The Old Maid (1939), où elle surpasse Bette Davis avec un personnage ambigu; Old Acquaintance (1943) et The Mating Season (1951); deux des plus beaux exemples de sur-jeu comique réussi; ou encore The Heiress (1949), où elle est magnifique en tante dynamique et compatissante. Quant à son morceau de bravoure, j'hésite entre Dr. Jekyll and Mr. Hyde (1931), où... Wow!, et dans un registre très différent The Stranger's Return (1933), un film discret où elle se révèle d'une fabuleuse modernité.

Vivien Leigh

Malgré une filmographie restreinte, Vivien reste l'auteur des deux plus grandes réussites interprétatives de son époque, en l'occurrence Gone with the Wind (1939), la performance parfaite qui contient absolument tout ce dont une actrice pourrait rêver, et A Streetcar Named Desire (1951), une performance éprouvante extrêmement bien détaillée. Mais n'oublions pas trop vite Waterloo Bridge (1940), où elle est exceptionnelle mais pas aussi touchante que Mae Clarke neuf ans plus tôt; That Hamilton Woman (1941), où elle passe du pétillant au drame avec une facilité déconcertante; Caesar and Cleopatra (1945), où elle rappelle la Scarlett d'avant-guerre en plein désert égyptien; et Anna Karénine (1948), où elle est également brillante dans un grand rôle à sa mesure.

Carole Lombard

Sincèrement, l'une des actrices les plus drôles du monde, notamment célèbre pour ses rôles amusants dans Twentieth Century (1934), Hands Across the Table (1935) et Nothing Sacred (1937), ou encore dans Mr. and Mrs. Smith (1941), où elle fait tout son possible pour sortir le film de sa torpeur, et dans To Be or not To Be (1942), un très grand chant du cygne qui fait ardemment regretter qu'elle ait quitté la scène trop tôt. Sa meilleure année reste néanmoins 1936, en particulier avec The Princess Comes Across où elle livre l'imitation du siècle avec un délicieux accent suédois et des manières austères de déesse renfermée sur elle-même, et surtout avec My Man Godfrey, le chef-d'œuvre ultime de la screwball comedy où elle est exceptionnellement délirante en jeune héritière écervelée.

Myrna Loy

Une personnalité vivace ayant toujours su manier l'art de la repartie et ayant toujours réussi à créer une formidable alchimie avec ses partenaires. Parmi ses meilleurs rôles: Love Me Tonight (1932), où elle éclipse Jeanette MacDonald à chaque scène en commun, notamment lors d'un bal costumé qui lui permet de remporter le match vestimentaire; The Animal Kingdom (1932), où elle révèle progressivement, et avec courage, toute l'agressivité du personnage sous ses grands airs aristocratiques; Manhattan Melodrama (1934), où elle est détonante de charisme face à Clark Gable et William Powell; The Thin Man (1934), un échange savoureux avec Powell; Libeled Lady (1936), où elle est à mourir de rire en mondaine qui ne se laisse pas marcher sur les pieds; et The Best Years of Our Lives (1946), où elle est fabuleuse en épouse de soldat dans l'après-guerre. Cependant, elle n'a jamais été meilleure que dans Test Pilot (1938), où son entrée en scène est sublime de charisme et de repartie, avant une seconde partie où elle joue avec une extrême justesse une inquiétude contenue.

Pola Negri

Peut-être la plus grande actrice de l'époque du muet, dont le dynamisme et une expressivité parfois très moderne font des merveilles à chaque film. Ses meilleurs rôles: Carmen (1918), où elle crève l'écran; Madame du Barry (1919), où elle amuse constamment en courtisane; Die Bergkatze (1921), où elle est franchement hilarante en gitane agitée; Forbidden Paradise (1924), où elle éblouit en tsarine ingénieuse; A Woman of the World (1925), où il lui suffit de fumer une cigarette pour éclipser tout ce qui bouge dans un rayon de cent kilomètres; Hotel Imperial et Barbed Wire (1927), où elle éblouit en toute simplicité dans la peau de jeunes héroïnes touchées de plein fouet par la guerre; et Mazurka (1935), où elle chante avec une jolie voix grave. A mes yeux, elle reste en tout cas une icône hollywoodienne qui mérite amplement sa place ici, même si son plus beau rôle est allemand, à savoir l'indépassable Sappho (1921), où elle est prodigieuse en femme fatale repentie, en particulier dans une séquence finale florissante de bal masqué à l'opéra, dans laquelle on la voit passer par différentes émotions dans le même plan.

Eleanor Parker

Une actrice si flamboyante et charismatique qu'elle s'impose sans aucun doute comme ma star préférée des années 1950. Ses grandes œuvres: Pride of the Marines (1945), où elle est vivace et touchante en compagne de soldat; Caged (1950), où sa transformation de jeune femme candide en prisonnière endurcie est ahurissante de véracité; Detective Story (1951), avec une séquence finale très bien jouée; Scaramouche (1952), un sommet de charisme et d'humour transcendé par l'émotion d'une courtisane excitante à souhait; Escape from Fort Bravo (1953), où elle crève l'écran dans une histoire masculine, et a le bon goût de s'effacer pour mieux servir le propos dans les scènes les plus épiques; The Naked Jungle (1954) et The King and Four Queens (1956), où elle ne fait rien d'autre qu'être très charismatique, quoiqu'une Eleanor Parker exotique et en Technicolor reste un ravissement de tous les instants; The Man with a Golden Arm (1955), une performance très jouée dont je ne sais que penser, mais qui impressionne constamment par son énergie; Lizzie (1957), un triple-rôle très difficile où elle change continuellement de personnalité, et surpasse par la même occasion Joanne Woodward dans un rôle similaire; A Hole in the Head (1959), où sa complicité avec le petit garçon marque durablement les esprits; et The Sound of Music (1965), un sommet de niaiserie sauvé par son trio de stars, et principalement par Eleanor qui apporte la perversité qui manquait au film, tout en se payant le luxe d'émouvoir très joliment en tirant sa révérence. Malgré tout, rien ne bat Interrupted Melody (1955), l'un des rares exemples de biopics réussis où son humour avec Glenn Ford, sa force poignante dans les séquences tragiques, son degré de divertissement inouï dans le rôle des grandes héroïnes d'opéra, et sa perfection dans la synchronisation musicale, forment une performance exceptionnelle qui me fait constamment vibrer.

Rosalind Russell

Une dame très douée dans tous les registres, avec en point d'orgue Craig's Wife (1936), un rôle impressionnant de femme égocentrique et dominatrice qu'elle n'appuie à aucun moment; His Girl Friday (1940), une brillante satire des médias où sa technique dans la réplique-mitraillette atteint des sommets indépassables; Roughly Speaking (1945), un écrin mi-comique mi-tragique dont elle rehausse l'éclat à chaque seconde; et Auntie Mame (1958), un sommet de comédie inégalable, et un véritable orgasme visuel pour tout amateur de divas excentriques. Cependant, c'est bel et bien dans The Women (1939) que je la crois imbattable, puisqu'elle y éclipse les plus grands noms de la MGM dans une performance comique incendiaire extrêmement bien détaillée.

Norma Shearer

L'une des actrices les plus délicieuses de son temps, et l'une des reines incontestées de l'ère Pre-Code. Ses plus grandes réussites: Lucretia Lombard (1923), où elle pulvérise tous ses partenaires; The Student Prince in Old Heidelberg (1927), une performance aussi rafraîchissante que la choppe de bière qu'elle boit devant les étudiants; The Last of Mrs. Cheyney (1929), un très beau tandem d'une parfaite alchimie avec le divin Basil Rathbone; The Divorcee (1930), l'archétype du film Pre-Code où sa liberté de ton fait des merveilles; Private Lives (1931), un prodige comique débouchant sur l'une des batailles les plus énergiques du monde; Marie Antoinette (1938), sa plus grande performance parlante, où elle éblouit à chaque instant pendant près de trois heures; Idiot's Delight (1939), où elle est encore très drôle en diva russophone à perruque; et bien entendu The Women (1939), où dotée du rôle le moins croustillant, elle s'arrange pour livrer une grande prestation très mémorable, vernis "rouge jungle" à l'appui. Je maintiens néanmoins que son plus beau rôle reste Lady of the Night (1925), où elle ne manque pas de briser le cœur dans un double-rôle passionnant.

Barbara Stanwyck

L'actrice qui aura, plus qu'aucune autre, réussi à mettre sa versatilité inouïe au service de chefs-d'œuvre incomparables. Entre ses débuts fracassants dans Ladies of Leisure (1930) et The Miracle Woman (1931), ses femmes fatales impressionnantes dans Baby Face (1933) et Double Indemnity (1944), sa missionnaire aux sentiments contrariés dans The Bitter Tea of General Yen (1933), sa sublime mère sacrificielle dans Stella Dallas (1937), ses héroïnes comiques imbattables dans Ball of Fire et The Lady Eve (1941), son épouse névrosée dans Sorry, Wrong Number (1948) et son inoubliable mère de famille sur le retour dans All I Desire (1953), difficile de savoir lequel de ces rôles est sa plus grande réussite. S'il faut vraiment n'en retenir qu'un, disons The Lady Eve, où elle est à mourir de rire du début à la fin, avec en prime un excellent jeu sur les accents, et une classe folle qui lui va à ravir.

Les 15 Apôtres


Jean Arthur

Une dame toujours très drôle et souvent touchante, qui crève l'écran dans Easy Living (1937), Only Angels Have Wings (1939), Mr. Smith Goes to Washington (1939), The Devil and Miss Jones (1941), The Talk of the Town (1942) et The More the Merrier (1943). Malgré tout, sa meilleure performance comique reste à mes yeux sa superbe émissaire coincée transformée par l'amour dans A Foreign Affair (1948), et Mr. Deeds Goes to Town (1936) recèle à mon goût sa prestation la plus poignante, puisqu'il lui suffit de regarder Gary Cooper tendrement pour émouvoir.

Tallulah Bankhead

Evidemment, ce ne sera une surprise pour personne étant donné que la dame a donné son prénom au blog, mais même sans cet honneur, n'importe qui de censé l'ayant vue au cinéma, au théâtre ou en interview comprendra que Tallulah doit être de la partie, ne serait-ce que pour sa voix rauque et chaleureuse, sa formidable élocution et sa technique parfaitement rodée pour exprimer l'un des meilleurs rires de l'histoire du cinéma. Déjà très intéressante dans les médiocres The Cheat (1931) et Devil and the Deep (1932), Tallulah est surtout entrée dans la légende pour avoir incarné Catherine II en personne dans A Royal Scandal (1945), impératrice iconique enrichie par une approche humoristique et nymphomane, même si à mes yeux l'un de ses meilleurs rôles reste Faithless (1932), savant mélange d'humour, de drame et de dynamisme qui fait sortir cette histoire très 30's des sentiers battus. Néanmoins, son plus beau rôle reste incontestablement Lifeboat (1944), chef-d'œuvre hitchcockien où sa forte personnalité trouve un très bel écrin pour s'épanouir. A noter aussi ses apparitions télévisées hilarantes, notamment The Celebrity Next Door (1957), où elle vole allègrement la vedette à Lucille Ball, et Batman (1967), où elle ose boire un verre de lait! Son dernier rôle au cinéma, Fanatic (1965), est camp à souhait.

Ingrid Bergman

Assurément l'actrice avec qui je vis la relation la plus orageuse de cette liste, et qui met la même ardeur à me fasciner qu'à m'exaspérer d'un film à l'autre. Je l'aime, je la déteste, mais quand elle est déterminée à me plaire, elle est toujours plus que formidable, et j'aurais bien du mal à me passer de ses héroïnes de Casablanca (1943), The Bells of St. Mary's (1945), Spellbound (1945), The Visit (1964) et surtout Höstsonaten (1978), très vraisemblablement son plus beau rôle, où elle est effectivement sublime. En revanche, je n'ai jamais compris l'enthousiasme fulgurant dont elle jouit pour Notorious (1946), mais je respecte tout à fait une prestation à laquelle je n'ai rien à reprocher.

Olivia de Havilland

Une actrice qui ne m'a pas séduit immédiatement, mais que j'adore chaque jour un peu plus, à commencer par ses aventures excitantes avec Errol Flynn, où elle ne se laisse jamais démonter par son entourage masculin: Captain Blood (1935), The Adventures of Robin Hood (1938); et où elle peut être d'un tel niveau d'hilarité qu'elle prouve toute l'étendue de son talent: They Died with Their Boots On (1941). Déjà très drôle dans It's Love I'm After (1937), c'est néanmoins dans l'après-Flynn qu'elle s'épanouit le plus du côté dramatique, en particulier dans Gone with the Wind (1939), où elle détaille à merveille un personnage qui n'est jamais la cruche qu'on aurait pu attendre; The Dark Mirror (1946), un double-rôle passionnant; ou encore To Each His Own (1946), qui lui valut son premier Oscar. Son héritière de 1949 me laisse personnellement sur ma faim, et ses deux plus grands exploits restent à mon goût The Snake Pit (1948), où elle donne une vision révolutionnaire de la folie, et surtout Hold Back the Dawn (1941), une merveille de charisme et de douceur mâtinée de naïveté, où elle dépasse allègrement ce que le seul scénario lui demandait: génial.

Deanna Durbin

Un grand coup de cœur personnel dont on parle trop rarement, et une jeune chanteuse de talent doublée d'une comédienne très charismatique avec un véritable don pour la comédie. En effet, rien que son premier film, Three Smart Girls (1936), la vit voler la vedette à tout le monde sans formation préalable devant une caméra, tout en la propulsant instantanément au rang de superstar internationale, et sauvant par-là même les studios Universal de la faillite. Et même si sa carrière cinématographique reste relativement décevante à cause des projets médiocres qu'on lui imposa, Deanna peut se targuer d'avoir quelques films fort charmants à son actif, dans lesquels on ne s'étonnera pas de la voir briller par son espièglerie. A découvrir en priorité dans Three Smart Girls Grow Up (1939), une suite meilleure que le premier opus, où son charisme et sa vivacité font à nouveau merveilles; First Love (1939), un très beau rôle de Cendrillon moderne et dynamique devant lequel la planète entière s'est arrêtée de tourner en la voyant recevoir son premier baiser de cinéma; Christmas Holiday (1944), un contre-emploi intéressant à défaut d'être éblouissant; et Lady on a Train (1945), une performance aussi irrésistible qu'hilarante qui n'a rien à envier aux maîtresses de la screwball comedy de la décennie précédente. Lassée d'être considérée comme la bru idéale par le monde entier, Deanna mit volontairement fin à sa carrière assez tôt, mais je n'ose imaginer ce qu'elle aurait pu donner dans les grands rôles musicaux qu'on prévoyait pour elle, comme My Fair Lady.

Joan Fontaine

Peut-être la meilleure actrice lorsqu'on en vient au registre romantique, et qui après s'être montrée phénoménale en jeune épouse naïve et hilarante dans The Women (1939) est entrée de plain-pied dans la cour des grandes avec un série de grands rôles dont Rebecca (1940), le chef-d'œuvre gothique d'Alfred Hitchcock, dans lequel elle est fabuleuse de timidité avant de se révéler bien plus forte que prévu; Suspicion (1941), où elle surprend moins quoique étant impeccable en graine de vieille fille fraîchement mariée et soupçonneuse; Ivy (1947), où elle surprend dans un grand rôle de contre-emploi malgré ses airs de cygne blanc; et Letter from an Unknown Woman (1948), le chef-d'œuvre de Max Ophüls, que les cinéphiles considèrent à juste titre comme sa meilleure performance, et où elle est aussi éblouissante en jeune fille timide mais déterminée qu'en jeune femme toujours hantée par son premier amour. Personnellement, ma préférence va tout de même à 1943, une année qui la vit s'épanouir dans son rôle préféré, The Constant Nymph, où elle est étonnante en adolescente sincèrement amoureuse qui se brûle les ailes par passion, en voulant toucher de trop près au monde des adultes, et dans Jane Eyre, où elle crève une fois de plus l'écran par son charisme, sa retenue et sa grande sensibilité.

Greer Garson

Un parangon de charisme gracieux et courtois, dont l'aspect rassurant donne constamment envie de se réfugier dans sa filmographie en cas de déprime. Et même si elle fait, à d'infimes variations près, la même chose dans tous ses rôles, elle accomplit sa tâche avec tant de talent qu'elle ne lasse jamais, depuis Goodbye, Mr. Chips (1939), où l'on regrette qu'elle n'ait pas un vrai premier rôle, à Adventure et The Valley of Decision (1945), en passant par Blossoms in the Dust (1941), When Ladies Meet (1941), Mrs. Miniver (1942), Mrs. Parkington (1944), et sa délicieuse Elizabeth Bennet de Pride and Prejudice (1940), la meilleure version de la géniale héroïne au cinéma. Son plus beau rôle reste cependant Random Harvest (1942), un merveilleux film où elle touche droit au cœur en toute simplicité, après avoir ébloui dans un superbe numéro musical où elle se lâche entièrement. J'ai plus de réserves sur son Eleanor Roosevelt de Sunrise at Campobello (1960), mais c'est aussi que le film peine à intéresser.

Lillian Gish

A juste titre considérée comme l'une des plus grandes, voire la plus grande, actrices de l'époque du muet, une comédienne en effet presque toujours éblouissante, constamment mémorable chez Griffith dans Way Down East (1920) et Orphans of the Storm (1921); professionnelle à la limite du masochisme dans La Bohème de Vidor (1926), où elle ne s'est pas alimentée pendant deux jours pour être physiquement crédible dans la dernière séquence; et absolument indépassable dans l'extraordinaire The Wind (1928) de Sjöström, un chef-d'œuvre muet vraiment parfait, et de loin son plus beau rôle. Ceci dit, ses compositions parlantes atteignent souvent le même niveau de réussite, en particulier His Double Life (1933), où elle est étonnamment et discrètement drôle; Duel in the Sun (1946), où elle incarne le personnage le plus mémorable d'un casting de luxe; The Night of the Hunter (1955), où elle crève l'écran fusil en main; et The Whales of August (1987), un joli chant du cygne et un grand duo avec Bette Davis.

Katharine Hepburn

Comme d'autres déjà listées ici, je n'ai pas été séduit immédiatement par son talent et sa personnalité, avant de réaliser que sa dynamique Jo March de Little Women (1933), son éblouissante Alice Adams (1935), son énergique Sylvia Scarlett au cœur en émoi (1935), ses divines mondaines de comédie dans Bringing Up Baby et Holiday (1938), la grandiose variation de son propre rôle dans The Philadelphia Story (1940), sa brillante avocate féministe dans Adam's Rib (1949), ses vieilles filles très charismatiques dans The African Queen (1951), Summertime (1955) et The Rainmaker (1956), sa Violet perverse de Suddenly, Last Summer (1959), sa mère de famille droguée dans Long Day's Journey Into Night (1962), et son Aliénor d'Aquitaine en personne dans The Lion in Winter (1968), constituent un patrimoine que n'importe quelle actrice devrait lui envier. Son plus beau rôle: peut-être Holiday, où elle est drôle et touchante dans un beau film rafraîchissant, au faîte de la première partie de sa carrière.

Deborah Kerr

Une actrice extrêmement douée pour esquisser le désir ou la frustration sexuelle sous ses airs élégants de grande dame. Déjà mythique au début de sa carrière dans son triple-rôle de Life and Death of Colonel Blimp (1943), elle reste surtout l'une des grandes icônes des années 1950 avec, entre autres, From Here to Eternity (1953), où elle joue à contre-emploi une femme adultère immortalisée dans un baiser langoureux sur une plage hawaïenne; Young Bess (1953), un second rôle charismatique de belle-mère aimable mais ferme pour Jean Simmons; The King and I (1956), où elle reste suggestive et mémorable dans un grand duel avec une décoration déterminée à lui voler la vedette; Heaven Knows, Mr. Allison (1957), un superbe film épique et intimiste où elle est absolument merveilleuse; The Innocents (1961), son meilleur rôle de gouvernante, cette fois-ci avec un aspect pervers refoulé mais parfaitement détaillé; The Chalk Garden (1964), une autre variation de gouvernante; et The Night of the Iguana (1964), où je la trouve sincèrement éblouissante. Cependant, mon coup de cœur va au fabuleux Black Narcissus (1947), un chef-d'œuvre contenant son meilleur personnage de religieuse, une femme charismatique dépassée par un univers inconnu qui l'attire et l'effraie en même temps.

Jeanette MacDonald

Quoique pas la meilleure cantatrice dont on puisse rêver, une merveilleuse comédienne particulièrement à son aise dans le registre comique, et brillante dès qu'il s'agit de faire une grimace. Un pur délice à voir dans les Lubitsch musicaux, The Love Parade (1929), Monte Carlo (1930), One Hour with You (1932), The Merry Widow (1934), et Love Me Tonight (1932) de Mamoulian, autant de films absolument jouissifs où elle est à son meilleur; mais également dans ses œuvres de la période MGM, principalement dans Naughty Marietta (1935), Rose-Marie (1936), San Francisco (1936), Maytime (1937), The Firefly (1937) et New Moon (1940). Son plus beau rôle: j'ai longtemps pensé à La Veuve joyeuse, mais j'aime tellement sa princesse évaporée dans Love Me Tonight et son épouse romantique aux travers si bien épinglés dans One Hour with You que j'hésite grandement.

Mary Pickford

Une pionnière du cinéma, ayant toujours su enchanter par son dynamisme et sa capacité à jouer les petites filles même à trente ans passés. A voir en priorité dans Amarilly of Clothes-Line Alley (1918), où elle est très drôle en ouvrière séduite par la haute société; Little Lord Fauntleroy (1921), où elle impressionne grandement en jouant à la fois un petit garçon intrépide et sa mère calme et réservée; My Best Girl (1927), son plus beau rôle, avec tout ce qu'il faut d'humour et d'émotion pour éblouir; et Secrets (1933), où elle joue un même personnage à trois moments de sa vie, tout en signant une scène dévastatrice dans la seconde partie.

Ginger Rogers

Non seulement une danseuse d'exception, dont l'exploit le plus époustouflant reste probablement Swing Time (1936) avec Fred Astaire, mais surtout une excellente actrice, aussi à l'aise dans les drames que dans les comédies. Ses meilleurs rôles: The Gay Divorcee (1934), une irrésistible comédie musicale où elle est souvent très drôle; Top Hat (1935), le sommet décoratif de son tandem avec Astaire; Stage Door (1937), un film choral sur les actrices en devenir où elle apporte beaucoup de crédibilité; Vivacious Lady (1938), une charmante performance comique; Kitty Foyle (1940), un rôle à Oscar qu'elle est loin d'avoir volé; et Monkey Business (1952), où elle retombe en enfance pour notre plus grand plaisir, et vole la vedette à ses prestigieux partenaires. Cependant, 1942 reste sa grande année hollywoodienne, avec l'étrange Once Upon a Honeymoon où elle est toutefois très charismatique, l'exubérant Roxie Hart où elle brille par son énergie, Tales of Manhattan, où elle bénéficie de la séquence la plus mémorable et en rugit de contentement, et surtout The Major and the Minor, sans doute son plus beau rôle, dont l'hilarité n'empêche nullement l'émotion de poindre au milieu des déguisements successifs.

Gloria Swanson

Une grande diva du muet et du parlant, hilarante dans Why Change Your Wife? (1920), un épanouissement magnifique d'épouse sérieuse en femme fatale; très mémorable dans l'hallucinant Beyond the Rocks (1922) qui la fait voyager de la mer au désert, en passant par Versailles et les Alpes enneigées; drôle dans le sulfureux Queen Kelly (1929), sans y composer néanmoins le personnage le plus fascinant; touchante dans The Trespasser (1929), son premier parlant; exquise dans Indiscreet et Tonight or Never (1931), deux comédies vraiment charmantes; et bien entendu mythique et captivante dans Sunset Boulevard (1950), où elle se parodie avec beaucoup de courage dans une performance ahurissante. Malgré tout, c'est dans Sadie Thompson (1928) que je la préfère, tant l'héroïne est drôle et touchante dans ce très bon film muet. Le bonus: avoir lutté toute sa vie contre le sucre et avoir par conséquent très bien vieilli!

Elizabeth Taylor

Assurément la star la plus iconique de la fin de l'Âge d'or d'Hollywood, une actrice déjà très charismatique enfant dans Jane Eyre (1943) et National Velvet (1944), déjà absolument passionnante en très jeune adulte dans A Place in the Sun (1951), mythique dans Giant (1956), mémorable dans Raintree County (1957) et fascinante dans Cleopatra (1963), et surtout éblouissante pour les trois morceaux de bravoure que restent Cat on a Hot Tin Roof (1958), Suddenly, Last Summer (1959) et Who's Afraid of Virginia Woolf? (1966). Techniquement, les deux derniers sont peut-être ses meilleurs rôles, mais Cat a ma préférence personnelle.

Pour y voir plus clair, sachez que Tallulah, les sœurs de Havilland, Lillian Gish, Kate Hepburn, Jeanette MacDonald, Mary Pickford, Ginger Rogers et Gloria Swanson figurent dans le Top 25, si l'on se restreint aux règles de l'AFI. La vingt-cinquième place se joue en fait entre Liz Taylor et Deborah Kerr, et c'est principalement l'impossibilité de trancher entre elles qui m'a conduit à ce long article organisé.

Assurément dans le Top 40

Carroll Baker, une véritable révélation éminemment charismatique et moderne dans Giant (1956), très mémorable dans Baby Doll (1956) et The Big Country (1958), et qui plus est n'ayant pas eu peur de se donner à fond dans un projet risqué tel Something Wild (1961). Betty Compson, capable d'éclipser tous ses partenaires dans The Great Gabbo (1929) et Notorious But Nice (1933), captivante dans un double-rôle réussi dans The White Shadow (1923) et absolument mythique dans The Docks of New York (1928). Marion Davies, que je connais encore trop peu, mais déjà merveilleusement drôle dans The Patsy (1928) et Blondie of the Follies (1932), et dont j'ai hâte d'explorer la filmographie des années 1920. Susan Hayward, divine alcoolique de cinéma dans Smash-Up (1947), superbe bête de scène dans With a Song in My Heart (1952), parfaite d'acharnement et de jeu très marqué dans I Want to Live! (1958), étonnante de sobriété dans House of Strangers et My Foolish Heart (1949), et tout à la fois dans l'énorme morceau de bravoure que reste I'll Cry Tomorrow (1955), indéniablement son plus grand rôle. Ida Lupino, qui dévore Olivia de Havilland dans Devotion (1946) et Eleanor Parker dans Escape Me Never (1947), et encore plus prodigieuse dans The Hard Way (1943) et Road House (1948), en plus d'un réel talent de réalisatrice, que je connais principalement par The Bigamist (1953).

Patricia Neal, une explosion de charisme capable de voler la vedette à tout le monde dans The Fountainhead (1949), malgré une performance très appuyée, Three Secrets (1950), A Face in the Crowd (1957), et The Subject Was Roses (1968), où elle est parfaite, surtout quand elle fait bien ressentir l'émotion sous une façade forte. Jean Simmons, qui après des débuts théâtraux dans Hamlet (1948) s'est surtout révélée au cours des années 1950, étant capable d'incarner une même année une jeune souveraine très inventive dans Young Bess (1953) et un ange pervers sous un masque gracieux dans Angel Face (1953), et de réitérer l'exploit en passant d'une missionnaire angélique et musicale dans Guys and Dolls (1955) à une religieuse toxique dans Elmer Gantry (1960). Plus j'avance dans sa filmographie, et plus j'ai envie de la classer plus haut! Margaret Sullavan, qui a trop peu tourné alors qu'elle marque les esprits à chaque performance, en particulier dans Little Man, What Now? (1934), The Mortal Storm et The Shop Around the Corner (1940), sachant que je l'apprécie également très fort dans The Good Fairy (1935), Three Comrades et The Shining Hour (1938). Lana Turner, éblouissante en jeune étoile grisée par le succès dans Ziegfeld Girl (1941), flamboyante dans The Three Musketeers (1948), et vraiment touchante dans The Bad and the Beautiful (1952), Peyton Place (1957) et Madame X (1966). Jane Wyman, passionnante dans The Lost Weekend (1945) et Johnny Belinda (1948), et divine en toute simplicité chez Sirk, avec le très bon Magnificent Obsession (1954) et l'extraordinaire All That Heaven Allows (1955).

Suite et fin du Top 50

Eleanor Boardman
, superbe de modernité dans Wine of Youth (1924), où elle fait vraiment penser à une jeune femme de notre époque, et The Crowd (1928), le sommet de sa carrière; drôlement marquante dans Proud Flesh (1925) et d'une présence incontestable dans Souls for Sale (1923). Quoique un peu trop sérieuse par moments ou mal distribuée dans des rôles de "goody-goody girls", certains de ses rôles restent captivants, tels She Goes to War (1929), et elle me donne toujours envie d'explorer sa filmographie. Nancy Carroll, phénoménale boule de charisme capable de tout manger sur son passage, et tombant constamment juste dans ses émotions malgré un jeu très démonstratif, à ne manquer sous aucun prétexte dans Laughter, The Devil's Holiday (1930), Broken Lullaby et Hot Saturday (1932). Ava Gardner, qui après s'être contentée de jouer à la plante verte a montré qu'elle pouvait être éblouissante en s'en donnant la peine, comme dans The Snows of Kilimanjaro (1952), Mogambo (1953) et The Night of the Iguana (1964). Judy Garland, une chanteuse de talent sans que j'aime particulièrement son timbre, et une actrice capable de se défendre dans The Wizard of Oz (1939), Ziegfeld Girl (1941), Meet Me in St. Louis (1944) et A Star Is Born (1954). Ann Harding, souvent très théâtrale mais irrésistible dans Holiday (1930), Double Harness (1933) et Peter Ibbetson (1935).

Jean Harlow, sincèrement drôle et toujours très énergique dans Red-Headed Woman (1932) et Dinner at Eight (1933). Rita Hayworth, volcanique dans Gilda (1946) et The Lady from Shanghai (1947), et absolument fabuleuse dans Separate Tables (1958). Marilyn Monroe, sincèrement touchante dans Bus Stop (1956) et The Misfits (1961), et divinement drôle dans Some Like It Hot (1959). Merle Oberon, un peu décevante mais qui parvient toujours à me passionner, en particulier dans The Scarlet Pimpernel (1934), The Dark Angel (1935), These Three (1936), The Lodger (1944) et Désirée (1954). Son rôle le plus célèbre reste néanmoins, et à juste titre, Wuthering Heights (1939), où je l'aime dans une certaine mesure. Gene Tierney, excellente dans la deuxième partie de Heaven Can Wait (1943), captivante dans Leave Her to Heaven (1945), The Razor's Edge et Dragonwyck (1946), et assez magnifique, malgré toujours quelques réserves, dans The Ghost and Mrs. Muir (1947).

Certainement pas leur plus grand fan, mais j'ai adoré au moins une performance:

Evelyn Brent (Underworld, The Last Command), Louise Brooks (Die Büchse der Pandora, Tagebuch einer Verlorenen), Leslie Caron (The L-Shaped Room), Ruth Chatterton (Dodsworth), Mae Clarke (Waterloo Bridge), Jeanne Crain (People Will Talk), Bebe Daniels (Why Change Your Wife?), Priscilla Dean (Outside the Law), Mary Duncan (City Girl), Jeanne Eagels (The Letter), Lynn Fontanne (The Guardsman), Jennifer Jones (Beat the Devil), Kay Kendall (Les Girls), Hedy Lamarr (The Strange Woman), Dorothy McGuire (Friendly Persuasion), Helen Morgan (Applause, Show Boat), Maureen O'Hara (The Quiet Man), Kim Novak (Vertigo), Irene Rich (Lady Windermere's Fan), Sylvia Sidney (City Streets, Summer Wishes, Winter Dreams), Natalie Wood (Splendor in the Grass), Loretta Young (pas sûr d'avoir vraiment adoré une performance, mais quel sourire! Et quelle ténacité!)

N'ont aucune chance de prétendre au top, mais j'ai pu aimer au moins une performance:

Lauren Bacall (To Have and Have Not), Vilma Bánky (The Eagle), Lina Basquette (The Godless Girl), Constance Bennett (What Price Hollywood?), Joan Bennett (The Woman in the Window, Scarlet Street), Shirley Booth (Come Back, Little Sheba), Madeleine Carroll (The 39 Steps, The Fan), Linda Darnell (A Letter to Three Wives), Doris Day (Calamity Jane, Pillow Talk), Marie Dressler (The Patsy, Anna Christie, Dinner at Eight), Alice Faye (Fallen Angel), Kay Francis (One Way Passage, Trouble in Paradise, In Name Only), Janet Gaynor (A Star Is Born), Dorothy Gish (Orphans of the Storm), Louise Glaum (Sex), Jane Greer (Out of the Past), Helen Hayes (A Farewell to Arms, Anastasia), Audrey Hepburn (The Nun's Story, The Children's Hour, Two for the Road), Judy Holliday (The Marrying Kind), Grace Kelly (Rear Window), Alla Nazimova (surjouant beaucoup dans Camille et Salomé bien qu'ayant par moments de fabuleuses scènes intériorisées), Mary Nolan (Outside the Law), Mabel Normand (What Happened to Rosa?), Marie Prevost (The Marriage Circle), Edna Purviance (A Woman of Paris), Luise Rainer (un style et une personnalité fort sympathiques à défaut de m'éblouir en tant qu'actrice), Debbie Reynolds (Singin' in the Rain), Barbara Rush (Bigger Than Life), Eva Marie Saint (North by Northwest), Ann Sothern (A Letter to Three Wives), Olive Thomas (The Flapper), Florence Vidor (The Marriage Circle), Mae West (She Done Him Wrong), Lois Wilson (Miss Lulu Bett), Anna May Wong (The Toll of the Sea), Fay Wray (The Wedding March, King Kong)

Sympathiques mais ne m'intéressent pas plus que ça:

June Allyson (Little Women), Lucille Ball (The Big Street), Clara Bow (Down to the Sea in Ships, It), Dorothy Dandridge (Carmen Jones), Sally Eilers (Bad Girl), Peggy Ann Garner (Jane Eyre, pas encore vu A Tree Grows in Brooklyn), Mitzi Gaynor (Les Girls), Corinne Griffith (The Divine Lady), Nancy Kelly (The Bad Seed), Grace Moore (One Night of Love), Jayne Mansfield (The Girl Can't Help It), Marian Marsh (Notorious But Nice), Esther Ralston (To the Last Man), Jane Russell (Gentlemen Prefer Blondes), Gloria Stuart (Titanic, mais si l'on s'en tient uniquement au Golden Age, je ne sais pas quoi dire), Sheila Terry (The Sphinx)

M'indiffèrent totalement:

Theda Bara, Lora Baxter, Barbara Bedford, Madge Bellamy, Betty Blythe, Cyd Charisse, Alice Day, Marceline Day, Frances Dee, Carol Dempster, Betty Grable, Bonita Granville, Lena Horne, Betty Hutton, Zita Johann, Evalyn Knapp, Veronica Lake, Dorothy Lamour, Priscilla Lane, Mary Lawlor, Bessie Love, Mae McAvoy, Nina Mae McKinney, Maggie McNamara, Carmen Miranda, Colleen Moore, Mae Murray, Marguerite Namara, Marian Nixon, Anita Page, Mary Philbin, Evelyn Preer, Martha Scott, Shirley Temple, Helen Twelvetrees, Lupe Vélez, Diana Wynyard

Davantage envisagées comme des actrices de genre, mais ne sont-elles pas des stars avant tout?

Mary Astor, qui a volontairement choisi d'occuper le créneau des seconds rôles pour ne pas avoir à porter un film entier sur ses épaules, bien qu'elle soit légitimement leading dans The Maltese Falcon (1941) et que son aura de star la fasse briller avec autant d'éclat qu'une Claudette Colbert ou qu'une Bette Davis. Ceci dit, elle est tout de même légitimement supporting, et constamment excellente, dans Holiday (1930), Dodsworth (1936), The Hurricane (1937), Midnight (1939), The Great Lie (1941), The Palm Beach Story (1942) ou encore Meet Me in St. Louis (1944), si bien que je n'ai aucun scrupules à l'inscrire dans mon panthéon des seconds rôles. Elle gagnera au change de toute façon, puisqu'elle y trônera à la toute première place. Anne Baxter, dont la carrière est composée d'autant de premiers que de seconds rôles, quand la limite n'est pas floue (The Pied Piper, Five Graves to Cairo). Quoi qu'il en soit, elle brille comme co-lead dans All About Eve (1950) et reste la véritable star de Blue Gardenia (1953), mais j'ai finalement tendance à ne la nommer que pour des seconds rôles (The Magnificent Ambersons, A Royal Scandal, The Ten Commandments), si bien qu'elle fait davantage figure d'actrice de genre dans mon esprit. Mais la frontière est ténue, nous sommes bien d'accord. Joan Blondell, la star des Gold Diggers of 1933, mais que je connais mieux pour ses seconds rôles dans Adventure (1945), Nightmare Alley (1947), The Blue Veil (1951), Lizzie (1957) et Opening Night (1977), de telle sorte qu'elle est actuellement considérée comme supporting dans ma liste.

Citons encore Gladys George, reconnue pour ses premiers rôles dans Valiant Is the Word for Carrie (1936) et Madame X (1937), que je n'ai pas vus, et que je ne connais par conséquent que pour ses seconds rôles, souvent fabuleux, dans The Roaring Twenties (1939), The Maltese Falcon (1941), The Hard Way (1943), Christmas Holiday (1944) et Flamingo Road (1949). Paulette Goddard, à mon avis légitimement supporting dans Modern Times (1936), The Women (1939), The Great Dictator (1940), Hold Back the Dawn (1941) ou encore So Proudly We Hail! (1943), malgré son physique de star et ses premiers rôles dans la seconde moitié des années 1940. Gloria Grahame, certainement supporting dans It's a Wonderful Life (1946), Sudden Fear et The Bad and the Beautiful (1952), assurément leading dans In a Lonely Place (1950), et dans un entre-deux flou dans The Big Heat (1953) et The Cobweb (1955). Aux dernières nouvelles, elle m'avait semblé secondaire dans The Big Heat, et The Cobweb reste un film choral, on part donc sur l'idée qu'elle sera plus à sa place dans mon panthéon des seconds rôles. Teresa Wright, indéniablement un premier rôle dans deux films majeurs, The Pride of the Yankees (1942) et surtout Shadow of a Doubt (1943), mais sincèrement secondaire dans The Little Foxes (1941), Mrs. Miniver (1942) et The Best Years of Our Lives (1946). Je la compte comme actrice de genre, et je ne suis plus aussi fan que par le passé, de toute façon.

Une étude de cas pourrait également être faite pour les starlettes Warner telles Ann Sheridan et Alexis Smith, dont j'ai principalement vu les seconds rôles, bien qu'elles-mêmes se définissent comme leading ladies. J'attends d'en voir plus pour en reparler correctement. Mais cette notion de frontière entre premier et second rôle est de toute façon à prendre avec des pincettes: je viens de lister Mae Clarke, Anna May Wong et Fay Wray plus haut alors qu'elle n'ont véritablement tenu la vedette que dans un ou deux films, et si Marie Dressler a bien été distinguée par les Oscar pour des premiers rôles, je me retrouve finalement à ne la nommer, elle aussi, que pour des seconds rôles... Ce classement a-t-il un sens?

Actrices parfois intégrées au système hollywoodien mais que je considère comme avant tout européennes

Elisabeth Bergner (nommée aux Oscar pour Escape Me Never, un film britannique), Danielle Darrieux (mémorable dans 5 Fingers, mais nettement plus en forme dans Le Plaisir et Madame de...), Wendy Hiller (justement oscarisée pour Separate Tables, mais encore plus prodigieuse dans son pays d'origine avec Pygmalion et I Know Where I'm Going!), Sophia Loren (citée par l'AFI, mais davantage perçue comme une actrice italienne des 1960's dans mon esprit), Anna Magnani (Wild Is the Wind & The Rose Tattoo, mais que je préfère dans ses grands rôles italiens), Simone Signoret (passionnante dans Room at the Top, mais plus encore dans Les Sorcières de Salem, et surtout mythique avec son Casque d'Or sur la tête).

Actrices en partie classiques mais surtout modernes à mes yeux, en particulier parce qu'elles ont donné leurs meilleures performances à partir des années 1960: 

Anne Bancroft (The Miracle Worker, The Pumpkin Eater, The Graduate), Ruth Gordon (bons scenarii pour A Double Life et Adam's Rib, mais qui en tant qu'actrice m'évoque surtout Harold & Maude et Rosemary's Baby), Julie Harris (qui a bien East of Eden à son actif, quoique je la préfère dans The Haunting et Reflections in a Golden Eye), Piper Laurie (vue dans Has Anybody Seen My Gal? mais bien meilleure dans The Hustler), Shirley MacLaine (The Trouble with Harry et Some Came Running n'égalent en rien The Apartment et The Children's Hour), Geraldine Page (Hondo, mais rien qui soit comparable à Sweet Bird of Youth et Interiors), Lee Remick (Anatomy of a Murder, mais on est à l'extrême limite des 1960's, période où elle brille dans Days of Wine and Roses), Jean Seberg (Lilith), Joanne Woodward (Rachel, Rachel est très supérieur à Three Faces of Eve).

Remarques complémentaires

Je n'ai encore rien vu de Norma Talmadge, Dolores del Río ou Ethel Merman. S'il manque d'autres noms attendus, c'est que je n'ai pas encore posé les yeux sur leur filmographie. Par ailleurs, soyez indulgents pour la forme de l'article: j'avais commencé par des notices biographiques pour les premières actrices, puis devant l'ampleur de la tâche, j'ai décidé de réduire les autres paragraphes pour plus de clarté, quoique ayant la flemme de synthétiser les premières notices. Ça ne veut pas dire que je préfère Marlene Dietrich à Greta Garbo, et même dans les cas de notices amplement détaillées, ça n'indique pas une préférence particulière, mais plutôt un regain d'inspiration pour une actrice en particulier. Je me suis également lâché sur les superlatifs, alors évitez de compter le nombre d'occurrences des mots "éblouir", "fabuleux" et consorts... Mais les synonymes se font rares quand on doit parler d'une cinquantaine de personnes.

Ironiquement, la première place se joue entre Bette Davis et Miriam Hopkins, que je n'arrive vraiment pas à départager. Techniquement, Bette a duré beaucoup plus longtemps dans des premiers rôles au sein de films prestigieux, mais Miriam a touché à plus de genres différents et surpasse largement sa rivale dans le registre comique, ce qui me fait grandement hésiter. Quoi qu'il en soit, si mes préférences ultimes vont aux deux drama queens les plus géniales de leur époque, je ne suis pas loin de penser que Barbara Stanwyck mérite le titre de plus grande actrice de tous les temps, car il faut bien l'avouer, elle est la seule à avoir touché à tous les registres possibles avec un brio éblouissant, tout en se maintenant comme actrice de premiers rôles pendant trente ans, qui plus est dans des chefs-d'œuvre. Malgré tout, c'est surtout Joan Crawford qui complète la Sainte Trinité, et Greta Garbo, Marlene Dietrich et Pola Negri sont obligatoirement dans le top 10.

Les stars auxquelles je m'identifie le plus sont: Bette Davis, parce que je suis un garçon intérieurement très mélodramatique, Miriam Hopkins, parce que j'aurais adoré tenir salon à ses côtés, Joan Crawford. parce que je suis totalement maniaque et que je ne supporte pas de voir le moindre objet mal rangé, et Deanna Durbin, parce que je rêve de faire un récital spécial Deanna Durbin: relis cette phrase deux fois si tu es pianiste, trois fois si tu es un riche mécène en manque de musique.

En attendant, j'y vois enfin plus clair dans mon classement, sachant que certaines places sont encore susceptibles de mouvoir. J'attends en retour vos propres stars préférées!

mercredi 8 avril 2015

Divas du Nil


Puisque Mort sur le Nil, ce sommet de camp indispensable pour qui aime les garces flamboyantes, les vieilles biques peinturlurées et autres nymphomanes en turbans, a été évoqué dans un récent commentaire, amusons-nous à classer les personnages du pire au plus cool, histoire de voir qui, parmi les noms légendaires du casting, mériterait une nomination aux Orfeoscar.

Néanmoins, je ne reviens pas sur le film en lui-même, à propos de quoi tout a déjà été dit: oui, à l'image de la Tour infernale du même réalisateur, c'est une oeuvre divertissante le temps qu'il faut sans être un grand film pour autant, et oui, c'est surtout l'exotisme, les costumes orgasmiques d'Anthony Powell et plus encore le casting de luxe, qui font le film. Il faut dire que l'intrigue en tant que telle est indigeste, Agatha Christie étant elle-même l'auteur anglophone le plus lourd qui soit (oui, même dans ses romans sérieux sous un pseudonyme, le style est pesant comme tout, malgré un petit talent à poser des atmosphères conflictuelles assez excitantes, avant d'en massacrer aussitôt l'effet pour se réorienter vers des meurtres et des énigmes dont on se contrefiche), et c'est bel et bien de voir les interprètes donner de la couleur à leurs personnages, quoiqu'une performance sur deux soit atroce, qui rend le film appréciable.

Qui s'en sort le mieux, alors?

Les pires

Linnet Ridgeway (Lois Chiles)

En toute honnêteté, la riche héritière se prenant pour le centre du monde est un personnage excitant à souhait qui mériterait d'être classé bien plus haut... n'était-il esquissé par une actrice réussissant l'exploit d'être encore plus mauvaise ici que dans Moonraker, et encore plus oubliable que dans ses caméos dans des films bien plus prestigieux (The Way We Were et Broadcast News). Mais vraiment, ses grimaces et sa tignasse ébouriffée au sommet de la pyramide, lorsqu'elle réalise que sa rivale la suit partout, la font davantage passer pour l'enfant incestueux du Sphinx et d'une vendeuse idiote de gaines en dentelle; tandis que ses fabuleuses remontrances au médecin allemand soulignent son talent à passer, avec une précision inouïe, par pas moins de huit grimaces stupides en seulement trois secondes. Je retire ce que j'ai dit: c'est une performance de génie.

Une bonne alternative? Emily Blunt dans la version télévisée de 2004, où elle épingle à merveille le côté prétentieux de la peste, en particulier lors d'un superbe dialogue de pétasses avec sa fausse meilleure amie, un moment plus que jouissif où l'on entend, entre autres: "Mais pourquoi n'épouses-tu pas ce lord? Il est tellement riche." "Et moi donc. Héhéhé." "Oh, comme tu es méchante avec ta bonne." "Elle s'en remettra. Hahaha." "Belle et riche, je devrais te haïr." "Allons donc, tu détestes déjà tout le monde." "Moi? Ah oui."

Jim Ferguson (Jon Finch)

Salut, je sers à rien, si ce n'est qu'on avait besoin d'un témoin pour raccompagner la folle furieuse agitée de la gâchette à sa cabine, afin de faire avancer l'histoire.

Une alternative? Alastair Mackenzie dans la version télé, bien plus intéressant en aristo communiste sûr de lui, bien décidé à voler dans les plumes d'une vieille rombière conservatrice pour demander la main de sa nièce empotée. 

Louise Bourget (Jane Birkin)

Gnagnagna, et ça pleurniche pour servir le thé, et ça pleurniche en croisière, et gnagnagna, et ça minaude pour faire plier une garce qui ne lui versera jamais le moindre centime de plus. Heureusement que le personnage sait quand même saisir les opportunités quand celles-ci se présentent, sans gagner en charisme pour autant. A noter aussi que Jane Birkin se double elle-même dans la version française... de telle sorte que le seul personnage supposément français devient aussi le seul à parler avec un accent anglais. Bien joué.

Rosalie Otterbourne (Olivia Hussey)

Si la Juliette de Zeffirelli ne s'était pas suicidée dix ans plus tôt, serait-elle devenue cette jeune femme insignifiante au possible, qui a quand même le mérite de dire les choses en face à ceux qui la mettent dans l'embarras? Quoi qu'il en soit, l'actrice n'est pas mauvaise dans sa minuscule scène de larmes, mais comme celle-ci ne dure que dix secondes, elle peine évidemment à marquer les esprits, en n'ayant rien d'autre à se mettre sous la dent.

Une alternative? Zoe Telford dans la version télé, où elle transforme le personnage en une flapper jalouse bien plus flamboyante, avec tout ce qu'il faut d'émotion pour briller dans plusieurs registres, tout en piochant allègrement dans la garde-robe de Maggie Smith dans la version qui nous occupe.

Andrew Pennington (George Kennedy)

Un homme d'affaires véreux parfaitement standard qui a au moins le mérite d'avoir une bonne bouille d'enfant de chœur pervers lorsqu'il projette d'aller escroquer sa pupille depuis son bureau new-yorkais.

Colonel Race (David Niven)

Un personnage sympa cinq minutes qui conserve un certain panache grâce à son épée déguisée en canne, même si son humour tout britannique tombe constamment à plat.

Simon Doyle (Simon MacCorkindale)

En soi, le personnage est une tête-à-claques à qui l'on doit toujours parler comme à un gentil petit chien de compagnie, mais il sait tout de même réagir en certaines occasions, et sa place centrale dans l'histoire le rend plus consistant que les caricatures précédentes. Un bonus: son petit polo entrouvert dans la chaleur de Gizeh, qui le rend bien plus sexy que ses collègues (mais vu la concurrence en face, ce n'est pas très difficile).

Les plus fun

Hercule Poirot (Peter Ustinov)

En théorie, le héros est absolument imbuvable, tout du moins sur le papier, mais Peter Ustinov réussit l'exploit d'en faire un personnage sympathique, certes imbu de lui-même et souvent moralisateur, mais aussi assez compatissant et toujours prompt à user d'humour noir, même devant un cadavre. Ça lui fait gagner des points, et sa composition reste nettement plus légère, même dans ses gestes les plus maniérés, tel le doigt agité sous le nez de David Niven, que l'atroce caricature d'Albert Finney dans l'Orient-Express (nommé pour un Oscar pour ça???). 

Herr Dr. Bessner (Jack Warden)

Un autre personnage bouffi d'importance qui n'a pas, pour sa part, le besoin de faire la morale à tout le monde, morale qu'il transgresse allègrement avec sa clinique aux soins douteux à base d'urine de mule. Quoi qu'il en soit, avec son accent germanique réussi et le mépris universitaire dont il se drape pour jouer à la diva offusquée, l'acteur prête constamment à sourire malgré son air peu avenant.

Jacqueline de Bellefort (Mia Farrow)

Comme la plupart de ses collègues, Mia Farrow a déjà été bien plus mémorable ailleurs, et sa performance dérive parfois vers quelque chose d'assez lourd dans ses expressions interloquées. Peu importe, le personnage est jubilatoire et attire constamment la sympathie sans trop la chercher, sans compter que toutes ses apparitions rocambolesques en plein désert, pour y aller de son petit commentaire sur l'architecture antique, sont à mourir de rire dans leur outrance, surtout quand l'actrice, foulard au vent, arbore un sourire de satisfaction tellement exagéré qu'on se demande si elle n'a pas sniffé de la poudre de pharaon en plein orgasme pour en arriver à un tel point d'extase.

Miss Bowers (Maggie Smith)

Là, nous entrons dans le trio de tête, une triade de choc tellement au-dessus du lot que c'est bel et bien parmi ces dames qu'il faut chercher la plus méritante pour une nomination. Sans avoir ma préférence, Maggie Smith reste une concurrente de choix pour son portrait camp à souhait de crypto-lesbienne ultra-virilisée, veston-cravate et cigare à l'appui, qui fait toujours preuve de sarcasme envers sa patronne diabolique en lui envoyant plein de répliques assassines à la figure. En fait, chacun de leurs dialogues est un grand moment en soi, en particulier le savoureux "You bloody old fossil!" qu'elle jette à Bette Davis, preuve que leur alchimie fait des merveilles.

Salome Otterbourne (Angela Lansbury)

Mais plus camp encore que Maggie Smith, c'est bien Angela Lansbury qui est en passe de s'imposer comme le véritable moteur du film, avec son personnage chargé d'alcoolique nymphomane se promenant toutes voiles dehors, et dont chaque froufrou et chaque turban ferait pâlir de jalousie les drag queens les plus exigeantes. Portée par sa voix chaleureuse et sa capacité à se vautrer avec allégresse dans les abysses de ridicule d'une Barbara Cartland sous acide, Lansbury livre ainsi une composition détonante constamment drôle, en particulier lors d'un superbe tango érotique (quand elle se courbe, le bras sur le visage: mythique!), et lorsqu'elle chancelle sur le pont pour retourner à sa cabine, après avoir énoncé sa thèse sur le désir sexuel devant tous les passagers, histoire de bien enfoncer le clou. La séquence où le personnage se glorifie de pouvoir faire une révélation capitale est elle aussi à mourir de rire, avec tous ces gestes ampoulés de la main qu'a parfaitement su capter l'actrice.

Mrs. Van Schuyler (Bette Davis)

Cependant, malgré tout mon amour pour Maggie Smith et Angela Lansbury, c'est quand même Bette Davis qui s'impose comme mon grand coup de cœur nilotique, notamment pour sa capacité à sortir des sentiers battus et s'amuser avec le scénario, au lieu de jouer à la vieille bique rigide du roman. Ainsi, on adore la voir titiller Maggie Smith au fil des séquences, on adore l'entendre dire des répliques telles "Temper, temper, Bowers!", "Well, you should be grateful. If he hadn't, you would have missed out on the pleasure of working for me." ou "You need a nice cool holiday. I was thinking of a trip along the Gobi Desert!"; on adore la voir rire aux phrases désobligeantes que lui lance son infirmière pour rendre les coups, on adore la voir tout observer derrière sa grosse loupe, on adore la voir se cacher dans un placard avec un visage maquillé comme pour un spectacle de kabuki, et l'on adore sa collection de chapeaux! On dirait vraiment mon pendant féminin dans quarante ans, et rien que sa façon de dire "Wrongy!" ou de rire, très fière d'elle, après avoir fait chanceler Maggie Smith me la rend extrêmement sympathique. Angela Lansbury a sans doute un plus gros effort de composition à faire, mais Bette Davis est merveilleuse même en ne faisant rien, et l'exploit est à saluer mille fois.

Nominations possibles: Meilleurs costumes pour Anthony Powell, avec victoire plus que probable, et meilleur second rôle féminin pour une ou plusieurs actrices, à choisir entre Bette Davis, Maggie Smith et Angela Lansbury. Éventuellement meilleure musique originale pour Nino Rota, mais c'est moins prioritaire.

Prochain casting camp à classer: Murder on the Orient-Express (1974). Entre les princesses russes, les divas américaines, les secrétaires flamboyantes et les peignoirs chinois, on sait d'ores et déjà qu'on ne sera pas déçu du voyage.