samedi 28 novembre 2015

Inventaire 2014


Le mois dernier, je me suis enfin décidé à compléter mes lacunes les plus récentes parmi les films de 2014 manqués au cinéma. L'occasion pour moi d'établir un début d'inventaire avant d'oublier la moitié des titres lorsque viendra le temps de me pencher sur les remises de prix de l'année... dans dix ans! Pour info, je listerai les films selon leur date de sortie originelle, même si j'en compterai certains pour les remises de prix de 2015, à l'image de Little Chaos, sorti hors festivals un an après. Par contre, je m'excuse d'avance, mais j'ai vu énormément de navets pour cette année, mea culpa. Enfin, les paragraphes ornés d'une photo désignent les films qui constituent mon top 10.
[Mise à jour: 33 films vus en septembre 2017.]


Allemagne

Phoenix: écrit et réalisé par Christian Petzold, produit par Florian Koerner von Gustorf et Michael Weber, avec Nina Hoss, Nina Kuzendorf et Ronald Zehrfeld. Coécrit par Harun Farocki, d'après Le Retour des cendres d'Hubert Monteilhet.
Remarques: Je suis légèrement mitigé sur celui-là. J'ai indéniablement suivi l'histoire avec intérêt, mais je ne suis pas sûr d'avoir vu un grand film à la fin, malgré une conclusion en apothéose, excellente de tensions et de mise en scène inspirée. Nina Hoss est très bien à mesure qu'on apprend à connaître son personnage, mais celui-ci accepte si facilement les choses qu'elle se fait tout de même voler la vedette par Nina Kuzendorf et Ronald Zehrfeld dans une large partie du film. La fin, et ses talents de chanteuse, en font tout de même une candidate de choix pour une nomination, mais elle ne se démarque pas tout à fait de la masse des performances potentiellement nommables non plus.
Distinctions possibles: Nina Hoss.


Australie

The Babadook: écrit et réalisé par Jennifer Kent, produit par Kristina Ceyton et Kristian Moliere, avec Essie Davis.
Remarques: C'est très bien fait, mais je suis las de ces films d'horreur où l'on va crescendo dans la possession et où l'on est censé avoir peur, hélas sans succès. Essie Davis livre cependant une bonne performance, qui me touche peu mais qui révèle bien les travers d'un personnage pas franchement sympathique au fond.
Distinctions possibles: Essie Davis.


Belgique

Deux jours, une nuit: écrit et réalisé par Luc et Jean-Pierre Dardenne, coproduit par Denis Freyd, avec Marion Cotillard.
Remarques: Comme on pouvait s'y attendre, un film ultra réaliste mais contrairement à ses cousins français listés plus bas, je suis totalement captivé. Vraiment. Le scénario ne tourne jamais en rond bien que ce soit peu ou prou la même histoire d'une séquence à l'autre: Sandra réussira-t-elle à convaincre ses collègues? Chaque personnage a ses motifs propres, le suspense est à son comble à chaque porte, et l'on ne s'ennuie absolument jamais. Marion Cotillard est excellente, sans aucun effet, et chacun de ses regards en dit toujours très long: c'est un remarquable travail d'actrice qui apporte énormément à l'histoire. Dès lors, la nomination est assurée comme meilleure actrice, et je me demande honnêtement si dans l'état actuel des choses je n'irais pas jusqu'à nommer le film dans la catégorie la plus prestigieuse.
Distinctions possibles: film, frères Dardenne, Marion Cotillard, scénario.


Chine

Le Retour (歸來) (Guīlái): réalisé par Zhang Yimou, scénario de Zou Jingzhi d'après un roman de Gelin Yan, avec Gong Li, Chen Daoming et Zhang Huiwen.
Remarques: Un grand retour en forme de la part du maître chinois et de sa muse. D'aucuns reprochent pourtant au film sa relative fadeur politique au profit d'une histoire intime, mais les choix opérés me semblent au contraire judicieux: en se recentrant sur les conséquences de la dictature sur une simple famille, le tout en devient absolument bouleversant, en évitant chaque piège du mélodrame tout en faisant bel et bien sentir la portée politique du message, de façon discrète, à travers les détails du quotidien. L'histoire est ainsi captivante, la mise en scène inspirée, le montage éblouissant lors de la séquence de la gare, et le clou du spectacle, c'est bien entendu l'interprétation, notamment Gong Li, très convaincante et délicatement touchante en amnésique, et peut-être plus encore exceptionnelle dans les séquences précédant sa maladie: rien que son tout premier regard est extraordinaire à observer.
Distinctions possibles: film, Zhang Yimou, Gong Li, montage, musique.


Etats-Unis

Before I Go to Sleep: écrit et réalisé par Rowan Joffe, produit par Mark Gill, Avi Lerner, Liza Marshall et Matthew O'Toole, avec Nicole Kidman, Mark Strong et Colin Firth. D'après un roman de S.J. Watson.
Remarques: Aussitôt vu, aussitôt oublié, encore que ça se suive avec intérêt sur le moment. On sent en tout cas que c'est ultra mineur et l'on comprend pourquoi le film est passé totalement inaperçu, mais Nicole Kidman n'est pas mal en amnésique qui doit repartir à zéro à chaque réveil alors qu'elle mène une enquête.
Distinctions possibles: /


Big Eyes: réalisé par Tim Burton, écrit par Scott Alexander et Larry Karaszewski, avec Amy Adams et Christoph Waltz.
Remarques: Un film qui ne me faisait pas du tout envie, mais que j'ai réussi à voir par télévision. C'est comme prévu extrêmement médiocre mais cependant pas catastrophique, en grande partie grâce à Amy Adams, une actrice qui m'inspire généralement peu mais qui livre une honnête performance suscitant une certaine dose d'empathie pour l'héroïne, à laquelle on souhaite un dénouement positif. En revanche, Christoph Waltz cabotine tellement que c'en devient gênant. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas recommandable, mais c'est moins pire que ce que la bande-annonce ou la filmographie récente du réalisateur auraient pu laisser croire.
Distinctions possibles: /


Birdman (or The Unexpected Virtue of Ignorance): écrit, produit et réalisé par Alejandro González Iñárritu, coproduit par John Lesher , Arnon Milchan et James W. Skotchdopole; avec Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton et Naomi Watts. Coécrit par Nicolás Giacobone, Alexander Dinelaris et Armando Bo, d'après une pièce de Raymond Carver.
Remarques: Je suis de ceux pour qui l'Oscar du meilleur film est plutôt mérité, en particulier pour cette mise en scène virtuose toute de plans-séquences, ce qui étonne de la part d'un réalisateur capable de pondre des choses comme Babel. Ceci dit, je ne me roule pas non plus par terre pour revoir le film avant longtemps, mais je peux absolument considérer des nominations pour Iñárritu, pour Michael Keaton pour qui la notion de "rôle de sa vie" semble avoir été inventée, et pour plusieurs seconds rôles: au moins Edward Norton pour sûr avec son portrait d'acteur imbuvable et autocentré, et peut-être pour Emma Stone et Naomi Watts, en fonction des places disponibles. J'ai également adoré le caméo de Lindsay Duncan en critique dépressive, mais elle a trop peu de temps d'écran!
Distinctions possibles: film, Alejandro Iñárritu, Michael Keaton, Edward Norton, scénario.


Boyhood: écrit, produit et réalisé par Richard Linklater, coproduit par Jonathan Sehring, John Sloss et Cathleen Sutherland, avec Ethan Hawke et Patricia Arquette.
Remarques: J'ai mis du temps avant de me décider à tenter l'expérience, n'étant pas du tout sûr au départ de pouvoir tenir près de trois heures devant des gens dont la seule préoccupation est de manger des frites et de s'habiller en t-shirt an quotidien. Pourtant, la surprise fut plutôt bonne, en grande partie grâce à la conception très originale du projet. Le seul défaut: une énorme erreur de casting pour le héros, puisqu'on part d'un gamin insipide pour aboutir à un jeune homme amorphe et inexpressif. Les parents sont en revanche très bien, et c'est très intéressant pour moi de découvrir ce que sont des parents considérés comme "normaux" par la société. Après, je sais que l'Oscar de Patricia Arquette reste controversé, certains arguant qu'elle ne fait rien de spécial, mais elle donne beaucoup de chaleur au film, et son dernier monologue où elle tente de pousser sa progéniture hors du nid révèle qu'elle est bien un personnage à part entière, et pas juste une mère aimante de soutien. Bref, un projet rare que je suis content d'avoir découvert même si les protagonistes ne me parlent pas du tout. J'aurais au moins nommé Richard Linklater comme réalisateur pour sa prouesse d'avoir créé un film très cohérent sur douze ans, et peut-être aurais-je également cité les parents comme seconds rôles. Vu le concept de départ, le montage reste aussi une catégorie non négligeable.
Distinctions possibles: Richard Linklater, montage.


Gone Girl: réalisé par David Fincher, produit par Ceán Chaffin, Joshua Donen, Arnon Milchan et Reese Witherspoon; avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Carrie Coon et Kim Dickens. Scénario de Gillian Flynn d'après son propre roman.
Remarques: Ok, ça se suit avec un plaisir relatif, mais ça reste l'archétype du polar tout juste bon à faire frémir le lecteur du dimanche sur la plage abandonnée, ce qui ne me donne pas particulièrement envie de le revoir. Autrement, Rosamund Pike est captivante mais elle rate quelque peu son troisième acte, à cause d'une scène où elle parle de ses aventures devant sa maison, avec un geste de la main qui sonne archi faux. Certains rôles secondaires sont quant à eux assez croustillants, en particulier du côté de Carrie Coon en sœur émotive et concernée et de Kim Dickens en détective qui voit l'affaire lui échapper de plus en plus. Éventuellement des nominations pour Rosamund Pike et Carrie Coon mais j'ai finalement découvert bien plus intéressant depuis, même si le suspense reste assez bien mis en scène pour rendre le film au moins digne d'intérêt.
Distinctions possibles: Rosamund Pike, Carrie Coon.


Grace of Monaco: réalisé par maestrrrrro Olivier Dahan, écrit et produit par on s'en fiche, avec Nicole Kidman et Tim Roth.
Remarques: Ahem. J'ai vu ça à la télévision cet été, juste pour vérifier si c'était vraiment aussi apocalyptique qu'on le dit. Honnêtement, c'est tout juste bon à provoquer des choses pas propres sous la ceinture de Stéphane Bern, mais notons qu'à la différence de La Môme, le scénario se tient au moins à un laps de temps assez court, sans avoir à maquiller son actrice principale en momie pour ses vieux jours (le sujet ne s'y prêtait pas, certes). Mais ça n'a aucun intérêt: c'est bidon, l'on s'ennuie ferme, le récit est totalement linéaire avec pour seul but de faire défiler tous les grands noms de l'époque histoire d'amuser la galerie, et même Nicole Kidman échoue à dynamiser l'ensemble. La seule piste qui aurait pu m'intéresser, c'est celle avec la méchante belle-sœur qui complote dans le dos du prince, et encore.
Distinctions possibles: /


The Grand Budapest Hotel: écrit, produit et réalisé par Wes Anderson, coproduit par Jeremy Dawson, Steven Rales et Scott Rudin, coécrit par Hugo Guinness, avec Ralph Fiennes, Tony Revolori et plein de beau monde.
Remarques: je ne suis pas le plus grand fan de Wes Anderson, dont les univers décalés, qui devraient me parler très fort, m'ont tout de même toujours un peu déçu hormis pour les Tenenbaum, encore que celui-là reste un bon cru. A vrai dire, rien que les mots du titre me faisaient très envie, et même si l'histoire ou les personnages peinent à me captiver, les décors sont tellement merveilleux que l'éblouissement visuel est au rendez-vous: entre les tons pastels des chambres et le rose léger des boîtes à pâtisseries, chaque image ressemble à un gâteau qui met l'eau à la bouche. Dès lors, plein de citations sont à prévoir dans les catégories techniques, surtout pour les décors et la musique d'Alexandre Desplat, mais peut-être également pour les costumes, le maquillage, le montage et la photographie; tandis que le film reste un candidat de choix dans les catégories prestigieuses, au moins pour la mise en scène de Wes Anderson, parce que j'aime cette atmosphère d'Europe centrale, et pour l'interprétation de Ralph Fiennes, que j'ai très légèrement moins aimée la seconde fois malgré une réussite comique inégalable.
Distinctions possibles: Wes Anderson, Ralph Fiennes, photographie, décors, costumes, maquillage, musique.


The Homesman: écrit, interprété et réalisé par Tommy Lee Jones, produit par Luc Besson, Peter Brant et Brian Kennedy, avec Hilary Swank. Coécrit par Kieran Fitzgerald  et Wesley Oliver d'après un roman de Glendon Swarthout.
Remarques: Un western qui se tire une balle dans le pied à mi-parcours, en faisant disparaître l'un des deux protagonistes comme si de rien n'était, si bien qu'on a l'impression d'avoir deux films différents avant et après ce revirement inattendu. Mais la photographie reste bien travaillée, tandis qu'Hilary Swank donne probablement la meilleure performance de sa carrière, puisqu'elle parvient tout à fait à nous faire croire qu'elle est une future vieille fille pas attirante. Par contre, que vient faire Meryl Streep dans un caméo qui n'apporte rien à l'histoire? Le point fort: la musique de Marco Beltrami, qui présente peu de variations mais renforce parfaitement l'état d'esprit tragique des personnages.
Distinctions possibles: Hilary Swank, musique.


The Hundred-Foot Journey: réalisé par Lasse Hallström, produit par Juliet Blake, Steven Spielberg et Oprah Winfrey, avec Helen Mirren et Manish Dayal. Scénario de Steven Knight d'après un livre de Richard Morais.
Remarques: Argh. Je n'avais plus que deux jours pour convertir mes points de fidélité UGC, j'accompagnais un proche à un congrès, j'ai pris le premier truc venu en me disant: "tiens, Helen Mirren dans le Quercy, ça peut être sympa", et... je me suis fait avoir en beauté. Après coup, j'ai regardé les autres "œuvres" du réalisateur, tout ça pour réaliser que le type était l'auteur du nullissime Chocolat et de l'apocalyptique vidéographie d'ABBA. Bref, ça m'apprendra à aller voir un film juste pour l'actrice sur l'affiche, et ça me convainc surtout qu'Helen Mirren est une grosse arnaque depuis bientôt dix ans: adieu la composition, Helen Mirren se pointe dans un film pour manger une omelette et... c'est tout.
Distinctions possibles: /


Into the Woods: produit et réalisé par Rob Marshall, coproduit par John DeLuca, Marc Platt et Callum McDougall, avec Emily Blunt, Meryl Streep et compagnie. Scénario de James Lapine d'après sa comédie musicale de 1986.
Remarques: Un discours de départ plutôt alléchant, mais l'enchevêtrement des contes de fées choisis n'est hélas pas des plus heureux, avec certains personnages totalement sacrifiés qui n'ont même pas le mérite de servir de prétextes (Raiponce et son prince par exemple), tandis que ceux dont on se soucie le plus disparaissent au fur et à mesure sans laisser de traces, précisément au moment où l'on attend un dénouement à leur sujet, si bien que ne reste à la fin qu'une poignée de personnes totalement quelconques qui intéressent peu. Quoi qu'il en soit, Emily Blunt et Meryl Streep dominent la distribution mais leur intérêt décroît dangereusement au second essai, idem pour James Corden et Lilla Crawford qui restent corrects mais sans plus, tandis qu'Anna Kendrick a beau savoir très bien chanter, elle n'en reste pas moins absolument lisse et impersonnelle. Chris Pine me laisse quant à lui indifférent, et Johnny Depp est à nouveau une gigantesque catastrophe. Si le film se découvrait avec un plaisir relatif grâce à ses décors et aux deux airs attendus qui passent malgré tout très bien sur grand écran, Agony et Stay with Me, ça ne soutient hélas pas un second visionnage. C'est creux et décevant, sans rien de réellement fameux à célébrer.
Distinctions possibles: /


Magic in the Moonlight: écrit et réalisé par Woody Allen, produit par Letty Aronson, Edward Walson et Stephen Tenenbaum, avec Emma Stone et Colin Firth.
Remarques: Comme toujours depuis bientôt vingt ans, un nouveau Woody Allen, un nouveau fiasco. D'ailleurs, je n'avais même pas prévu d'aller le voir, mais pour ne pas faire le rabat-joie en soirée, j'ai finalement cédé. Evidemment, ça ne raconte rien, on devine le dénouement au bout de cinq minutes, Colin Firth télégraphie son texte sans lui donner de consistance particulière, Emma Stone en transe est ridicule, Marcia Gay Harden et Jacki Weaver frôlent la bêtise dans de minuscules caméos, et le seul point positif dans tout ça, c'est l'ambiance "Riviera des années 1920", somme toute agréable avec ces jolies villas en bord de mer.
Distinctions possibles: /


Maleficent: réalisé par Robert Stromberg, produit par Joe Roth, avec Angelina Jolie et Elle Fanning. Scénario adapté par Linda Woolverton, d'après Disney et Charles Perrault.
Remarques: Bon, je l'avoue, j'ai bien aimé Angelina Jolie dedans, malgré ses cent cinquante mille regards en coin pour bien signifier que "oulala, je suis censée te faire peur, mais au fond je suis gentille, attention!" Autrement, le film est d'une laideur sans nom, les effets spéciaux rendent les images translucides, les gnomes sortent de n'importe où parce que plus personne à Hollywood ne semble capable de faire un film fantastique sans caser des trolls tous les cinq mètres, les fées sont totalement crétines, Elle Fanning est insipide à pleurer, et le scénario, relativement séduisant dans sa lutte contre le patriarcat, manque cruellement de subtilité, sans compter que la bataille finale avec les pantalons en latex est un sommet de ridicule embarrassant. Bref, Angelina Jolie rend le tout à peu près regardable, mais autrement...
Distinctions possibles: Angelina Jolie.


A Most Violent Year: écrit, produit et réalisé par J.C. Chandor, coproduit par Anna Gerb et Neal Dodson, avec Oscar Isaac et Jessica Chastain.
Remarques: C'est un bon film, mais ce n'est pas franchement ma tasse de thé, de telle sorte que je n'ai pas grand chose à dire: l'histoire me parle peu, Oscar Isaac et Jessica Chastain sont corrects mais je ne décèle aucun génie particulier dans leurs performances, et la photographie était de mémoire réussie. Je suis vraiment navré, ça mériterait davantage de louanges, mais ce n'est pas un film pour moi, je ne sais qu'ajouter...
Distinctions possibles: à revoir.


Nightcrawler: écrit et réalisé par Dan Gilroy, produit par plein de monde, avec Jake Gyllenhaal et Rene Russo.
Remarques: Absolument pas mon style, mais c'est captivant. Une surprise très agréable qui tient constamment en haleine (jusqu'où ira le protagoniste?) et parodie excellemment le problème des chaînes d'info en continu. Jake Gyllenhaal livre un très bon exercice de composition, sans jamais rien appuyer hormis dans l'épisode du miroir, et il réussit parfaitement l'exploit de nous intéresser à un sociopathe n'ayant aucun problème avec son travail. Rene Russo est également très intéressante en femme sûre d'elle dont les fêlures sont très vite démasquées, et l'on regrettera seulement que dès qu'il s'agit de s'énerver dans l'école d'interprétation actuelle aux Etats-Unis, tout le monde se sente obligé de ponctuer ses phrases par des "goddam" et "fucking", ce qui colle toutefois bien au monde assez vulgaire de ces personnages. Mais vraiment, l'ensemble est contre toute attente passionnant.
Distinctions possibles: Jake Gyllenhaal, Rene Russo, scénario.


Selma: réalisé par Ava DuVernay, produit par Christian Colson, Dede Gardner, Jeremy Kleiner et Oprah Winfrey, avec David Oyelowo. Scénario original de Paul Webb.
Remarques: Désolé, mais je ne pense jamais retenter l'expérience, et je n'avais pas du tout aimé à l'époque. J'avais trouvé ça bâclé et bourré de clichés, et j'ai toujours pensé que le film aurait gagné à être peaufiné plutôt que de sortir en catastrophe dans le but de récolter des Oscars. Et vraiment, le montage lors des scènes de violence m'avait semblé très confus, tandis que les multiples ralentis sur les visages m'avait paru bien lourds, comme si la réalisatrice tentait de se chercher un style. A sa décharge, j'étais de mauvaise humeur ce soir-là, alors comment évaluer la part de mauvaise foi dont j'étais prêt à user à ce moment?
Distinctions possibles: /


Still Alice: écrit et réalisé par Richard Glatzer et Wash Westmoreland , produit par James Brown, Pamela Koffler et Lex Lutzus, avec Julianne Moore, Alec Baldwin et Kristen Stewart.
Remarques: Un film sur une déchéance physique qui peine à captiver, qui n'a nullement la force cinématographique d'un Amour ou la grâce d'un Away from Her, et dont le scénario écarte en partie la problématique la plus importante, en créant un personnage de mari pas franchement concerné. Julianne Moore est très bien au début lorsqu'elle lutte tout en étant encore lucide, mais après coup, ça devient une performance ultra technique peu inspirante, malgré un tout dernier plan frappant de justesse. Mais vraiment, Julie Christie en disait nettement plus avec moins de temps d'écran en 2007.
Distinctions possibles: /


The Two Faces of January: écrit et réalisé par Hossein Amini, produit par Tim Bevan, Eric Fellner, Robyn Slovo et Tom Sternberg, avec Viggo Mortensen, Kirsten Dunst et Oscar Isaac.
Remarques: Et bam! Encore un film où l'un des protagonistes disparaît sans laisser de traces à mi-parcours. Mais franchement, comment voulez-vous qu'on se passionne pour une histoire où dès que les personnages commencent à prendre de l'épaisseur, il faille passer à autre chose sans autre forme de procès? En outre, il y avait déjà assez de tensions dans la première partie pour développer un second acte très correct, sans avoir besoin de se priver d'un des membres du trio. La photographie donne en tout cas envie de voyager, et les costumes rétro sont distingués.
Distinctions possibles: costumes.


Wild: réalisé par Jean-Marc Vallée, produit par Bruna Papandrea et Bill Pohlad, coproduit et interprété par Reese Witherspoon. Avec Laura Dern. Scénario de Nick Hornby d'après Wild: From Lost to Found on the Pacific Crest Trail de Cheryl Strayed.
Remarques: Pour clore cet inventaire, encore un film que je ne regrette pas d'avoir vu, mais vers lequel j'ai peu de chances de revenir. Le point fort: Reese Witherspoon dans sa performance la plus réussie, où elle met bien en lumière les conflits qui se bousculent dans la tête du personnage. Comme je la trouve généralement sympathique et que je n'ai jamais de place pour elle dans ma liste, j'ai envie de mettre cette année à profit pour la nommer au moins une fois. Par contre, clairement déçu pour Laura Dern, pas à cause de son interprétation, à laquelle je n'ai rien à reprocher, mais à cause de son temps d'écran réduit au strict minimum. Dommage, car après sa nomination aux Oscars, j'avais imaginé que le rôle était plus conséquent.
Distinctions possibles: Reese Witherspoon.


France

Astérix: Le Domaine des dieux: écrit et réalisé par Louis Clichy et Alexandre Astier, produit par Philippe Bony et Thomas Valentin, avec la voix de Roger Carel. D'après René Goscinny et Albert Uderzo.
Remarques: Hum. Ça commence mal pour le cinéma français. Je n'ai tenu que vingt minutes: le rythme s'étend en longueur, les voix ne collent pas du tout aux personnages et je n'ai jamais beaucoup aimé l'univers d'Astérix en outre, encore moins l'album de départ qui nous occupe.
Distinctions possibles: /


Bande de filles: écrit et réalisé par Céline Sciamma, produit par Bénédicte Couvreur, avec Karidja Touré et Assa Sylla.
Remarques: L'intention de Céline Sciamma est toujours louable, en l'occurrence donner la parole à ceux qu'on ne voit jamais au cinéma, mais son approche à la limite du documentaire m'empêche systématiquement de rentrer dans ses films. Ici, j'ai l'impression d'être allé me promener une heure en banlieue, mais lorsque je vais au cinéma, j'ai besoin de m'évader, sans quoi je suis incapable d'apprécier une œuvre, quoique Deux jours, une nuit reste une divine exception. Néanmoins, le film a beau ne pas me toucher, ça reste très intéressant à décortiquer, ne serait-ce que pour donner enfin la parole à celles que l'on ne voit jamais au cinéma. Assa Sylla est quant à elle très prometteuse, tandis que la séquence "Diamonds" reste à juste titre un grand moment de mise en scène.
Distinctions possibles: Céline Sciamma.


Clouds of Sils Maria: écrit et réalisé par Olivier Assayas, produit par Charles Gillibert, avec Juliette Binoche et Kristen Stewart.
Remarques: Je suis très partagé sur celui-là. D'un côté, c'est captivant, de l'autre, j'ai constamment l'impression que le réalisateur ne sait pas trop où il veut en venir, à grand renfort d'effets se partageant entre usage abondant de musique baroque, de regards intenses et de nuages mystérieux. Mais à la fin, où arrive-t-on? Le sujet, honnêtement vu et revu, s'essouffle dès la première partie, et le twist final n'apporte rien à l'affaire. Autrement, Juliette Binoche est comme souvent au minimum intéressante, et Kristen Stewart signe un retour en grâce plutôt prometteur. Finalement, je ne suis pas mécontent d'avoir découvert ce film, mais je ne suis pas assez convaincu par une histoire beaucoup trop floue pour croire que l'ensemble soit réellement maîtrisé.
Distinctions possibles: /


Les Combattants: écrit et réalisé par Thomas Cailley, produit par Pierre Guyard, avec Adèle Haenel. Coécrit par Claude Le Pape.
Remarques: L'archétype du film français naturaliste jusqu'à l'extrême dans lequel je suis incapable de rentrer, même en faisant tous les efforts du monde. Dommage, car je soutiens Adèle Haenel depuis Naissance des pieuvres, et je suis sincèrement content qu'elle ait percé.
Distinctions possibles: /


Israël

L'Institutrice (הגננת) (Haganenet): écrit et réalisé par Nadav Lapid, avec Sarit Larry.
Remarques: Ç'avait l'air alléchant sur le papier, mais le résultat est franchement inconsistant, voire un peu glauque dans la mesure où l'on n'arrive jamais à se prendre de sympathique pour cette institutrice par trop déterminée. Je n'ai découvert ce film que récemment, mais il m'est difficile d'expliciter plus avant mon ressenti.
Distinctions possibles: /


Le Procès de Viviane Amsalem (גט - המשפט של ויויאן אמסלם) (Gett): écrit et réalisé par Ronit et Shlomi Elkabetz, interprété par Ronit Elkabetz et Simon Abkarian.
Remarques: Un peu déçu par ce film dont j'attendais beaucoup. Ça reste tout de même de qualité, en particulier grâce à un scénario brossant des portraits complexes sur fond d'extrémisme religieux, le tout à huis clos. Les deux acteurs sont également bons, quoiqu'un peu trop sur la même note à mon goût.
Distinctions possibles: scénario.


Mauritanie

Timbuktu: écrit et réalisé par Abderrahmane Sissako, produit par Etienne Comar et Sylvie Pialat, avec Abel Jafri. Coécrit par Kessen Tall.
Remarques: L'aspect documentaire est peut-être un peu trop prononcé pour me séduire, mais c'est très intéressant dans le détail, le film faisant bien sentir le poids des extrémismes sur une société paisible qui n'avait rien demandé. Les images des enfants jouant avec un ballon imaginaire sont attendues mais fonctionnent très bien en ce contexte, et l'on craint vraiment pour les personnages, notamment la dame aux vêtements multicolores que rien ne semble pouvoir affecter. Bref, j'aimerais nommer le film quelque part, mais je ne sais pas encore où.
Distinctions possibles: Abderrahmane Sissako.


Royaume-Uni

A Little Chaos: écrit, interprété et réalisé par Alan Rickman, coécrit par Jeremy Brock et Alison Deegan, avec Kate Winslet et Matthias Schoenaerts.
Remarques: Encore une douloureuse déception, celle-ci étant d'autant plus cruelle que ce chaos me faisait très envie sur le papier, entre jardins à la française, héroïne dépressive et cour flamboyante du Roi-Soleil. Hélas, le scénario ne conduit nulle part, s'égarant entre romance convenue, leçon d'histoire prémâchée avec les grands personnages du royaume défilant à la suite sans rien apporter à la trame principale, anachronismes pesants (le lever du roi filmé comme une pub Ricoré!) et soap opera de la pire espèce, avec rivale jalouse qui ouvre les vannes au sens propre comme au figuré. Peine supplémentaire, Kate Winslet n'a pas le centième du mordant qui fit sa renommée vingt ans plus tôt, et, affront suprême, Alan Rickman nous prive du plaisir de voir la brillante Jennifer Ehle en Montespan, en la reléguant à un glorieux caméo totalement improbable. Par bonheur, le film reste agréable à observer, mais surtout à écouter, la superbe partition de Peter Gregson me donnant de furieuses envies érotiques dans une orangerie printanière sous un ciel gris.
Distinctions possibles: musique.


Mr. Turner: écrit et réalisé par Mike Leigh, produit par Georgina Lowe, avec Timothy Spall, Dorothy Atkinson et Marion Bailey.
Remarques: J'ai apprécié les premières minutes grâce à l'éblouissement visuel et auditif créé par une superbe photographie qui pour le coup sert absolument le propos, de ravissants costumes et décors et une musique très agréable. Mais après ça, et quelle déception! Une fois l'effet de découverte passée, on se rend compte que ça ne raconte pas grand chose, et l'on s'ennuie ferme. En outre, c'est vraiment trop long. Timothy Spall et Marion Bailey ont pour leur part de bons échanges et mériteraient considération.
Distinctions possibles: photographie, décors, costumes.


Pride: réalisé par Matthew Warchus, produit par David Livingstone, avec Ben Schnetzer, Bill Nighy et Imelda Staunton. Scénario original de Stephen Beresford.
Remarques: Pour le moment, mon film préféré de l'année, cette rencontre improbable entre un syndicat de mineurs et une association LGBT étant l'une des choses les plus divertissantes que j'ai vues ces derniers temps. C'est à la fois drôle et touchant, l'histoire prend également bien soin de ne se focaliser sur personne afin de couvrir le plus de problématiques possibles à travers ces parcours très différents, et l'on comprend vraiment l'importance de faire entendre sa voix dans un système défavorable. En tout cas, je nommerais volontiers cette très agréable découverte comme meilleur film et comme meilleur scénario, mais je regrette que ce ne soit pas vraiment un film d'acteurs, bien qu'Imelda Staunton soit très cool, que Ben Schnetzer, Jessica Gunning et Faye Marsay soient des révélations prometteuses qu'il serait de bon ton de retrouver par la suite, et que Bill Nighy bénéficie de la plus jolie scène du film. Bref, le seul défaut dans tout ça, c'est que la bande-son m'a mis en tête cette horrible chanson disco qu'on entend à mi-parcours, ce qui est fort peu pratique pour s'endormir alors que ce refrain entêtant vous bourdonne dans le crâne...
Distinctions possibles: film, scénario.


The Theory of Everything: réalisé par James Marsh, produit par Eric Fellner, Tim Bevan et Lisa Bruce, avec Eddie Redmayne et Felicity Jones. Ecrit et coproduit par Anthony McCarten, d'après Travelling to Infinity: My Life with Stephen de Jane Hawking.
Remarques: D'accord, c'est moins pire que je ne l'imaginais et ça reste beau et soigné, avec plein de jolies images qui donnent envie d'en voir plus. Certes. Malheureusement, l'histoire n'a aucun intérêt: on raconte la vie de Stephen Hawking de A à V sans jamais prévenir quand on change d'époque (on est censé le deviner avec les nouveaux appareils, mais les personnages ne vieillissent pas), et finalement, c'est davantage un film sur le handicap qu'un film sur un esprit scientifique brillant. En effet, la science est à peine effleurée, sauf pour dire que la relativité est une patate et la physique quantique un petit pois (merci bien), de telle sorte qu'on tombe bel et bien dans le film ultra démonstratif et touchant calibré pour les Oscars. Ça ne veut pas dire que c'est mauvais, et ça se suit réellement sans déplaisir (les scènes avec Maxine Peake), mais à la fin ça n'est ni ambitieux, ni très intéressant. Eddie Redmayne se repose exclusivement sur le mimétisme mais a au moins le mérite d'ajouter un brin de malice dans ses regards, et c'est de toute façon le parcours de son épouse qui intéresse (vivra-t-elle enfin sa vie?), bien qu'on tombe dans l'un des thèmes les plus éculés de l'interprétation féminine destinée à finir aux Oscars. Felicity Jones n'est donc pas mal en soi, mais ça reste un rôle à clichés qui ne sort pas assez de l'ordinaire pour mériter distinction. Autrement, il est effrayant de réaliser qu'en une quinzaine d'années, Emily Watson est passée d'actrice de premier plan à figurante avec à peine plus de deux répliques par film...
Distinctions possibles: /


C'est tout pour le moment. Mais vraiment, 2014 m'inspire très peu. J'espère que les films majeurs de 2015 relèveront le niveau, quand on y aura enfin accès dans cinquante ans (sérieusement, pourquoi n'y a-t-il qu'en France qu'il faille attendre aussi longtemps pour voir les films américains? Brooklyn n'a toujours pas de date prévue ici à ce jour)... J'attends avec impatience Carol, Brooklyn et 45 Years en priorité, et j'aimerais également voir The Dressmaker, qui semble mal parti pour être distribué en Europe... Je me demande seulement si mon désamour pour le cinéma contemporain vient de moi ou s'il y a une vraie baisse de qualité. Mais il est vrai que j'ai de plus en plus de mal à me laisser emporter par un film de nos jours. Peut-être que j'aime trop les années 1930 et que la modernité m'intéresse moins.

Bonne soirée!

mardi 17 novembre 2015

Meilleure actrice internationale 1928

Aujourd'hui, jouons avec l'une des mes années préférées dans la plupart des catégories, 1928. Dans le détail, la liste de films vus n'est pas très longue car si l'on excepte les courts-métrages, ça ne fait pas énormément d’œuvres à prendre en compte, a fortiori pour les actrices, mais j'ai tout de même tenté de varier les pays au maximum, dans la limite de ce que j'ai pu trouver, comme le montrera l'inventaire qui paraîtra dans les prochains jours n'est pas du tout prêt. Au point de changer un peu de mes habituelles sélections américaines? Voyons ça dès à présent!


Mes demi-finalistes:

Betty Compson dans The Docks of New York: A priori, un film sur les bas-fonds d'un port ne semble pas du tout fait pour moi, mais lorsque Josef von Sternberg est aux commandes, ça devient tout de suite beaucoup plus impressionnant, et ce d'autant plus lorsque la toujours captivante Betty Compson fait partie de la troupe, afin d'apporter à l'héroïne la dose de charisme et de forte présence requise, histoire de sortir du cliché de la demoiselle en détresse qu'on aurait pu attendre, encore qu'un personnage féminin fort ne soit pas une surprise chez le génial réalisateur, comme en avait témoigné Evelyn Brent l'année précédente, et comme le montrera Marlene Dietrich par la suite. Mais tout de même, Betty Compson apporte énormément à un rôle assez fin sur le papier, si bien qu'on se soucie tout à fait du parcours de l'héroïne, bien qu'à la réflexion je préfère malgré tout l'histoire propre à Olga Baclanova. Quoi qu'il en soit, Compson compose un personnage tout aussi passionnant qui s'intègre parfaitement à cet univers sordide à travers ses manières un peu rustres et sa façon quelque peu vulgaire de fumer une cigarette. Mais ce qui rend cette interprétation aussi poignante, c'est que l'actrice sait tout à fait insérer de l'émotion dans ce rôle, de telle sorte que sa mélancolie, cadrant très bien avec cette fille des bas-fonds désabusée sauvée in extremis d'une tentative de suicide, n'est jamais jouée sur l'unique note attendue: par moment, le regard se voile légèrement, et l'on ressent tout le poids du passé du personnage sans que l'actrice ait besoin d'en faire plus, d'où une réussite incontestable. En fait, elle joue admirablement avec ses yeux et dévoile, sans aucun effort apparent, une sensibilité déchirante qui perce sous le masque désenchanté que revêt son visage, réplique idéale aux expressions assez touchantes de George Bancroft dans la chambre à coucher. En quelque sorte, Betty Compson apparaît comme le contrepoint nécessaire à la bestialité de son partenaire sans pour autant verser dans l'excès inverse, à tel point que sa performance apparaît toujours comme très bien dosée et calculée, chose guère étonnante quand on a vu l'actrice auparavant, bien que The Docks of New York reste son sommet parmi ce que j'ai découvert jusqu'à présent.


Joan Crawford dans Our Dancing Daughters: Si Joan Crawford fut toujours dans l'ombre de Norma Shearer et Greta Garbo, puis Greer Garson, qui se partageaient chacune les projets de prestige de la MGM, ça ne l'empêcha nullement, à mon avis, d'être leur égale absolue en matière de jeu, même si les véhicules n'étaient pas toujours dignes de son talent. Mais avec Our Dancing Daughters, la question ne se pose pas: il s'agit de son meilleur film muet et, disons-le sans détour, Crawford y est resplendissante de dynamisme et de spontanéité, sans que jamais aucun tic n'ait fait vieillir sa prestation 90 ans plus tard. En effet, dans le registre de la légèreté qui ouvre le film, elle n'a pas son pareil pour nous ancrer directement dans l'histoire: ses regards désireux sont intenses, son autodérision fait mouche à plus d'une reprise, notamment lorsqu'elle avoue à l'homme qui lui plaît être connue comme "Diana the Dangerous", sa façon de goûter le champagne avec son doigt la rend divine de séduction, sa manière de faire le signe de l'égorgement quand il est question des mères s'inquiétant que leurs filles veillent si tard est hilarante, et à vrai dire, même sa maladresse sert totalement le personnage lorsqu'elle glisse et arrive aux pieds de l'homme désiré en souriant. Les moments de tendresse sont eux aussi joués avec brio, en particulier parce que Crawford suggère de l'émotion dans ses regards, y compris lorsque Diana use sciemment de cette technique pour se faire embrasser à la campagne, et comme il y a toujours de la légèreté derrière l'émotion, on ne peut qu'admirer ce que l'actrice fait du personnage. Enfin, la partie plus dramatique liée aux machinations d'Anita Page achève de rendre cette performance absolument magnifique, et l'extrême justesse de Crawford lorsqu'elle doit jouer le choc avant de faire naître des larmes discrètes au coin des yeux reste à louer mille fois, avant que sa dignité teintée de défi ne vienne conclure cette trajectoire passionnante. On notera encore que l'actrice crée une très bonne alchimie avec ses partenaires, notamment Dorothy Sebastian, et finalement, seule sa façon de danser, plus frénétique que gracieuse, sonne quelque peu étrange, encore que ça colle assez bien à l'idée qu'on a d'une flapper. Quoi qu'il en soit, c'est constamment juste, souvent subtil et dans tous les cas très réussi et, bien que l'année soit trop exceptionnelle sur le plan de l'interprétation féminine pour permettre à Crawford de se qualifier avec ce superbe rôle, la nomination n'en resterait pas moins entièrement méritée dans l'absolu.


Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc: Pour incarner le personnage le plus mythique de l'histoire de France, Renée Falconetti nous offrira finalement la performance la plus iconique du cinéma muet, son jeu très expressif étant sans conteste le plus commenté de la période, au point que de nombreux critiques ont conclu qu'il était impossible de comprendre l'interprétation d'avant le parlant sans avoir vu Falconetti souffrir une heure vingt durant dans de multiples gros plans. Et certes, je ne nie absolument pas le pouvoir de fascination que parvient à exercer un tel travail, d'autant que le film est un chef-d’œuvre, mais sans vouloir faire de mauvais esprit, je suis à présent convaincu que le génie de cette performance vient avant tout de Dreyer, et pas tellement de son actrice principale, contrairement à ce que j'avais pu croire lors de ma saisissante découverte du film. Je m'explique: la dame souffre très bien, au point de nous connecter entièrement à son parcours de jeune femme prise au piège d'une situation extrêmement éprouvante, de telle sorte qu'on ressort de l'expérience assez nerveux. Certes. Mais c'est aussi que le réalisateur n'a pas ménagé l'actrice, qui n'eut dès lors pas grand mal à se glisser dans la peau du personnage. Autrement, elle pleure très bien, quoique sa technique soit assez visible puisqu'elle plisse légèrement les yeux avant de faire couler les larmes, mais au moins, cette expressivité ancre son interprétation dans quelque chose de très concret, ce qui sert le film. Certes. Malgré tout, lorsqu'on regarde cette performance dans le détail, il reste difficile de la prendre au sérieux la moitié du temps pour deux raisons. La première, c'est que lorsque l'actrice ne sait plus quoi faire après avoir autant pleuré d'un œil que de l'autre, elle se contente d'écarquiller ses yeux vitreux sans tenter d'ajouter quoi que ce soit aux trop nombreuses séquences où elle se réfugie dans cette zone de confort, de quoi me prouver que sa composition est en fait moins "active" que "réactive". Ce qui nous mène au deuxième point, à savoir que la Jeanne d'Arc que nous voyons ici est moins une construction pensée et réfléchie par l'actrice qu'une formidable orchestration de la part du réalisateur, qui s'intéresse davantage à la souffrance qu'à la psychologie de l'héroïne. Ainsi, on ne comprend pas à tous les coups où Jeanne veut en venir: par moments elle a l'air illuminée comme une mystique, par moments elle semble beaucoup plus humaine et sensée, et à d'autres reprises, elle se met à provoquer ses juges avec des sourires en coin un brin manipulateurs qui contredisent totalement la pureté entrevue jusqu'alors. Je suis donc au regret de trouver cette interprétation pas toujours logique, toute iconique soit-elle. Mais le film reste un chef-d’œuvre sans égal que Falconetti est loin de desservir, sans que je sois totalement convaincu par son approche du personnage. Elle est toutefois plus intéressante à découvrir une première fois que lorsqu'on y revient avec un regard plus objectif.


Olga Tschechowa dans Moulin Rouge: J'avoue n'avoir jamais entendu parler de cette dame avant ce mois-ci, et peut-être que son histoire controversée a tendance à éclipser son talent d'actrice, mais le fait est qu'elle est constamment captivante dans cette intrigue bien de son temps, malgré l'énorme défaut du film de ne jamais montrer le Moulin Rouge en lui-même (tout au plus a-t-on droit à une séquence de cabaret tout droit sortie des Années Folles et non de la Belle Epoque), pour préférer se recentrer sur un bon mélodrame typique des derniers feux du cinéma muet. Ceci dit, ça n'empêche nullement la performance de fonctionner à merveille, l'actrice y ajoutant tout le charisme requis et la dose d'émotion contenue qui donne un air de modernité à son travail, afin d'aérer cette histoire chargée de mère "méprisable" qui tente de protéger sa fille "respectable", à force de graviter aux marches de la bonne société parisienne. En fait, elle rappelle Irene Rich dans Lady Windermere's Fan mais sans la touche d'humour que Lubitsch avait su insérer dans sa performance, et préfigure Helen Morgan dans Applause, mais sans les flots de mélodrame qui emportèrent cette dernière l'année d'après. Ainsi, à mi-chemin entre ces deux interprétations iconiques, Olga Tschechowa pourrait être plus facilement oubliable, mais il n'en est rien, tant elle brille dès l'ouverture du film par sa présence et son visage singulier. La première demi-heure fait d'ailleurs tout le sel de sa composition, puisqu'elle s'y montre aussi vivace au cabaret que sincèrement émue et compatissante dès qu'on en vient à sa fille, le tout en faisant preuve de tout le défi nécessaire pour contrer les plans d'un personnage aimé dont elle se méfie, sachant qu'elle ne s'écrase absolument pas devant le père de celui-ci, bien qu'elle soit dans une position plus défavorable par comparaison. Par ailleurs, son charisme est tel qu'elle réussit à nous faire croire qu'elle est bien la mère d'Eve Gray, alors que les deux actrices n'avaient que trois ans de différence, Tschechowa parvenant à estomper sa jeunesse trop marquée par des manières plus mûres qui servent totalement le propos. A la fin, on regrettera surtout qu'une fois passée cette première partie mémorable, l'actrice n'ait plus grand chose à se mettre sous la dent et doive se contenter de meubler un temps d'écran qui traîne en longueur, mais quoi qu'il en soit, son entrée en scène reste passionnante et finalement inoubliable.


Mes finalistes

5. Gloria Swanson dans 
Sadie Thompson

Après une récente visite, je suis désormais un peu moins enthousiaste qu'en phase de découverte, mais la réussite reste bel et bien au rendez-vous, aussi bien du côté du film, Raoul Walsh étant toutefois encore plus brillant comme acteur ici, que du côté de l'interprétation, Swanson apportant au rôle le fort caractère que Sadie demandait. Ainsi, elle fait une entrée détonante dans l'histoire, au point qu'on ne remarque plus qu'elle, et pas uniquement à cause de son chapeau de dix-huit kilomètres carrés, dans la mesure où il lui suffit de sourire pour révéler le charisme et la dynamisme de l'héroïne avant même que le paquebot accoste. Une fois à terre, on est ensuite frappé par l'humour et la séduction un brin vulgaire que l'actrice donne au personnage, ce qui est en outre un réel exploit de la part d'une comédienne davantage associée aux grandes mondaines Art Déco. Mais vraiment, la composition fonctionne absolument, et l'on n'est jamais étonné que tous les marins de l'île virevoltent autour d'elle tant elle se montre spontanée et toujours prompte à s'amuser. D'ailleurs, son rire lorsqu'elle joue avec le miroir a beau être très joué, il n'en est pas moins sincère et tout à fait crédible. Bref, on croit vraiment à cette jeune femme dynamique un peu prostituée sur les bords, même si Swanson accentue un poil trop cet aspect à cause d'une expressivité propre au muet à ce moment-là déjà dépassée par d'autres collègues (voir plus haut), mais dans tous les cas, le pouvoir de divertissement est bien là. La seule chose que j'apprécie moins que par le passé, finalement, c'est la deuxième partie puritaine, lorsque Sadie est forcée de se repentir: on ne doute jamais qu'il s'agit bien de la même femme qu'au départ (à la différence de Crawford dans le remake), mais on se demande tout de même pourquoi une personne aussi forte que Sadie arrive à se laisser convaincre de ses supposés péchés, alors qu'elle ne manque pourtant pas de soutiens sur l'île. Par bonheur, à défaut de pouvoir acheter cette performance à 100%, on notera que la clef de cette performance, à savoir la grande confrontation avec Lionel Barrymore, n'en reste pas moins très réussie, puisque Swanson parvient à s'y montrer aussi dure que désespérée dans le même laps de temps, tout en accentuant encore une fois un peu trop la colère. A la fin, je suis tout de même toujours conquis par cette interprétation, et Swanson s'en tire vraiment avec tous les honneurs, pour ce qu'on peut attendre d'une performance du cinéma muet.


4. Greta Garbo dans
A Woman of Affairs

J'ai toujours considéré A Woman of Affairs comme le meilleur film muet de la Divine, et la revisite n'a fait que confirmer l'impression initiale, malgré une déception minime au niveau de l'histoire qui, en dépit d'une galerie de personnages plutôt bien écrits, n'en reste pas moins un bon gros mélodrame typique de ces années-là, la légèreté de la première partie n'étant pas aussi bien développée que dans mon souvenir. Ceci dit, ce n'est nullement un empêchement à la réussite interprétative, et je persiste à croire que Garbo n'a jamais été aussi bonne dans un rôle muet, encore que Torrent ou Gösta Berling... Quoi qu'il en soit, dès le début, son caractère insouciant et spontané, gentiment taquin, colle exactement à l'image d'une riche héritière des Années Folles qui n'a d'autres soucis en tête qu'une histoire de cœur, et son célèbre clin d’œil à son frère souligne bien l'humour dont la Divine était capable malgré sa réputation un peu froide. Elle nous permet ainsi de nous attacher directement à Diana, et son portrait cohérent d'une jeune femme un peu frivole impose d'emblée un personnage parfaitement crédible, crédibilité qui ne lui fait par la suite jamais défaut. En effet, à mesure que l'héroïne plonge dans les affres de la douleur amoureuse, de la déception, et des conséquences d'un sacrifice pour sauver une personne qu'elle estime très fort, Garbo ne manque jamais de faire ressortir toute la complexité de ces émotions mêlées, à l'image de ses sourires teintés d'amertume mais aussi d'espoir, de quoi aérer une histoire un peu trop chargée par moment, sans que jamais l'actrice ne nous demande de plaindre son personnage, sur qui le sort s'acharne injustement. En fait, seule la séquence à l'hôpital n'est pas loin de franchir la ligne de la lourdeur, Garbo abandonnant à ce moment-là sa modernité pour mieux se réfugier dans une théâtralité trop manifeste qui la conduit à surjouer l'abattement physique, à grand renfort de mains dans les cheveux. Mais autrement, la reste de la performance fonctionne sans jamais verser dans une quelconque ancienneté, et même cette scène à l'hospice n'est pas mal jouée en face. On appréciera encore l'alchimie de l'actrice avec John Gilbert, auquel il lui suffit d'adresser un sourire pour ranimer la flamme du mythique Flesh and the Devil tout en restant sur des rapports bien plus humains. Et puis Garbo ne s'efface absolument pas devant Hobart Bosworth et Dorothy Sebastian, bien que ces personnages aient le pouvoir de la dominer, sachant que sa complicité sincère avec la seconde, et sa froideur apparente sous laquelle on sent poindre des blessures loin d'être cicatrisées avec le premier, sont des choix de jeu plus que dignes d'éloge.


3. Eleanor Boardman dans
The Crowd

A ce stade, je ne suis pas encore aussi familier avec Eleanor Boardman qu'avec mes autres finalistes, mais c'est aussi que la dame a une filmographie un peu moins conséquente, ce qui ne m'a pas empêché de la classer en assez bonne position dans mon panthéon, précisément en grande partie grâce à La Foule, de loin son sommet interprétatif, et qui reste reconnu pour être l'une des performances muettes ayant le mieux vieilli, l'actrice n'étant jamais autant théâtrale qu'on aurait pu l'attendre dans ce type de rôle. En outre, contrairement à ce qu'ont pu nous servir d'autres personnages féminins de la même époque moins bien écrits, Eleanor Boardman est la preuve qu'on peut très bien jouer à l'épouse aimante et endurante en donnant vie à une héroïne qui a de la personnalité, et qui, sans jamais forcer dans le pathos, cherche toujours à aller de l'avant. L'écriture comme l'interprétation annoncent ainsi une réelle modernité, ce qu'on perçoit très bien dans les quatre actes du films. Dans le premier, tout d'humour et de légèreté, elle est en effet idéale de spontanéité pour donner vie à cette relation amoureuse naissante, de quoi exercer une grande séduction sur le public qui ne peut dès lors que s'attacher à elle grâce à son naturel désarmant. Dans le second, où s'annonce à présent une sorte de lassitude quotidienne propre à tous les couples qui durent, Eleanor n'a encore une fois besoin d'aucun tic pour rester ferme mais compréhensive face à James Murray, hormis lors d'une petite séquence de dispute qui reste malgré tout bien jouée, même dans les codes du muet. En fait, seule la partie réellement dramatique est jouée avec force expressivité, mais ça ne choque nullement pour un film de 1928, et puisque l'héroïne sait comment avancer en dépit du tragique, ça permet à l'actrice de repartir vers bien plus de sobriété, ce qui fait beaucoup de bien et aère totalement le propos. Enfin, le dernier acte, à mi-chemin entre émotions et gravité, est abordé avec un calme serein qui fait ressortir toute la force de larmes savamment dosées, d'où l'impression d'une trajectoire complétée avec un grand talent, durant laquelle on n'aura jamais douté de la cohérence de l'interprétation malgré les divers états d'âme du personnage. A la fin, Eleanor Boardman nous aura brossé un portrait crédible de femme tout à fait normale, et c'est ma foi fort rafraîchissant.


2. Marion Davies dans
The Patsy

A l'époque où j'avais écrit la première version de cet article, je n'avais jamais vu Marion Davies dans autre chose que The Patsy, mais après avoir commencé à étoffer mes connaissances, je réalise à quel point sa réputation de grande actrice comique est amplement justifiée. Je dirai même que la dame est la reine du timing comique, dans la mesure où chacune de ses expressions parvient à relever l'esprit d'une scène, et ce avec un naturel désarmant qui dévoile tout le génie de l'actrice, chez qui on ne décèle jamais la moindre trace d'effort. A vrai dire, son talent de comédienne est visible dès les premières secondes, puisque rien que sa façon de se tenir à table pour manger sa soupe souligne la gaucherie d'une héroïne qu'on doit immédiatement identifier comme le vilain petit canard de la maisonnée, mais sans que Davies ait besoin de faire quoi que ce soit d'apparent pour se glisser dans la peau du personnage: bien sûr, c'est une composition, mais son maintien et ses manières sont tellement bien en phase avec le type de comédie recherchée que l'illusion est totale. En outre, l'actrice ne s'arrête pas là puisque malgré la situation peu enviable de Patricia, constamment humiliée par sa mère et sa sœur, elle ne fait jamais l'erreur de forcer dans l'excès et d'accentuer la maladresse de l'héroïne pour qu'on la plaigne. C'est même tout le contraire! Davies la dote précisément d'une forte dose d'esprit et de fantaisie qui nous attache à elle dès l'ouverture, et c'est justement cette fraîcheur et cette légèreté qui permettent au comique de fonctionner à plein régime. Ça n'empêche évidemment pas l'émotion de poindre malgré tout, et force est de reconnaître que l'actrice est également hors de tout reproche dans ce registre, son rapport à son partenaire masculin restant toujours un peu drôle quoique touchant, preuve d'un subtil équilibre savamment construit. Cependant, le véritable clou du spectacle, et peut-être le plus grand morceau de bravoure de la carrière de Marion Davies, c'est bien entendu cette série d'imitations irrésistiblement hilarante, à mesure qu'elle se met à parodier sans aucune retenue mais de façon constamment crédible Mae Murray, bouche en cœur et dents en avant à l'appui; Lillian Gish, qui prend très cher au passage avec son air de jeune fille fragile effrayée, et Pola Negri, sortie tout droit d'un film d'aventures! Non seulement c'est à se rouler par terre tellement c'est drôle, mais c'est en outre tellement réaliste qu'on se demande parfois si les modèles ne sont pas venus le temps d'un caméo dans le film! Bref: Marion Davies, actrice comique de talent et de génie? C'est oui!


1. Lillian Gish dans
The Wind

Si je n'ai pas forcément été saisi outre mesure par certaines des interprétations précédentes de la légendaire Lillian Gish, la faute à des personnages un peu trop enfantins, ou tout du moins trop purs, dans des films à présent très datés, Le Vent m'a immédiatement fait réaliser à quel point le talent de l'actrice était grand, d'autant que cette superbe production de Victor Sjöström reste le meilleur écrin imaginable pour voir celui-ci s'épanouir. Pour commencer, ce qui frappe dans cette interprétation, c'est que Lillian Gish n'incarne pas une victime obligée de se dessiner un sourire avec les doigts pour affronter le destin: elle agit ici par elle-même et fait constamment preuve de volonté, comme en témoigne sa grande confrontation avec sa cousine peu avenante, qu'elle sait dominer d'un simple regard. Cependant, malgré sa force, Letty n'en reste pas moins toujours un peu apeurée, ici par un vent métaphorique qui la conduira à devenir pleinement adulte, mais cette peur n'est jamais surjouée: certes, c'est très expressif puisque nous sommes dans un film muet où le destin de l'héroïne se lit principalement dans ses yeux, mais tout vient en fait de l'intérieur, sans que jamais l'actrice ait besoin de faire le moindre effort physique pour marquer son ressenti. L'évolution de ce personnage complexe est ainsi fort bien rendue par une série d'expressions très maîtrisées, parmi lesquelles on retiendra son inquiétude grandissante lors du voyage de départ vers des contrées hostiles et inconnues, ou encore sa gêne de jeune fille bien élevée devant les manières un peu rustres d'un Lars Hanson qu'elle ne veut pourtant pas blesser. Son alchimie avec son partenaire est d'ailleurs excellente, et leurs rapports très bien écrits sont d'autant plus magnifiés par les interprètes, en particulier Lillian Gish, qui sait totalement s'affirmer quand quelque chose lui déplaît, bien que le village entier la considère comme une petite chose fragile à protéger. Toutefois, ce sont vraiment les séquences finales qui rendent cette interprétation exceptionnelle, puisque à mesure que les rafales de vent s'amplifient lors de la visite d'un importun qui n'inspire à l'héroïne que dégoût, l'actrice fait le choix très pertinent d'intensifier ses sentiments à travers son regard, là encore sans aucun ornement inapproprié, afin de mieux toucher par des émotions qui viennent entièrement de l'âme. Le plan où elle se retrouve cheveux au vent et revolver en mains, tout en suggérant de la force malgré ses yeux emplis d'effroi reste l'une de ses plus grandes réussites et font absolument comprendre pourquoi la comédienne reste l'une des plus respectées de son temps.


Lillian Gish, félicitée par des bouquets de fleurs après sa victoire.


En résumé, on reste une fois encore sur une sélection hollywoodienne, mais je ne me verrais vraiment pas nommer Falconetti bien qu'elle soit certainement la plus populaire de nos jours. En fait, mon principal problème vient de Joan Crawford: j'ai adoré la découvrir et en écrivant, je réalise à quel point je l'aime dans ce rôle, de telle sorte que je me demande vraiment pourquoi je ne la laisse pas entrer dans le top 5. A vrai dire, son approche de la déception sentimentale est encore plus fraîche que celle de Garbo dans un mélodrame un peu trop daté, et le jeu moderne de l'actrice a finalement bien mieux vieilli que l'expressivité un peu trop prononcée de Gloria Swanson. Dès lors, pourquoi résister? A priori, j'en étais arrivé à ces réflexions en me disant que Crawford étant déjà nommée sept fois en trente ans dans ma liste, il me semblait plus judicieux de laisser la place à Swanson dans un très beau rôle de composition qui m'a sincèrement autant conquis la deuxième fois, sachant que j'ai finalement du mal à nommer cette dernière beaucoup et, Sadie Thompson restant le film où je la préfère, ça m'ennuie vraiment de la laisser pour compte. Mais Crawford me plaît mieux je crois... Après, ne l'ayant vue qu'une fois, je tiens à attendre quelques mois pour avoir un peu plus de recul avant un deuxième essai, mais si celui-là est aussi concluant que le premier, attendez-vous à la voir remonter dans le classement, quitte à se hisser jusque dans le top 3. Bref, pour le moment on dit Boardman, Gish et Davies pour sûr, tandis que les deux dernières places se jouent entre Garbo, Crawford et Swanson, mais impossible de me décider! Sincèrement, une année où Betty Compson n'a aucune chance de prétendre au top pour son meilleur rôle a tout d'une année exceptionnelle, ce qui est bon signe, mais rend le choix plus cornélien à bien des égards. Seule la victoire de Lillian Gish coule de source, étant donné qu'il s'agit de son sommet, que je réussirai à récompenser Swanson, Crawford et Garbo d'autres années, que j'espère sincèrement pouvoir faire quelque chose pour Marion Davies quand j'aurai découvert ses autres rôles muets, et qu'étant un peu moins fan d'Eleanor Boardman, ça ne me dérange pas trop de l'avoir simplement comme "nommée", quoiqu'elle ait encore une chance en 1923, sans que j'y croie vraiment cependant. Bref, 1928 me ravit au plus haut point, et l'important est de voir les films en question.

Pour les autres performances de l'année dignes d'intérêt, je pense à: Renée Adorée dans The Cossacks, qui est réduite au cliché sexiste de la ménagère furieuse qui attend qu'un homme viril vienne la calmer, mais qui a tellement de personnalité qu'elle ne passe nullement inaperçue; Bebe Daniels dans Feel My Pulse, où elle est une fois encore dynamique bien que le film laisse fortement à désirer; Greta Garbo dans The Mysterious Lady, qui m'a un peu déçu cette fois-ci, étant donné qu'elle ne prend pas de risques et que sa séduction est bien trop forcée au départ, malgré de bonnes séquences angoissantes d'inquiétude dans la partie polonaise; Janet Gaynor dans Street Angel, qui réagit enfin devant le coup du sort, sans se contenter de faire la bouche en cœur en attendant qu'on la plaigne (hourra!); et Fay Wray dans The Wedding March, pour son alchimie relativement piquante avec Erich von Stroheim dans une première partie toute de désirs et de séduction. Autrement, certaines sources disent que la version muette de Godless Girl est sortie en 1928, mais comme tous les autres sites référencent les deux versions comme datant de 1929, j'ai toujours considéré Lina Basquette comme éligible à ce moment-là, d'où mon silence à son sujet dans cet article. Enfin, pour la précision, Evelyn Brent est supporting dans The Last Command, contrairement à ce que j'avais pensé la première fois.

Pour rappel, mes sélections oscariennes incluant l'année 1928 ont été mises à jour. Et une fois n'est pas coutume, la scission de l'année en deux saisons, 1927/1928 et 1928/1929, m'arrange absolument, puisque ça me permet de sélectionner mes sept finalistes de l'année pour les deux premières cérémonies!

dimanche 8 novembre 2015

Oscar du second rôle féminin 1956

J'ai tardé à poster cet article, pour tout un tas de raisons que l'on pourra décliner dans cet ordre: 1°, j'ai réalisé avec horreur qu'Anne Baxter n'avait rien à faire dans ma liste, car même si je reconnais que son style outré sied bien à la tonalité des Dix Commandements, ça n'en fait pas une grande performance d'actrice pour autant. D'ailleurs, la reine de la distribution, c'est Nina Foch! 2° Mais alors, comment justifier que j'aime le cabotinage éhonté de Dorothy Malone dans Written on the Wind? 3° Quoi qu'il en soit, je voulais acheter Guerre et Paix pour me rafraîchir la mémoire sur Audrey Hepburn qui m'y avait plu, mais je n'ai finalement pas eu le courage de me relancer dans quatre heures de visionnage d'un film découvert il y a à peine plus d'un an, et de toute façon, arrivant à nommer une actrice aussi limitée qu'Hepburn déjà deux fois, pas question de la citer plus que Vivien Leigh. 4° Mais finalement, qui choisir comme lauréate de l'année, n'arrivant pas à départager mes finalistes, peu enthousiasmantes il faut bien dire? 5° Allons donc! La solution était sous mes yeux depuis le début, mais je n'y avais jamais pensé car personne n'en avait jamais parlé auparavant. Ma gagnante sera donc un choix atypique qui ne figure dans aucune liste, mais pour moi, ça coule de source. Afin de préserver le suspense, et n'ayant pas grand chose à dire sur les recalées de la liste officielle, je vais changer la forme de l'article en listant mes propres candidates dans l'ordre de préférence, de la cinquième place à la victoire. Je précise simplement que nous resterons dans l'immédiat dans une sélection oscarienne, n'ayant pas le temps de me mettre aux films étrangers pour le moment.

Mes candidates

5. Marie Windsor dans The Killing: Je ne suis pas friand de Stanley Kubrick, ni de film noir, et si je reconnais la pertinence de la mise en scène, cette histoire m'ennuie tout de même au plus haut point. Ou plutôt devrais-je dire, cette histoire m'ennuyait au plus haut point... jusqu'à l'entrée en scène de Marie Windsor qui, avec son physique singulier, ses grands yeux expressifs et sa coiffure qui n'a rien à envier à la perruque de Double Indemnity, réussit à donner un incroyable dynamisme à l'ensemble en seulement quelques scènes, le tout avec un charisme incroyable qui lui permet de voler la vedette à tout le monde. Sur ce dernier point, c'est assez facile, me direz-vous: il est vrai qu'elle est affublée d'un partenaire soumis qu'elle n'a aucun mal à dominer de sa présence, mais tout de même, le simple fait qu'elle reste à mes yeux la lumière du film est à mettre à son actif, quoique le personnage soit déjà assez croustillant sur le papier. Il faut dire que le rôle ne s'épargne pas quelques clichés flamboyants: Sherry reste avant tout l'archétype de la femme cupide un peu blasée, que son époux n'intéresse plus depuis belle lurette et qui se tourne tout naturellement vers son amant pour obtenir malhonnêtement la fortune qui la fait mourir d'envie depuis des années. Une si mauvaise femme ne pouvait alors que marquer les esprits, mais il fallait bel et bien que l'actrice ait la dose de gouaille et de charisme requise afin que le personnage fonctionne. Or, Marie Windsor est idéalement distribuée en femme dure, et l'on se réjouira qu'elle ait enfin l'occasion de développer son rôle, sans plus avoir à se contenter de jouer les seconds couteaux peu subtils dans de minuscules caméos, à l'image de sa méchante espionne à clichés des Trois Mousquetaires. Dans tous les cas, elle est explosive et, s'il m'est impossible d'en parler plus en détails afin de ne pas trop révéler l'intrigue, on notera qu'elle bénéficie d'une séquence dramatique plutôt bien jouée, dans la limite des codes d'interprétation hollywoodiens de l'époque.


4. Marisa Pavan dans Diane: Si Marisa Pavan restera davantage dans les mémoires pour sa sœur jumelle (jamais vue) et sa nomination à l'Oscar pour La Rose tatouée un an plus tôt, c'est tout de même dans ce duel d'aristocrates du XVIe siècle qu'elle a le plus brillé, bien que le film, tout en fantasmes toscans et en déterminismes astrologiques, laisse fortement à désirer. Par bonheur, le ratage scénaristique n'empêche nullement l'actrice de tirer son épingle du jeu et, alors que le texte hésite constamment entre l'idée de présenter la reine comme une ingénue amoureuse ou une terrible empoisonneuse, le détail montre que Marisa fait tout son possible pour rester cohérente entre ces deux extrêmes: oui, la reine à ses faiblesses sentimentales mais elle ne perd jamais de vue son propre avenir, et oui, elle peut être très dure et implacable, mais ses sentiments sont toujours palpables au fond. De toute façon, peu importe que le liant n'adhère pas à 100%, car ce que la reine perd en cohérence à cause du scénario, elle le gagne en charisme flamboyant, l'actrice parvenant à voler la vedette à tout le monde, en particulier lors d'une séquence jouissive où elle s'amuse de l'expression inquiète de Diane de Poitiers qui ne sait si la pomme est empoisonnée ou non. Ainsi, à défaut d'être une réussite parfaite, le rôle est au moins extrêmement divertissant, et la dernière séquence montre toute la nuance dont l'actrice est capable, malgré une expression maladroite, un défaut très mineur au demeurant. La seule chose qui manque à la fin, c'est un peu plus de crédit physique: certes, Marisa est d'origine italienne, mais tout de même, Catherine avait quarante ans lors de son veuvage, et les vingt-quatre ans de l'actrice sont trop visibles. Mais ce n'est pas un problème en soi. Après tout, on peut très bien imaginer que pour romancer un peu l'histoire, le deuil ait eu lieu plus tôt: ça ne change en rien l'évolution psychologique de la reine.


3. Dorothy Malone dans Written on the Wind: Autre interprétation flamboyante de 1956 (oui, l'année sera à la flamboyance, mais ce n'est pas comme si on avait l'embarras du choix), Dorothy Malone présente les mêmes qualités que toutes les actrices déjà évoquées plus haut, à savoir qu'elle est tellement charismatique et parfois nocive qu'on ne remarque plus qu'elle, a fortiori dans un mélodrame aussi coloré que Written on the Wind. Sans surprise, donc, le duo qu'elle forme avec son frère, incarné par Robert Stack, ne fait qu'une bouchée du couple Rock Hudson/Lauren Bacall, et à défaut d'être subtile, Dorothy peut au moins se targuer d'être à l'unisson des interprétations américaines typiques des années 1950, toutes très expressives. Là où le bât blesse, c'est qu'elle n'est pas particulièrement bonne dans ses excès: qu'elle danse un mambo effréné ou agite lentement la tête en se remémorant sa jeunesse insouciante au bord du lac, on la voit jouer jusque sur la face cachée de la Lune; lorsqu'elle doit se faire gifler, elle ferme les yeux quarante secondes avant l'impact, et quand elle conduit sur une ligne droite en plein Texas, elle secoue son volant de droite à gauche avec une frénésie telle qu'on se demande comment sa voiture parvient à éviter le millier de puits de pétrole alentour! Mais à la réflexion, ça n'a aucune importance, car pour le coup, ce mauvais jeu exacerbé est tellement en phase avec la tonalité de l'histoire que l'actrice en devient géniale. Un peu comme Anne Baxter, trouverez-vous sans doute. Mais à mon goût, ce qui différencie ces deux interprétations excessives, et permet à Dorothy de rentrer dans ma liste, c'est que la pharaonne est bien trop monstrueuse pour qu'on puisse ressentir quelque chose pour elle. A l'inverse, Malone a beau en faire des tonnes, on se laisse finalement toucher par ce qui lui arrive, même si c'est sans doute dû au traitement beaucoup plus humain des personnages, alors que les Commandements ne présentent que des pantins caricaturaux. En somme, une performance qu'on peut difficilement qualifier de bonne, mais la fusion entre type de jeu et type de film est cette fois-ci parfaite.


2. Helen Hayes dans Anastasia: Par bonheur, pour conjurer le sort qui fit cette année la part belle aux jeunes femmes capricieuses dévorées à pleines dents par des actrices trop désireuses de jouer, voici la légendaire Helen Hayes, armée de toute sa théâtralité pour éblouir en nuance, sans avoir besoin d'en faire trop pour marquer les esprits. D'ailleurs, le fait qu'elle vole très facilement la vedette à Ingrid Bergman n'est pas le fait d'une actrice soucieuse de tirer la couverture à elle, mais bel et bien la faute du scénario qui laisse complètement s'effacer l'héroïne dans la seconde partie, en faveur de sa supposée grand-mère. C'est peut-être cet effet mémorable qui fit croire aux votants qu'il convenait de faire campagne pour Hayes comme premier rôle, ce qui n'a néanmoins aucun sens et a injustement privé la dame d'une nomination plus que méritée. Dans tous les cas, la réussite est au rendez-vous: l'impératrice douairière est d'abord suspicieuse avec tout ce qu'il faut d'amertume et de regret dans le regard pour souligner à quel point l'actrice enrichit le rôle, puis l'on se dirige vers une grande confrontation avec Anastasia où, sans rien perdre de sa superbe, la grand-mère nuance à merveille l'entretien en soulignant qu'elle n'est pas dupe ("Vous êtes une bonne actrice!", avec un léger sourire en coin), avant d'avoir une révélation certes très jouée, mais bien en phase avec le propos. Les séquences finales, où l'impératrice est à présent libérée de ses angoisses, sont quant à elles les plus touchantes du film, notamment lorsque la vieille dame, toujours un brin lyrique, annonce qu'elle "est le passé", qu'il lui est "doux et familier". En définitive, on ne se soucie plus des états d'âme de la princesse alors qu'on a constamment envie d'en savoir plus sur son aïeule, quand bien même celle-ci n'évoluera plus et continuera d'assister secrètement aux ballets russes en attendant la mort. La seule chose qui m'empêche de donner la victoire à l'actrice, c'est que je ne suis pas toujours sensible à son approche parfois trop théâtrale d'un rôle, et que des répliques qu'elle devait illuminer sur scène détonnent parfois un peu devant une caméra.


1. Carroll Baker dans Giant: En somme, Carroll Baker reste ma numéro un provisoire pour cette année, et si je disais à l'instant que la théâtralité d'Helen Hayes m'empêche légèrement d'apprécier ses grands rôles de cinéma, le naturel désarmant de la révélation Carroll Baker, chez qui on ne sent jamais la trace des techniques de l'Actors Studio, me captive nettement plus et me fait à présent totalement fondre pour l'actrice, qui vient de s'insérer sans grand mal dans mon top 40 des actrices du vieil Hollywood. Mais tout cela, c'est très subjectif, car vous m'objecterez sans doute à raison qu'elle n'a pas le rôle plus plus exigeant de l'année, ni même dans son film. Cependant, elle en est pour moi le cœur, et pour avoir revu Giant l'été dernier, je suis à présent certain qu'elle y incarne mon personnage Benedict préféré. Pour commencer, son alchimie avec James Dean fonctionne à plein régime, sans que jamais l'actrice donne l'impression de minauder malgré les illusions de jeune fille de Luz, et je pousserai même le vice à trouver Baker bien meilleure que son légendaire acolyte, qui pour le coup ne me convainc pas dans son vieillissement. Le vieillissement, justement, est sans doute ce qui manque à Luz pour considérer sa trajectoire comme complète, mais comme elle n'est qu'un second rôle, ça ne me pose nullement problème, et il y a déjà tant à admirer dans la deuxième partie que le rôle me semble tout de même riche. Sans mentir, sa déception qui va crescendo lors de la longue séquence à Austin est déchirante sans qu'aucune ficelle ne soit jamais apparente, son air pensif lors du voyage de retour est intense, et tous le dynamisme et l'indépendance que Baker injecte dans le reste du film me rendent totalement épris du personnage, qui sort ainsi très largement des sentiers battus de la "jeune fille à papa pourrie gâtée qui n'en fait qu'à sa tête." Bref, comme je vous le disais, je n'ai jamais vu l'actrice listée quelque part pour ce rôle, mais après revisite, je suis totalement sous l'emprise de son magnétisme et n'ai dès lors aucun scrupule à lui donner la victoire. Et certes, elle a plus à faire la même année dans Baby Doll, mais je suis en fait plus impressionné par sa spontanéité ici, et ce n'est pas parce qu'on ne la voit pas jouer qu'elle ne fait rien. C'est tout le contraire! Son jeu moderne donne l'illusion d'une performance un peu facile, mais c'est que l'actrice sait absolument gommer toute trace de technique pour toucher droit au cœur.

Il semble donc que je ne sois pas du tout d'accord avec le reste du monde en 1956, et lorsqu'on en vient aux grands castings, mes goûts diffèrent très largement de la majorité concernant les most valuable players, Nina Foch dominant à mes yeux Les Dix Commandements, et Carroll Baker parvenant même à éclipser Liz Taylor dans Giant. Et Dieu sait si j'aime Liz Taylor dans Giant! Mais disons qu'une fois les bases posées dans la première partie, la mère n'évolue plus beaucoup ensuite, ce qui permet à ses enfants de la supplanter dans l'ordre de mes préférences. Ceci dit, s'il y avait eu un troisième acte où Dennis Hopper et Carroll Baker auraient vieilli, aurais-je également préféré la nouvelle génération? Je ne saurais dire, mais en l'état, Carroll Baker n'en reste pas moins une boule de charisme et d'émotions nuancées qui à mon goût lui font détrôner tous ses partenaires. Ça reste très personnel ceci dit, et je pense être réellement seul au monde à aller dans ce sens. Mais c'est ce qui correspond à ma personnalité, et le nier ne servirait à rien. Autrement, on s'amusera à noter l'absence totale de diversité dans ma liste: deux reines et deux héritières texanes. Néanmoins, toutes agissent par elles-mêmes et savent être indépendantes, ce qui n'est pas si mal, même si en matière de jeu, Helen Hayes et Carroll Baker se détachent largement, l'une grâce à une vieille recette qui sera finalement toujours plus appréciable que le trop-plein d'expressivité du monde hollywoodien des années 1950, l'autre parce qu'elle fait entrer de plein fouet dans la modernité. Bref, pour le moment, je reste quand même sur Baker, mais, je l'avoue, si d'aventure il me prenait l'envie de la récompenser en premier rôle pour Baby Doll (Hepburn a toujours ma préférence actuellement, ceci dit), je pourrais tout de même changer mon vote pour la légendaire Hayes. A méditer, et nous en reparlerons dans quelques temps.

De toute façon, à qui d'autre donner le prix cette année? Outre mes cinq candidates, celles qui m'ont le plus marqué ne me semblent pas mériter la victoire. Je pense notamment à: Anne Baxter dans Les Dix Commandements, dont je n'arrête pas de parler cette saison à cause de sa performance qui me laisse perplexe, entre surjeu imbuvable et pouvoir de fascination très conséquent; Joan Blondell dans The Opposite Sex, qui fait principalement du Joan Blondell mais sans jamais lasser; Brenda de Banzie dans The Man Who Knew Too Much, qui a une jolie scène rendant son personnage plus sympathique vers la fin; Nina Foch dans The Ten Commandments, à savoir l'anti-Anne Baxter par excellence, dont j'ai chanté les louanges dans un article spécifique; Eileen Heckart dans The Bad Seed, où sa théâtralité puissante ne me touche pas outre mesure bien que ce soit assez impressionnant à voir, sachant que l'actrice est encore très mémorable la même année en bonne copine compatissante dans Bus Stop et Miracle in the Rain; Audrey Hepburn dans War and Peace, dont je garde un joli souvenir; Celeste Holm dans High Society, un second rôle croustillant et plus séduisant encore que Ruth Hussey dans la version d'origine, de quoi rappeler le talent de l'actrice à voler la vedette à tout le monde sans avoir l'air d'y toucher; Jennifer Jones dans The Man in the Gray Flannel Suit, qui m'a plu sans que j'arrive à me décider dans quelle catégorie la classer; Hope Lange dans Bus Stop, qui montre ce qu'elle a dans le ventre sans avoir le temps de briller pour autant; et pour finir les dames costumées dans The Court Jester, les drôles et dynamiques Glynis Johns, Mildred Natwick et Angela Lansbury. J'avais également noté des choses positives sur Vera Miles dans Autumn Leaves, Agnes Moorehead blonde dans The Revolt of Mamie Stover, Kim Novak dans The Eddy Duchin Story et Thelma Ritter dans The Proud and the Profane, mais en définitive, elle ne m'ont pas du tout marqué et j'ai déjà tout oublié d'elles.

Quant aux recalées officielles, je n'ai hélas pas grand chose à dire à leur sujet: Mildred Dunnock est assez oubliable en tante un peu stupide dans Baby Doll, où elle se fait entièrement éclipser dès qu'un des acteurs principaux entre en scène; Mercedes McCambridge constitue à mon goût le moins bon rôle de Giant, à trop forcer dans la dureté tout en se montrant d'une sottise bornée telle qu'on ne peut même pas la plaindre de ce qui lui arrive; et Patty McCormack étant tout de même assez intéressante en petite fille maléfique pas vraiment subtile, sachant que ça reste malgré tout une performance d'enfant, ce à quoi je ne suis à coup sûr presque jamais sensible.

Voilà à peu près tout ce qui m'a plu parmi les seconds rôles féminins de 1956. Je ne liste pas les autres car ils sont à présent trop nombreux, et j'aurais bien trop de mal à départager les actrices qui n'ont pas de grain à moudre de celles qui en font trop ou pas assez pour avoir une chance de se qualifier. Quoi qu'il en soit, tout n'est qu'une question de subjectivité, et j'accepte absolument vos critiques si vous trouvez que Marisa Pavan et Dorothy Malone ne sont pas très bonnes de leur côté, ou que mon enthousiasme pour Carroll Baker dans Géant verse dans la démesure. Je pense que seules Helen Hayes et Marie Windsor sont susceptibles de faire l'unanimité, mais la seconde Luz Benedict portée par la modernité de Carroll Baker correspond le mieux à ma sensibilité.