vendredi 5 août 2016

Bedelia (1946)


Après déjà six films, je ne sais pas trop quoi penser de Margaret Lockwood. Elle est incontestablement une figure sympathique qui fit les beaux jours des mélodrames Gainsborough, d'autant que sa capacité à alterner gentilles et méchantes sied bien au pouvoir de divertissement de sa filmographie. Cependant, elle ne m'a pas encore convaincu qu'elle était une grande actrice, comme pouvaient l'être ses compatriotes exilées à Hollywood dans les années 1940, ou Wendy Hiller pour rester sur les îles britanniques. Bedelia confirme hélas cette impression, sans altérer pour autant son précieux capital sympathie.

Ce film, réalisé par Lance Comfort, n'est précisément pas un mélodrame Gainsborough, mais l'histoire reste très cohérente par rapport aux autres œuvres de Margaret Lockwood sur la période, un an après sa délicieuse diablesse masquée dans The Wicked Lady. Ici, le scénario est différent, car autant la méchante Barbara était connue comme maléfique rien que par le titre, et jouée en conséquence par une actrice adepte du sourire machiavélique, autant la noble Bedelia doit semer le doute dans les esprits: est-elle réellement une empoisonneuse de maris collectionnant les assurances-vie, ou n'est-là qu'une vision du peintre-détective qui enquête sans discrétion dans son entourage? Attention! A partir de maintenant, je suis obligé de révéler le pot aux roses pour détailler mon ressenti.

Le problème de Bedelia, c'est que l'héroïne est effectivement méchante. Mais! Margaret Lockwood ne joue pas assez sur l'ambivalence que recherche le scénario afin de gagner en complexité. Entendons-nous bien: ce n'est pas une mauvaise performance, parce que l'actrice sait parfaitement qu'il faut laisser planer l'incertitude le plus longtemps possible, aussi évite-t-elle tout sourire en coin ou froncement de sourcils pour qu'on ne se doute pas immédiatement des véritables intentions de Bedelia. L'ennui, c'est qu'elle force à l'inverse un peu trop dans l'autre extrême, et fait de Bedelia une mondaine épanouie qui ne renvoie rien de nocif. La seule forme d'agressivité susceptible de rééquilibrer la balance, c'est qu'elle détourne furtivement la tête quand elle surprend le peintre croquer son portrait sur la Riviera, mais ça n'est évidemment pas suffisant pour compenser l'air particulièrement sain qu'elle arbore en permanence. Si, à un moment donné, elle parle mal à ses domestiques, et elle passe tout son temps libre à caresser des chats. Mais est-ce une raison pour en faire une criminelle attendant patiemment son heure? Ces minis accès de méchanceté frisent d'ailleurs la caricature, ce qui est loin d'apporter la complexité requise au portrait brossé. Car comment croire que Bedelia soit capable d'empoisonner un verre de lait* alors qu'elle semble prête à sauver tous les bébés animaux qu'elle rencontre? En outre, Margaret Lockwood surjoue tellement la fausse innocence de l'héroïne, quand celle-ci soupçonne qu'on la démasque, qu'il est absolument impossible d'imaginer un seul instant que son mari soit dupe dans les dialogues en question. Les grimaces sont même rapidement épuisantes quand elle se met à supplier son époux dans la dernière demi-heure. Ce sont ces choses-là qui nourrissent mon intérêt ambigu pour l'actrice: elle est cool, mais elle est loin d'être toujours convaincante dans ses émotions.

Ceci dit, les autres acteurs ne sont pas plus à même de redorer le blason du film. En effet, Barry Barnes est insupportablement prétentieux dans le rôle du peintre déterminé à mener son enquête, et Ian Hunter, si bon dans The Long Voyage Home, est ici coincé dans un rôle de mari béat, bien qu'il reprenne du poil de la bête vers la fin. Ça n'empêche pas le film de divertir, mais il est franchement difficile de ressentir quelque chose pour l'un des personnages. L'autre défaut de Bedelia, c'est aussi son tempo largo: on ne s'ennuie pas, mais il ne se passe pas grand chose dans nombre de séquences. Le second acte est même entièrement consacré à des gens qui marchent dans une grande demeure anglaise, et c'est tout. Par bonheur, les jolis décors sont agréables pour les yeux, entre le domaine sous la neige et les promenades chaleureuses sous le soleil de Monaco; sans compter que la photographie fait parfois preuve d'une réelle inventivité, à l'image de ce plan où le croquis de Bedelia apparaît exactement entre deux personnages qui parlent d'elle dans l'atelier.

Finalement, Bedelia ne perd rien de son quotient sympathie, mais ce n'est pas particulièrement bon. Ç'aurait même été plus divertissant si on en avait fait une comédie! Le sourire trop mignon de Margaret Lockwood alors qu'elle tend un verre de lait à son mari en lui disant: "I made this for you darling, please try to drink it." donne un aperçu de ce qu'un autre registre aurait pu donner! 5/10.

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* Tallulah: Ça veut ne pas se faire empoisonner, et ça boit du lait! Il faudrait savoir, dahlings!

3 commentaires:

  1. JdeGranCanaria9 août 2016 à 10:22

    Bedelia me tente bien, à la fois pour son intrigue et pour Lockwood que je ne connais guère ; je garde un bon souvenir d'elle dans The Lady Vanishes (même si je n'ai d'yeux que pour Michael Redgrave et son foulard à pois !)
    Autrement, où trouves-tu les films qui ne sont pas ou plus commercialisés en DVD, à part sur Youtube ? Je me méfie un peu des sites de téléchargement, en voulant télécharger The Stranger's Return il y a quelques mois mon ordinateur n'a obtenu qu'un virus sans gravité... (D'ailleurs, si tu as un lien pour ce film-là, ce serait avec plaisir !) Te fournis-tu sur des sites de ce type-là ? J'ignore s'il y en a des sûrs, l'expérience m'avait passé l'envie de réessayer...

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    1. Je ne télécharge rien: je ne prendrai pas ce risque, et en tant qu'artiste, je suis contre par principe. J'achète tout ce que je peux en DVD, et pour les films introuvables, des collatéraux américains enregistrent TCM sur DVD. Ça reste dans un cercle familial, et pour des films invisibles en France, on n'a pas vraiment le choix.

      Dans The Lady Vanishes, Margaret Lockwood est divertissante, mais rien de plus. L'impulsion comique du film vient vraiment de Michael Redgrave, effectivement suave avec son foulard à pois. Je l'adore également dans Mourning Becomes Electra, où non content de donner une grande performance, il reste également très séduisant avec dix ans de plus.

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  2. J. London Stanwyck9 août 2016 à 20:44

    J'avoue ne pas être toujours aussi inflexible que toi en la matière, même si je désapprouve le téléchargement. Le DVD reste après tout un bel objet que j'aime ranger dans ma bibliothèque. Quelle chance tu as d'avoir accès aux diffusions de TCM aux Etats-Unis, c'est pratique !
    Je n'ai pas vu Electra, mais ça a l'air pas mal en effet. Je ne connais pas très bien la filmographie du charmant Redgrave, mais je le trouve bien dans The Importance of Being Earnest, et j'adore son caméo dans Mr. Arkadin d'Orson Welles !

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