dimanche 14 août 2016

Notorious (1946)


Notorious a si longtemps échappé à mon radar que j'ai aujourd'hui encore du mal à réaliser qu'Hitchcock a bien fait un film avec Ingrid Bergman et Cary Grant. Pour ne plus avoir à en douter, je me suis enfin décidé à ajouter le DVD à ma collection. Qu'a donné cette nouvelle visite?

Eh bien, Notorious est un bon film d'espionnage, renforcé comme il se doit par une romance élégante entre deux charismes de cinéma. Par moments, il y a bien deux ou trois longueurs quand les amants s'embrassent langoureusement pendant d'interminables secondes, ou quand on fait part de ses inquiétudes à l'autre quand Madame met le couvert, mais à ces quelques instants près, l'ensemble du film est captivant à souhait. L'important, c'est qu'on se soucie vraiment des personnages grâce à leur passion sulfureuse, alors qu'un strict film d'espionnage ne m'aurait pas autant diverti, quoiqu'il soit absolument excitant de voir comment Ingrid Bergman va réussir à soutirer des informations à un nazi caché, quitte à se retrouver prise au piège dans une grande villa. On notera en tout cas que telles Les Plus Belles Années de notre vie, Notorious épousait bien l'actualité immédiate, avec sa traque des nazis ou assimilés en Amérique du Sud. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le scénario de Ben Hecht ne laisse rien au hasard: chaque détail a son importance par la suite, comme cette bouteille de vin oubliée dans un bureau avant que Cary Grant n'aille se consoler avec une cave entière un peu plus tard dans le film. La charge d'érotisme fait également mouche à plus d'une reprise, à l'image du héros humant discrètement le parfum de sa partenaire en lui passant un foulard sur le ventre, ou des visages qui se télescopent en regardant la baie de Rio. A vrai dire, même le choix des lieux, entre beaux quartiers de Floride et littoraux richissimes du Brésil, respirent l'élégance et le divertissement de tous côtés, de quoi mettre dans de très bonnes dispositions dès le départ.

Cerise sur le gâteau: la créativité d'Alfred Hitchcock n'en finit pas de surprendre! On admirera notamment l'image d'un Cary Grant retourné à travers les yeux d'une héroïne encore ivre de la veille, l'usage d'une tasse géante pour éviter le flou, et bien sûr le maintien du suspense avec un assemblage de gros plans quand la pauvre Ingrid se rend compte qu'elle est dans une situation vraiment délicate. La photographie de Ted Tetzlaff se marie bien à ces traits de génie, avec ces beaux contrastes de noir et blanc, ces reflets de la course hippique dans les jumelles, ou la présence dominante de la mère dans chaque coin du cadre où elle intervient. Note au réalisateur: il était possible d'inventer des méchants qui ne soient pas systématiquement dans les jupes de leur mère. Si, si!

Dans ce rôle traditionnel de matriarche hitchcockienne, Leopoldine Konstantin fait son job correctement mais sans génie particulier, ce qui ne manque pas de me faire lever les sourcils devant toutes les listes de prix la citant comme meilleure actrice secondaire de l'année. Honnêtement, elle ne fait rien de spécial, sauf peut-être dans sa toute dernière scène marquée par l'inquiétude, mais elle n'est pas assez charismatique pour composer une antagoniste étouffante digne de ce nom. En outre, elle a la même voix que Maria Ouspenskaya, ce qui la dessert plus qu'autre chose! C'est donc sans difficultés que Claude Rains lui vole la vedette, avec son personnage de traître élégant qui l'impose comme la véritable star du film. Il se montre évidemment suave comme tout méchant qui se respecte, mais il est également terrifiant la moitié du temps, en particulier aux courses où l'on sent effectivement son pouvoir de domination. Malgré tout, Claude Rains arrive à suggérer un certain capital sympathie chez Alexander Sebastian: on le sent sincèrement déçu d'être lui-même trahi, et l'on a presque envie de lui souhaiter un dénouement heureux.

Chez les premiers rôles, Cary Grant est dans son rôle habituel de Cary Grant: d'un charisme foudroyant, d'une suavité sans égale, et le tout avec un soupçon d'inquiétude lorsqu'il réalise à quel point sa partenaire est en danger. A l'inverse, Ingrid Bergman offre quelque chose de neuf dans sa performance, puisqu'elle tente de briser son image de Sainte Mary Benedict en incarnant une fille de traître nazi (!), dépendante de la bouteille (!) et collectionnant les amants (!), tout ça avant de se racheter une fois au Brésil, à travers la mission que lui confie Grant. Malgré le changement de registre, son interprétation fonctionne très bien dans la majeure partie du film: elle a le charme et la distinction requis pour ferrer l'antagoniste, et surtout, elle ne geint pas à mesure que les dangers la menacent! Néanmoins, je vois mal pourquoi le reste du monde se roule par terre pour elle dans ce rôle: d'une part la fin lui échappe totalement puisqu'elle retombe dans le trope de la jeune victime à sauver, et d'autre part... elle livre l'une des plus mauvaises scènes d'alcoolisme de cinéma! Soit elle rit comme une écolière: "Hihihi, I like this song.", soit elle plisse exagérément les yeux, soit elle parle d'une façon mécanique tout sauf convaincante, ne serait-ce que pour dire: "I-don't-like-men-who-groan-on-me." "They-make-me-thick." En outre, elle a parfois la main lourde sur ce tic bergmanien insupportable qui la montre faire des "Ouuuuh!" en bougeant la tête comme une diva. Franchement, elle aurait dû prendre des cours sur Fredric March, cent fois plus crédible dans Les Plus Belles Années. Bref, vous allez me trouver inutilement méchant avec elle parce qu'elle est hors de tout reproche dans une grande partie du film, mais ses défauts me tapent vraiment sur les nerfs, plus que ceux de toutes ses collègues de l'époque réunies. Je n'y peux rien, c'est ainsi.

Conclusion: à l'image du champagne glacé servi en pleine réception brésilienne, Notorious est un bon cru. Mais ce n'est ni Lifeboat, ni Rebecca, ni même Rope malgré sa beauté visuelle fulgurante. La fin est par ailleurs assez bancale: on entre dans un lieu privé comme dans un moulin et ça ne semble poser problème à personne... A ce détail près, Notorious reste un film de grande qualité qui lui vaudra un bon 7/10. Je ne monterai pas à 8 parce que c'est un Hitchcock mineur pour moi: ça pourrait éventuellement rentrer dans un top 10, mais plutôt vers la fin.

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