dimanche 7 août 2016

The Great Man's Lady (1942)


Je viens enfin de voir The Great Man's Lady, un film de William Wellman qui m'attendait depuis des années, pour voir ce que donnait Barbara Stanwyck maquillée en centenaire. Comme Barbara est la plus grande actrice du monde, sa filmographie passe en priorité sur ma rétrospective 1946, d'où cet article aujourd'hui. En outre, j'ai aimé le film, d'où l'envie de donner mes impressions.

Comme l'indique son titre, The Great Man's Lady reprend l'adage selon lequel "derrière chaque grand homme se cache une grande femme". Nous suivons donc l'histoire d'Hannah Sempler, qui contemplant la société actuelle du haut d'un siècle, conte sa vie à la biographe de son mari, Ethan Hoyt, fondateur d'Hoyt City, depuis leur idylle spontanée dans une grande maison de Philadelphie à une série d'aventures plus ou moins tragiques au Far West, en tant que pionniers. Je déteste l'adage en question, qui tend à reléguer les femmes dans l'ombre, a fortiori dans ce film où le pauvre Ethan semble incapable de garder un cochon dans un enclos si Hannah ne vient pas remettre les choses en ordre. Par bonheur, l'histoire justifie assez finement le proverbe, quand la vieille Hannah démontre à la biographe qu'Ethan a bien fondé la ville par lui-même, quoique sa détermination fût nourrie par Hannah durant toute leur jeunesse. Ça n'enlève rien au sexisme du propos, surtout au regard des sacrifices qu'on demande à Hannah, dont accepter d'être légalement morte tout de même (!!!); mais la conclusion de la biographe, souhaitant que la statue soit dédiée à son interlocutrice plutôt qu'à son époux, rééquilibre un peu la balance.

Dans tous les cas, même si le reste du monde n'a pas conscience du rôle d'Hannah dans la fondation de la ville, ça n'enlève rien à son courage face à tous les événements qui l'ont affectée. Le point de mire féminin du scénario donne par-là même l'occasion à Barbara Stanwyck de livrer une prestation exceptionnelle (encore!). Tout d'abord, elle est parfaite dans les flashbacks qui constituent le cœur du film, à commencer par la jeune fille espiègle, irrésistiblement hilarante quand elle glisse sur une rampe d'escalier pour s'échapper de sa chambre, et non moins drôle lorsqu'elle hurle de rire devant le jeu du mouchoir de poche en pleine conversation masculine. La pionnière est quant à elle énergique à souhait, se chargeant de ramener du gibier et de tenir en joue ceux qui tentent de rouler son mari, sans compter que Barbara nuance le sérieux de certaines situations en ajoutant une extraordinaire drôlerie au tout, quand elle se fait passer pour une inculte incapable de se tenir correctement pour faire fuir la famille guindée qui veut leur spolier leurs terres! Plus tard, alors que la suspicion s'installe chez le couple, l'actrice trouve le moyen d'être touchante même en ombre chinoise, et comme le laisse entrevoir cette séquence, les drames qui vont la frapper encore plus violemment après sont joués avec une grande retenue qui touche d'autant plus. Ainsi, pas de grande scène de larmes ou de douleur à hurler, juste un regard calme mais dévastateur qui revient hanter l'héroïne à divers moments de sa vie. Mais Barbara ne s'arrête pas là, puisqu'elle est encore éblouissante malgré son maquillage. A chaque fois qu'un acteur devient méconnaissable, j'ai toujours peur que le postiche me bloque, mais la star est si talentueuse qu'elle prend bien soin de donner vie à la frêle Hannah sous ses rides. Ainsi, elle ne se force pas à imiter une voix âgée ridicule: elle garde la voix qu'on lui connaît dans les films de cette époque en ajoutant juste ce qu'il faut de maturité. De même, les tics de vieille dame sont exprimés avec naturel afin de ne pas forcer le trait, et tout fait mouche.

Dommage que ses partenaires ne soient pas tout à fait à la hauteur. Joel McCrea bénéficie pourtant d'un bon début en aventurier charmeur dont l'odeur de bison ne laisse pas la jeune Hannah insensible, mais dès que les deux sont unis, le mari s'efface complètement. Difficile, dès lors, de croire qu'Ethan avait vraiment l'ambition de créer une ville ex nihilo (c'est d'ailleurs Hannah qui voit les choses en grand) alors qu'il n'est même pas capable de garder ses cochons face à un charlatan! Je suis également un peu déçu par Brian Donlevy, dont le personnage de filou au grand cœur avait tout pour plaire, mais le scénario le relègue trop vite au second plan pour permettre à l'acteur de l'enrichir. Son histoire m'a tout de même tiré une petite larme, tant il est évident que Steely Edwards est amoureux sans retour, et l'on apprécie la manière touchante qu'il emploie pour donner des nouvelles à Hannah bien que le reste du monde la croie morte.

Autrement, on ne peut pas dire que The Great Man's Lady soit un grand film, l'emploi d'une musique guillerette sur certains passages tragiques passe notamment très mal, mais ça reste plus que correct, avec plein de choses à admirer. J'aime entre autres les peintures de paysages du Far West, qui se détachent parfois à l'arrière-plan de branchages assez jolis, j'aime également la superposition des gratte-ciel sur la vallée, non sans rappeler le finale de San Francisco renaissant de ses vestiges en 1936; et j'apprécie encore la cohérence des plans sur le contrat de mariage en diverses époques de la vie d'Hannah, de même que certains effets de surprise, telle l'ouverture sur une charmante véranda rurale, alors que les alentours ne s'avèrent pas franchement calmes à mesure que la caméra recule. Finalement, The Great Man's Lady ne possède pas la beauté photographique de certains films de pionniers comme The Big Trail, mais l'intrigue me captive nettement plus, et l'on appréciera toujours de voir un environnement traditionnellement masculin par le prisme d'une héroïne. La superbe prestation de Barbara Stanwyck suffit d'ailleurs à estomper la misogynie latente de l'adage de départ, de quoi valoir au film un honorable 7/10.

2 commentaires:

  1. Ah ! Je me doutais qu'il te plairait celui-là !
    Je l'ai vu il y a environ un an, ça commence à faire loin. D'après mes souvenirs, c'était un bon petit film, sans prétention, pas formidablement réalisé mais bénéficiant d'une excellente Barbara Stanwyck. Elle y est très charismatique et assez épatante en dame de cent ans !

    Pour le coup, j'y vois plus une dénonciation de la misogynie de l'époque, puisque le "héros" est clairement le personnage féminin et Joel McCrea est plutôt ridicule (je l'apprécie rarement, sauf dans Sullivan's Travels, où il m'a pris par surprise en m’épatant !), mais mon regard est peut-être trop actuel.

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    1. Pour la dénonciation de la misogynie, c'est ambivalent. On a d'un côté la journaliste clamant haut et fort qu'Hannah aurait dû chevaucher la statue, et de l'autre Hannah rappelant que c'est bel et bien son mari qui a donné l'impulsion concrète à la fondation de la ville, à une époque où elle n'était plus à ses côtés. A un moment, la journaliste accepte effectivement l'idée qu'Ethan mérite sa statue, mais tout de même, ses actions ne sont jamais montrées puisqu'on suit uniquement le parcours d'Hannah au moment où s'érige Hoyt City. Pourtant, il faut que le personnage féminin soit considéré comme mort pour que son partenaire masculin puisse aller de l'avant. C'est particulier.

      Je n'aime pas non plus Joel McCrea mais j'ai peu de souvenirs de Sullivan's Travels. Encore un film à revoir.

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