jeudi 4 août 2016

To Each His Own (1946)


Je viens de retrouver cette rareté de Mitchell Leisen en ligne, alors autant dire que j'ai sauté sur l'occasion, tant j'avais besoin de me rafraîchir la mémoire à son sujet. Après tout, c'est le film qui valut à Olivia de Havilland son premier oscar, choix plutôt cohérent compte tenu de la compétition qu'elle avait en face. Hélas, même si l'actrice reste ma numéro 1 parmi les cinq, je suis bien moins enthousiaste à présent: je gardais le souvenir d'un film bien fait mais daté, mais force est de reconnaître que je me suis profondément ennuyé.

C'est essentiellement la faute de la première partie. Déjà, le film dure deux heures, ce qui est un peu trop pour une histoire aussi peu épique. Surtout, l'intrigue ne démarre véritablement à mes yeux qu'à partir du moment où Jody commence à se battre pour garder son fils (après avoir été mise enceinte par un pilote tué à la guerre, elle a déposé son enfant devant un foyer plein à craquer, dans l'espoir que la famille trop nombreuse lui propose de l'adopter sans que nul ne puisse soupçonner sa "faute"). Dès lors, autant les péripéties montrant Jody faire preuve de charisme pour mieux s'enrichir et reconquérir ses droits de mère parviennent à piquer l'intérêt, autant la première partie à l'ancienne, entre romance dans les airs et faute à la Madelon Claudet, m'endort littéralement. L'histoire a vraiment dix ans de retard et en 1946, on était passé à autre chose, bien qu'on louera la relative modernité du scénario de Charles Brackett et Jacques Théry, puisque le texte ne juge pas trop lourdement son héroïne. En effet, même si Jody paye pour son "péché", à mesure que la famille adoptive lui met des bâtons dans les roues, elle n'en agit pas moins librement et n'a aucune honte à avouer à ses futurs partenaires qu'elle a eu un fils hors mariage. Le point de vue est donc largement plus intéressant que celui d'une Madame X rachetant son méfait jusqu'à la déchéance ultime. Mais... To Each His Own n'en reste pas moins suranné. Pourtant, j'aime le cinéma de Mitchell Leisen (Midnight! Hold Back the Dawn!), mais son savoir-faire n'est pas suffisant ici pour me tenir éveillé. 

On remarquera tout de même que l'œuvre est élégante. Bien qu'il n'y ait aucune image vraiment mémorable, hormis peut-être le dialogue faussement aérien, les décors sont bien photographiés, entre la gare londonienne en temps de guerre, la boutique au mille flacons ou les appartements luxueux témoignant d'une revanche sur la vie. Le plus frappant néanmoins, ce que le film est tout entier bâti autour de son actrice principale: Olivia de Havilland est de toutes les scènes, dont la moitié sont des gros plans. C'est dire si l'essentiel pour le réalisateur était de mettre en lumière chaque mouvement du visage de l'interprète.

Un tel choix est somme toute cohérent: Jody Norris fait le film à elle seule, en vieillissant pendant l'entre-deux guerres et apprenant au passage à s'affermir, si bien qu'une telle évolution se devait d'être parfaitement lisible sur les traits de l'actrice. Je ne suis toutefois plus autant convaincu que jadis. Parmi les points positifs, j'aime beaucoup sa manière de jouer l’endurcissement de l'héroïne: elle montre que la jeune fille pouvait déjà être impulsive, par son dynamisme avec le pilote ou sa façon de vouloir prendre en main son destin dans un dialogue avec son père, de telle sorte qu'il est logique de la voir ensuite prête à tout pour obtenir gain de cause. Sa manière de tenir tête à la famille adoptive, une fois qu'elle réalise que son ancienne amie ne lui rendra pas son fils, est notamment impressionnante; sa détermination à s'enrichir par une invention en cosmétique reste crédible compte tenu de la vivacité entrevue chez celle qui n'était au départ qu'une frêle vendeuse dans la boutique paternelle; et sa deuxième tentative pour récupérer son enfant la révèle proprement menaçante, avec une dureté jamais appuyée dans le regard, tandis qu'elle s'adonne sans scrupules à un chantage financier. A l'inverse, j'aime également les moments où Olivia révèle la tendresse profonde de Jody, à l'image de la transition vers le flashback, où son visage aigri s'adoucit tout à coup, ou à l'image de ses expressions compréhensives malgré la déception, quand elle réalise que la famille adoptive manque trop à son fils qui s'y est attaché.

En revanche, je suis moins friand de sa tendance à l'exagération dans les scènes les moins importantes. Par exemple, l'entrée en scène est un peu trop rude avec sa voix trop forcée dans la sécheresse: "Put that light down!", son visage constamment serré et la hauteur qu'elle emploie dès qu'elle doit répondre à un tiers: "We are all rude nowadays, it's all right." Certes, il faut que Jody soit désenchantée à ce moment là, mais l'actrice appuie un peu trop sa composition pour être vraiment crédible. Dès lors, même ce qui devrait prêter à sourire tombe à plat tant elle se force à être désagréable: "To whom are you talking to?" "To-my-self!" Par la suite, quand arrive la partie insouciante, elle force à l'inverse un peu trop dans la spontanéité: "Oh! Papa!" "You caaaan't!" "Don't you love to fly?" Toutes ces répliques sont énoncées d'une voix un peu trop sirupeuse, gestes ampoulés des mains à l'appui. A vrai dire, quand elle s'agite devant la mère adoptive lors de la première tentative, elle se croit obligée de changer de main à chaque phrase pour esquisser un geste, ce qui tue tout espoir de naturel dans l'expression des pleurs ou de l'inquiétude. C'est dommage, car autant la ligne générale est parfaitement maîtrisée, Olivia réussissant à connecter la fraîcheur de la jeunesse aux désillusions de la maturité en soulignant le bon degré de détermination et de tendresse dans les âges concernés, autant les scènes qui ne demandaient pas tant d'efforts sont trop stylisées.

Quoi qu'il en soit, il y a quand même plein de bonnes choses à dire sur To Each His Own: Olivia de Havilland porte le film sur ses épaules malgré une performance imparfaite, la mise en scène de Mitchell Leisen fait preuve de logique et d'élégance, le maquillage est également réussi, et la seconde partie de l'histoire gagne en épaisseur. Dommage que la première heure d'un autre temps soit assez pénible. Parce que le positif l'emporte, je reste sur un 6/10 très correct. Mais ce n'est pas un film qui me tentera pour une revisite avant au moins dix ans.

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