dimanche 4 septembre 2016

Le Rouge et le Noir (1954)


Dans ma rétrospective Danielle Darrieux, c'est l'heure du Rouge et du Noir, un film de Claude Autant-Lara où le célèbre héros de Stendhal est incarné par l'inévitable Gérard Philipe, qui avait déjà touché à La Chartreuse de Parme six ans plus tôt. Cette adaptation a surtout la particularité d'avoir servi de repoussoir aux tenants de la Nouvelle Vague, qui n'aimaient rien tant que rejeter l'académisme pompeux des films de prestige français des années 1950. N'étant pas friand de ce nouveau cinéma, j'ai tendance à ne pas faire grand cas de ce genre de critiques (par exemple, j'aime beaucoup La Princesse de Clèves de Jean Delannoy, relique impie s'il en est), mais force est de reconnaître que celles-ci tombent juste à propos de cette œuvre en rouge et noir, l'une des plus ennuyeuses qu'il m'a été donné de voir récemment.

En effet, le film dure 3 heures et 6 minutes, mais tout est sclérosé à l'intérieur, sans aucun espoir de mouvement. Or, l'histoire elle-même se déroule dans des intérieurs sans vie où il ne se passe que deux choses: la tentative de séduction de Julien Sorel sur son employeuse Madame de Rênal et... la tentative de séduction de Julien Sorel sur son employeuse Mathilde de La Môle, une fois qu'il a changé de poste. Le seul moment où le héros décide de ne pas séduire la patronne, c'est lorsqu'il passe quelques mois au séminaire, où les seules personnes en robe sont des abbés... Malheureusement, Stendhal pourrait être le plus grand écrivain du monde que ça n'y changerait rien: je suis incapable de m'intéresser à ces histoires de blancs-becs qui tombent fous amoureux de la première femme élégante venue, chose qui aurait pu être améliorée par le film en présentant un héros plus charismatique. Hélas, tous les personnages sont atones sous la direction de Claude Autant-Lara: Julien est fade, Louise de Rênal est d'abord insipide puis inutilement hystérique dans ses remords, et Mathilde est pour sa part complètement quelconque. Le réalisateur a surtout le défaut de faire durer ses scènes en longueur, au point qu'il est impossible de rester éveillé même si l'on regarde le film en matinée. Par exemple, les allers-retours de Louise jusqu'à une porte qu'elle n'ose ouvrir auraient dû être poignants, mais à la place, la séquence est d'une platitude sans bornes qui s'éternise. La scène finale dans la prison semble elle aussi ne jamais vouloir finir, ce qui nous fait trépigner d'impatience tant on a envie de passer à autre chose après trois heures de film.

Bien sûr, certains moments parviennent dieu merci à susciter l'intérêt de temps en temps, mais le tempo général est si largo que c'est épuisant. Même la séquence des mains sous la table, sous les yeux d'un mari qui ne voit rien, manque cruellement de dynamisme: Julien doit bien mettre dix minutes avant de se décider, et ce alors que seules les répliques du mari sur une politique locale dont on se contrefiche sont là pour donner un peu de piquant au tout. Pire: en ayant absolument tenu à inscrire chaque séquence dans son origine littéraire, Claude Autant-Lara a commis deux impairs impardonnables. Le premier, c'est que chaque séquence est introduite par une formule résumant les événements à venir, telle "l'âpre vérité" de Danton qui est cependant citée plus tard que dans le livre, mais aussitôt après, les pages se tournent et laissent apparaître des paragraphes seulement deux secondes avant de dériver sur l'action, alors qu'il aurait été nettement plus beau et percutant de faire déboucher les citations directement sur l'image. Ces bouts de pages qui ne s'assument pas cassent considérablement un rythme déjà très lent... Le deuxième écueil, c'est que le réalisateur a collé une insupportable voix off par laquelle le héros explique au spectateur chacun de ses actes, ce qui est étouffant, voire atrocement scolaire. Comme si l'on avait vraiment besoin de l'entendre dire pendant dix minutes: "Dois-je prendre cette main? Oui... Non... Peut-être... Quand la pendule aura sonné...", alors que de telles hésitations auraient pu être parfaitement lisibles sur le seul visage de l'acteur. Après tout, nous sommes au cinéma bon sang! L'image doit parler d'elle-même, alors autant dire que cette voix qui décortique tout de A à Z nuit gravement à la vitalité des scènes les plus importantes.

Ce qui est également gênant, c'est l'absence totale d'alchimie entre Danielle Darrieux et Gérard Philipe. Celui-ci est un acteur qui me laisse complètement froid et par malheur, il incarne un héros qui m'agaçait déjà sur le papier. Mais même en admettant que Julien Sorel m'ait plu, l'acteur n'en fait rien de spécial: il reste le regard fixe pendant la scène des mains, se reposant sur la voix off au lieu d'exprimer l'émotion narrée; contrairement à sa partenaire, il n'a pas l'air inquiet lorsque le mari frappe à la porte; il tire sur la femme qu'il a aimée sans qu'aucune émotion ne s'imprime sur son visage, pas même le dépit; et il se fait complètement éclipser par tous les autres acteurs masculins de la distribution, dont Jean Mercure et Jean Martinelli en aristocrates hautains, le gros abbé qui le rappelle constamment à l'ordre, et le beau gosse qu'il vient provoquer en duel mais devant qui il s'écrase entièrement à peine la porte poussée. Pour le reste, il se contente d'embrasser langoureusement les deux héroïnes, mais ça ne va pas plus loin. Danielle Darrieux est quant à elle plus expressive, car elle tente de marquer le désarroi de cette femme terne qui s'abandonne à la passion, mais c'est hélas trop mécanique: quand elle baise les pieds de son amant, on dirait qu'elle le fait sans conviction; quand elle s'étonne de voir son époux sortir une lettre de sa poche, elle a l'air trop ahuri; et comme le metteur en scène lui demande de regarder au plafond lors d'une dernière étreinte passionnée, la scène tombe évidemment à plat... Dans le second acte, elle est trop hystérique: ses larmes devant le confesseur n'émeuvent nullement, de même que sa crise de nerfs dans la voiture, dans l'attente du verdict. Par contre, on appréciera le plaisir manifeste qu'elle ressent à se faire tirer dessus: entre son sourire au bord de l'orgasme et la mise en espace d'une telle séquence, avec ce plan fixe sur son visage impassible alors que les autres dames font pénitence derrière elle, cette scène constitue un moment original et dynamique dont le film avait cruellement besoin.

Dans le rôle de Mathilde, Antonella Lualdi est assez oubliable, incarnant l'archétype de la jeune fille romantique vivace et passionnée, capable de se couper les cheveux en signe de fidélité, mais ce sans aucun génie. Et alors qu'Anna Maria Sandri laissait présager de bien belles choses par son entrée en scène charismatique dans le rôle de la bonne complice, la voir finalement disparaître sans laisser de traces après quelques pleurnicheries est assez décevant. Quoi qu'il en soit, aucun de ces interprètes n'arrive à faire sortir le rythme de sa torpeur, ce qui est bien dommage, car on s'ennuie tellement qu'on ne profite même pas de la beauté des costumes et décors. Les jolies images de bals, de messes ou de défilés militaires ne suffisent hélas pas à justifier l'existence de ce film, pas plus que les cadrages ingénieux de Michel Kelber, entre ce jeu sur les armes des La Môle dans les escaliers, et les cascades de bougies dans les églises. De son côté, la musique de René Cloërec présente un joli thème romantique fort appréciable, mais la partition n'est pas des plus inspirées pour autant, malgré ces accords amoureux qui donnent un peu de substance aux interminables allers-retours du premier étage de la maison Rênal.

Moralité: adapter Stendhal au cinéma, c'est bien. Avec du mouvement, c'est mieux! Un 5- est déjà assez généreux compte tenu de l'ennui massif qui dure trois heures de trop.

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