lundi 10 avril 2017

Three on a Match (1932)



Pour mon anniversaire, j'ai fini par commander l'essentiel de la collection "Forbidden Hollywood", un lot de films essentiels car rares, voire introuvables, et bien restaurés, même si l'on regrettera l'absence totale de bonus. C'est dans ces conditions que j'ai enfin pu découvrir Three on a Match, un film de Mervyn LeRoy qui me faisait très envie depuis toujours étant donné son casting de rêve. Et quel rêve: les trois starlettes les plus prometteuses de la Warner du début des années 1930 s'y donnent la réplique: Joan Blondell, Ann Dvorak et... Bette Davis, à une époque où personne n'aurait misé un kopeck sur elle, et surtout pas le réalisateur qui la détestait (!), d'où son rôle franchement en retrait ici.

L'histoire: trois amies d'enfance se retrouvent dix ans après leur diplôme pour mieux comparer leurs destinées. La turbulente Mary (Joan Blondell), sortant tout juste de maison de correction, tente à présent de devenir actrice. La pimbêche Vivian (Ann Dvorak) a quant à elle connu le destin tout tracé des grandes dames de son temps entre pensionnat huppé en Europe et mariage avec un avocat fortuné, mais comme toute personne qui a tout eu trop vite sur un plateau, la voilà désormais prise dans les griffes de l'ennui. En définitive, seule la sage Ruth (Bette Davis), semble rester fidèle à ses convictions en devenant l'employée modèle acharnée prête à tout pour gagner sa vie. Alors que les trois amies brûlent leurs cigarettes d'une même allumette, les encarts publicitaires rappellent que la troisième personne à utiliser le combustible est promise à un sort funeste...

Three on a Match vaut surtout pour l'originalité de sa conception, à travers la symbolique du temps qui passe. En effet, Mervyn LeRoy parvient à dérouler son histoire sur une douzaine d'années en insérant des images d'archives, allant de la frénésie des Années Folles aux heures sombres de la Grande Dépression (qui feront dire aux pensionnaires de la maison de correction qu'elles sont contentes de n'avoir pas à faire la queue pour un bol de soupe), en passant par la Prohibition. Les trois héroïnes grandissent vite, le temps tourne comme les enfants autour du mât dans la cour de récréation, et ce à mesure que les nouvelles techniques se bousculent dans une société de plus en plus survoltée. Ce dynamisme permet à l'histoire de ne jamais s'essouffler (il faut dire que ça ne dure qu'une heure, ceci dit), et l'on notera encore la grande proximité du scénario avec l'actualité du moment, avec un dernier acte centré sur l'enlèvement de l'enfant de l'une des trois amies, directement inspiré par l'affaire Lindbergh (qui donnera aussi naissance au Crime de l'Orient-Express, entre autres). Entre alcool et kidnapping, pas étonnant, dès lors, que l'intrigue dérive de plus en plus vers la plus pure tradition de films de gangsters, marque de fabrique originelle de la Warner.

C'est pourtant la plus grosse faiblesse du film, car autant les quarante premières minutes sur ces destins de femmes croisés sont passionnantes, autant les vingt dernières rompent trop brutalement le ton, devenant par-là même inutilement masculines, avec une ribambelle de méchants virils aussi expressifs que George Raft qu'on avait jamais entrevus auparavant, d'où un certain ennui palpable vers la fin; sans compter qu'on ne peut s'empêcher de comparer la situation d'Ann Dvorak, cloîtrée dans un appartement entre policiers qui l'attendent dehors et gangsters qui la séquestrent derrière la porte, à ses mésaventures du bien plus angoissant Scarface de la même année. On relèvera également le déséquilibre de l'histoire, puisque personne ne semble s'intéresser à Ruth, dont on sait simplement qu'elle travaille comme dactylo, puis comme gouvernante, sans jamais rien connaître de ses désirs, et ce alors qu'elle reste la subalterne de ses deux amies, qui s'élèvent chacune à leur tour dans la société bien qu'elle-même ne puisse aspirer qu'à être contente d'être leur employée. Je suppose que l'antipathie de Mervyn LeRoy envers Bette Davis n'a pas aidé à améliorer le personnage, mais c'est évidemment assez frustrant de vanter les mérites d'un film centré sur trois personnes quand seulement deux d'entre elles sont développées. Le fait que personne n'ait songé à montrer Ruth une dernière fois après l'enlèvement de l'enfant qu'elle avait à charge va encore en ce sens.

En revanche, on admirera la tonalité incontestablement Pré Code de l'histoire. D'entrée de jeu, la peu farouche Mary, encore enfant, n'a pas peur de montrer sa culotte aux garçons de l'école (d'ailleurs, les classes sont mixtes, et tant mieux), ce qui attise la jalousie de Vivian qui dit elle-même porter des sous-vêtements de couleurs plus attrayantes pour mieux attiser le désir de son camarade en train de baver devant le spectacle offert par Mary. Pas étonnant qu'on retrouve ensuite la tapageuse héroïne en train de fumer des cigarettes dans les recoins secrets de l'école, avant qu'elle ne soit envoyée en maison de correction. De son côté, la brillante mais aigrie Vivian court dans sa chambre à moitié dénudée (de dos, mais c'est très suggestif vu qu'elle dégrafe sa robe sous nos yeux), afin de passer sa chemise de nuit au plus vite pour faire croire à son mari qu'elle dort, histoire d'éviter qu'il ne vienne l'honorer de sa réserve ennuyeuse. Quant à Ruth, elle n'a pas peur de s'offrir à la caméra en nuisette ou en maillot de bain, révélant par-là même une bien jolie paire de jambes qui dément les accusations de manque d'attraits dont fut victime Bette Davis tout au long de sa carrière. On remarquera d'ailleurs que la mode rétrécit tout au long du film: les affiches de haute couture de 1919 montrent des femmes vêtues de la tête aux mollets (15 cm au-dessus du sol si vous voulez être à la page!), avant qu'on ne parvienne à une première ébauche de bikini au début des années 1930. Mais bien entendu, là où le film trouve sa dimension la plus sulfureuse, c'est sur son terrain "gangster", qui verra une femme du beau monde abandonner mari et enfant pour mieux boire, se droguer et se prostituer dans des bouges infâmes, avant de finir par mendier son pain sur les grandes avenues.

Le personnage de Vivian n'est pas un avatar féministe: elle pèche et paie sa faute au centuple, mais c'était l'occasion pour Ann Dvorak d'hériter d'un grand rôle en brossant une évolution drastique. Malheureusement, je ne suis pas convaincu par ce portrait dont j'attendais beaucoup. En effet, l'actrice ne permet jamais de comprendre pourquoi Vivian, si snob, parvient à jeter son confort aux orties pour la simple raison qu'elle s'ennuie, de telle sorte que l'héroïne apparaît comme antipathique de bout en bout. On n'arrive jamais à la plaindre tant ses regards allumeurs la montrent éminemment vulgaire (alors qu'elle faisait la morale à Mary depuis le départ!), et le jeu hystérique de l'actrice dans le dernier acte n'aide pas vraiment à la prendre en pitié. Les deux autres amies sont loin de faire avancer le féminisme elles aussi, entre l'énigmatique Ruth toujours contente d'être subalterne, et l'effrontée Mary qui rentre dans le droit chemin en épousant le riche avocat divorcé de Vivian, afin de boucler la boucle tel que le souhaitaient sa mère et ses professeurs, qui décelaient en elle un bon fond malgré sa jeunesse provocante. Malgré tout, Mary donne l'occasion à Joan Blondell d'apparaître comme la lumière du film: elle est constamment sympathique, sait rire d'elle-même, n'hésite pas à se moquer de la méchante gardienne de maison de correction en se faisant passer pour une lady, tente de ne pas juger la décadence de Vivian, et reste constamment sincère lorsqu'elle s'inquiète pour le fils de son amie. J'avoue avoir été un peu réticent à explorer la filmographie de Joan Blondell, dont les photos affriolantes comme celle-ci, imprimée précisément pour ce film, me faisaient craindre de croiser une comédienne vulgaire, mais par bonheur, mon angoisse s'est totalement effondrée: il s'agit d'une actrice de talent, avec quelque chose d'assez terrien idéal pour incarner tout un lot de personnages gouailleurs volant facilement la vedette à tout le monde dans un casting, et ses performances dans Gold Diggers of 1933, A Tree Grows in Brooklyn, The Blue Veil ou Opening Night confirment également tout le bien qu'il faut penser d'elle.

En définitive, Three on a Match reste une belle découverte. L'ensemble n'est pas exempt de défauts, en particulier un dernier acte sans grand intérêt et une performance centrale pas aussi grandiose qu'annoncée, mais l'originalité du découpage et le plaisir de voir trois actrices en devenir se donner la réplique sont autant de qualités qui me font pencher vers un petit mais plaisant 7/10.

3 commentaires:

  1. Je partage ton avis : un bon petit film bien sympathique, non sans quelques défauts. J'aime beaucoup Joan Blondell, une actrice pleine de vivacité. Sa période pré-code réserve de bonnes surprises, sans que les films soient "fabuleux" : Gold Diggers of 1933 (je ne me lasse pas de son expression dans le "finale"), Blonde Crazy (belle alchimie avec Cagney), Three on a Match, évidemment, Blondie Johnson (un rôle "à la Bondell", mais avec une facette manipulatrice et dominatrice en plus!), et même, plus tard, son second rôle dans l'excellent Nightmare Alley.

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    1. J'ai oublié de mentionner sa participation à Nightmare Alley! Autrement, je note pour les deux Blondes, Crazy et Johnson, même si de mon côté, le prochain sur la liste est Night Nurse.

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    2. Aha ! Night Nurse, qui a l'avantage certain de voir figurer une jeune Barbara Stanwyck pétillante comme on l'aime...

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