lundi 25 septembre 2017

Words and Music (1948)



Words and Music n'est pas un film de 1946, mais comme je profite également de ces moments de temps libre pour en finir enfin avec les disques qui attendent sur mes étagères depuis plusieurs années, c'est aussi l'occasion de coucher mes impressions à chaud sur des films vers lesquels je ne reviendrai pas nécessairement avant longtemps. J'ai pourtant pris plaisir devant cette superproduction MGM orchestrée par Norman Taurog, et qui n'est autre qu'un biopic romancé du duo de compositeurs bien connus Richard Rodgers et Lorenz Hart. Comme souvent pour des œuvres de ce genre, l'histoire tient sur un ticket de métro, mais ce n'est pas l'essentiel: on est surtout là pour découvrir des numéros musicaux impressionnants dans de jolis décors chamarrés, le tout porté par la fine fleur des stars musicales du fameux studio, de Mickey Rooney à Judy Garland, en passant par Lena Horne et Gene Kelly!

Maline, la MGM prend d'ailleurs soin de mettre l'eau à la bouche en ne faisant intervenir ces grandes stars que dans la deuxième heure, à l'exception de Mickey Rooney qui tient, avec Tom Drake, l'un des deux rôles principaux. La première partie raconte ainsi leur montée vers le succès, mais comme je le laissais entendre à l'instant, le scénario ne pousse pas très loin la complexité, et ce à tel point que Tom Drake se sent obligé d'intervenir dès les premières secondes pour préciser que Words and Music ne sera pas une grande histoire, car elle ne contient tout simplement pas d'enjeux: les héros ont connu une ascension foudroyante, de telle sorte qu'il ne reste que les déboires amoureux des complices pour donner un peu de matière au texte. Malheureusement, l'écriture est loin d'atteindre des sommets là aussi: le portrait de Lorenz Hart est épuré au maximum, au point qu'on ne mentionne ni ses accès de dépression (!), ni son addiction à l'alcool (!), ni même son homosexualité (!)! Comme dans Night and Day deux ans plus tôt, le musicien devient purement hétérosexuel, et son aversion pour son propre physique, notamment sa petite taille, est présentée de façon exclusivement comique lorsqu'il s'amuse à se mesurer avec une règle contre un mur en portant des talons. Le grand amour de sa vie selon le film est également des plus frustrants, car la jeune chanteuse incarnée par Betty Garrett n'a aucune consistance: elle n'a jamais l'air triste d'être rejetée in extremis pour un premier rôle, se contente de rester dans l'ombre d'un homme qu'elle "aime trop pour le blesser mais pas assez pour l'épouser" et finit par faire ses valises au moment où on lui propose enfin le grand rôle qu'elle attendait! 

De son côté, Richard Rodgers connaît lui aussi certaines déconvenues sentimentales, mais celles-ci sont également traitées sur un mode comique qui laisse pantois: d'abord rejeté par Ann Sothern qui le trouve trop jeune pour elle, puis par Janet Leigh qui le trouve trop vieux, il lui suffit d'attendre que la seconde fête ses dix-huit ans pour qu'ils tombent dans les bras l'un de l'autre sans aucune surprise. Avec si peu à se mettre sous la dent, Tom Drake et Mickey Rooney sont loin de donner de grandes performances: le premier est lisse et en outre doublé lors des chansons, et le second, bien qu'ayant nettement plus de personnalité, n'a jamais l'occasion de jouer sur sa propre petite taille et son visage pour le moins singulier, afin de donner une véritable épaisseur à Lorenz Hart. Son escapade à Londres pour oublier la dame de ses rêves est une fois de plus traitée sur le mode de la comédie ("Le parlement londonien est la mère de tous les parlements... Oh! Tiens! Je dois justement appeler ma mère!"), et sa grande scène d'agonie finale est tellement improbable que ça n'a aucun effet.

Ainsi, comme pour bon nombre de biographies musicales de l'époque, l'histoire n'a vraiment aucun intérêt, mais c'est tout de même l'occasion d'entendre de jolis numéros de chant et de danse, et dieu merci, Words and Music est parfaitement réussi de ce côté là! On admirera d'ailleurs l'équilibre parfait entre scènes parlées et séquences en musique, puisque chaque numéro est bien espacé dans le film, à défaut de servir une histoire déjà très fine à la base: les chansons se succèdent sans grande cohérence narrative ou chronologique, mais peu importe, c'est très beau à observer. J'aime notamment les décors ruraux sur On Your Toes, chanson par ailleurs idéale pour mettre en avant les jambes de Cyd Charisse, ou sur Where's That Rainbow pour ses jolies couleurs désuètes. Un autre morceau amusant, c'est l'épopée médiévale Thou Swell: June Allyson a beau avoir une voix désagréable, elle n'en est pas moins sympathique avec ses sourires de princesse de contes de fées, tandis que les jolis jumeaux Blackburn sont tout à fait séduisants dans leurs armures moulantes et ridicules! Lena Horne chante quant à elle The Lady Is a Tramp et Where or When dans des décors exotiques (pas les morceaux de bravoure du film), tandis que Perry Como chante Blue Room dans... un salon bleu, avant de revenir faire son crooner lors du finale sur With a Song in My Heart, en hommage au parolier disparu. 

Malgré tout ce beau monde, les véritables vedettes du spectacle sont Judy Garland et Gene Kelly. Ils n'ont pourtant qu'une poignée de scènes en tout et pour tout, mais on ne retient qu'eux. La première est ici armée d'un charisme incroyable qui lui permet d'éclipser tout le monde dès qu'elle se met à parler dans un salon, avant d'éblouir comme la grande star qu'elle est dans I Wish I Were in Love Again et Johnny One Note. J'ai beau ne pas être le plus grand fan de Miss Garland, force est de reconnaître qu'à chaque fois que je la découvre davantage, je trouve qu'il est de plus en plus difficile de lui résister. Le problème vient probablement de ce que je ne suis pas le plus grand amateur de jazz et de timbres féminins graves, mais Garland chante comme toujours avec tant de plaisir et de spontanéité qu'on comprend aisément pourquoi elle reste un phénomène incontournable. Pour la petite histoire, Words and Music est la conclusion de ses duos avec Mickey Rooney, après leurs premiers succès qui les avaient propulsés sur le devant de la scène dix ans plus tôt. Gene Kelly continue pour sa part de faire des bonds dans ce que nous appellerons mon "estime érotique", car autant ses grimaces me laissaient froid jadis dans Les Trois Mousquetaires ou même Chantons sous la pluie, autant continuer de le voir se déhancher en polo moulant à manches courtes et pantalons noirs dans divers films colorés m'émoustille de plus en plus. Il dance ici comme un dieu sur le numéro Slaughter on Tenth Avenue (voir ci-dessus), incontestablement l'une de mes compositions musicales préférées de Richard Rodgers.

Finalement, Words and Music reste une découverte absolument plaisante, puisque malgré son scénario bidon qui ne pense même pas à interroger la notion d'inspiration chez les créateurs, le film est orné d'assez jolis numéros musicaux pour faire passer le plus exquis des moments. Ce ne sont pourtant pas les compositions musicales que je préfère dans l'histoire de la musique pop des années 1930, mais la découverte de Slaughter on Tenth Avenue m'aura tout de même enthousiasmé au plus haut point. J'aurais simplement aimé que ma chanson préférée du duo Hart & Rodgers, Isn't It Romantic? introduite dans Love Me Tonight, figure dans leur biopic, (Lover, du même film, est jouée de manière instrumentale lors du générique de début), mais c'est heureusement compensé par la présence de Blue Moon. Le tout forme un film absolument charmant, mais un fil conducteur très mal écrit l'empêche hélas de dépasser un petit 6/10.

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