Avant toutes choses, je tiens à remercier ceux qui se reconnaîtront, et grâce à qui j'ai enfin pu mettre la main sur l'introuvable, le remake de Bella Donna avec Merle Oberon, réalisé par Irving Pichel et plus connu sous le nom sulfureux de Temptation. Devant le peu d'inspiration actuelle pour les premiers rôles féminin de l'année, j'espérais vraiment pouvoir faire quelque chose de la métisse la plus célèbre du cinéma britannique, d'autant que la promesse de décors égyptiens, de costumes somptueux et de poisons venus du fond des âges était particulièrement alléchante. Ce ne sera malheureusement pas le cas: Temptation souffre d'un très mauvais scénario et d'un manque total de rythme, qui m'ont conduit à décrocher au bout de vingt minutes pour nettoyer ma collection de dinosaures, en jetant un œil distrait au reste de l'intrigue de temps à autres...
L'histoire: après avoir fait des pieds et des mains pour épouser le ténébreux George Brent, la pauvre Ruby réalise à quel point celui-ci manque de charisme, et s'en va donc prendre un amant cairote plus à son goût. Au point de vouloir se débarrasser du mari encombrant? Peut-être bien...
Alors, c'est bien joli de vouloir empoisonner George Brent, "sufficiently unimpressive to seem a husband that a dame would double-cross" d'après Bosley Crowther, mais puisque le film est un long flashback et que l'introduction au temps présent montre le personnage bien portant, le suspense tombe évidemment à plat. A la décharge du film, ce n'est pas vraiment le problème: l'intérêt est d'observer le changement d'état d'esprit qui va s'opérer chez l'héroïne. Mais pour en arriver là, il faut passer par plus d'une heure et demie d'intrigue qui patine au point mort, à observer Ruby vamper des hommes lors de longs entretiens où il ne se passe pas grand chose. Ainsi, comment rester captivé alors que seules les cinq dernières minutes viennent pimenter un peu ce mélodrame bourgeois pesant?
La mise en scène elle-même est assez inerte: pour quelques jolies images devant des moucharabiehs, ou une bonne utilisation de balcons alors que Ruby écoute le pianiste à l'arrière-plan (merci au photographe Lucien Ballard), l'intégralité du film se passe dans des intérieurs assez quelconques, de quoi diminuer grandement le côté pittoresque promis par le synopsis. Les photographies proprement égyptiennes se résument en effet à une scène de rue et à une mini-fouille archéologique sur un chantier, mais le reste est à peu près aussi dépaysant qu'un salon de thé ennuyeux, malgré de jolis jardins dès l'ouverture, qui brouillent momentanément les pistes. En ces lieux filmés sans génie, les personnages restent le plus souvent à papoter sans mouvement, d'où une atmosphère qui sent très vite le renfermé, inapte à divertir assez pour donner envie d'explorer la suite de ces "aventures".
Par bonheur, au milieu de ce marasme, les costumes d'Orry-Kelly sont là pour remotiver les troupes devant toutes les tenues rocambolesques de Merle Oberon, grappe de raisins en guise de chapeau à l'appui! On se surprend ainsi à guetter la prochaine robe avec un intérêt que seuls mes compatriotes homosexuels peuvent concevoir, mais le génie de ces atours est aussi qu'il servent parfaitement le travail sur l'image. On admirera par exemple la silhouette de la star se détachant dans un drap blanc, sous un clair de Lune la mettant particulièrement en valeur par rapport à sa partenaire. A la fin, cet ensemble de tissus est peut-être un peu trop excentrique, mais rappelons que la haute société britannique avait déjà un goût prononcé pour les choses exotiques et tape-à-l’œil en cette extrême fin du XIXe siècle. De toute manière, bien que tous ces costumes ne soient pas absolument crédibles, leur simple pouvoir de séduction parvient toujours à dynamiser l'intrigue de temps en temps, ce qui fait un bien fou!
Dommage qu'avec autant de tenues pour voler la vedette au reste de la distribution, la toujours magnifique Merle Oberon soit franchement peu mémorable dans son interprétation. En effet, elle ne fait presque rien dans une bonne partie du film, quoiqu'elle soit déjà plus charismatique que tous ses partenaires réunis, si bien qu'on est forcément obligé de s'intéresser à elle; et il faut donc attendre la toute fin du film pour qu'elle se mette à réaliser qu'elle s'est probablement fourvoyée lors de sa jeunesse scandaleuse. Hélas, tout n'est pas très au point: le regard d'incrédulité devant son amant ne parvient jamais à masquer l'énorme ficelle présentée par l'actrice, et le retournement de situation final, bien que jouissif avec cet air de méchante prenant plaisir à ses actes sans pouvoir tout à fait masquer l'embarras causé par sa propre vengeance, ne me convainc pas à 100%. Je reste donc une fois de plus sur ma faim avec Merle Oberon, une dame que j'ai toujours eu très envie d'aimer, mais qui ne va jamais au fond des choses à mon goût. L'inanité totale d'une histoire où il ne se passe rien avant la fin ne l'aide cependant pas à donner plus de consistance à son personnage...
Moralité: je me doutais sincèrement que Temptation ne serait pas un grand film, mais je ne m'attendais pas à être aussi déçu. Toutefois, que faire devant une heure et demie d'ennui profond pour seulement huit minutes de mouvement? Les costumes et jardins ont beau offrir leur quota de divertissement, aucun n'arrive à masquer la platitude de l'histoire et de la mise en scène... J'en resterai donc à 5/10 parce que j'ai vraiment lutté pour aller jusqu'au bout, mais je suis paradoxalement content d'avoir découvert cette rareté tant attendue. Dommage que seuls les robes et chapeaux d'Orry-Kelly soient dignes d'être pris en considération.