samedi 25 février 2017

Temptation (1946)


Avant toutes choses, je tiens à remercier ceux qui se reconnaîtront, et grâce à qui j'ai enfin pu mettre la main sur l'introuvable, le remake de Bella Donna avec Merle Oberon, réalisé par Irving Pichel et plus connu sous le nom sulfureux de Temptation. Devant le peu d'inspiration actuelle pour les premiers rôles féminin de l'année, j'espérais vraiment pouvoir faire quelque chose de la métisse la plus célèbre du cinéma britannique, d'autant que la promesse de décors égyptiens, de costumes somptueux et de poisons venus du fond des âges était particulièrement alléchante. Ce ne sera malheureusement pas le cas: Temptation souffre d'un très mauvais scénario et d'un manque total de rythme, qui m'ont conduit à décrocher au bout de vingt minutes pour nettoyer ma collection de dinosaures, en jetant un œil distrait au reste de l'intrigue de temps à autres...

L'histoire: après avoir fait des pieds et des mains pour épouser le ténébreux George Brent, la pauvre Ruby réalise à quel point celui-ci manque de charisme, et s'en va donc prendre un amant cairote plus à son goût. Au point de vouloir se débarrasser du mari encombrant? Peut-être bien...

Alors, c'est bien joli de vouloir empoisonner George Brent, "sufficiently unimpressive to seem a husband that a dame would double-cross" d'après Bosley Crowther, mais puisque le film est un long flashback et que l'introduction au temps présent montre le personnage bien portant, le suspense tombe évidemment à plat. A la décharge du film, ce n'est pas vraiment le problème: l'intérêt est d'observer le changement d'état d'esprit qui va s'opérer chez l'héroïne. Mais pour en arriver là, il faut passer par plus d'une heure et demie d'intrigue qui patine au point mort, à observer Ruby vamper des hommes lors de longs entretiens où il ne se passe pas grand chose. Ainsi, comment rester captivé alors que seules les cinq dernières minutes viennent pimenter un peu ce mélodrame bourgeois pesant?

La mise en scène elle-même est assez inerte: pour quelques jolies images devant des moucharabiehs, ou une bonne utilisation de balcons alors que Ruby écoute le pianiste à l'arrière-plan (merci au photographe Lucien Ballard), l'intégralité du film se passe dans des intérieurs assez quelconques, de quoi diminuer grandement le côté pittoresque promis par le synopsis. Les photographies proprement égyptiennes se résument en effet à une scène de rue et à une mini-fouille archéologique sur un chantier, mais le reste est à peu près aussi dépaysant qu'un salon de thé ennuyeux, malgré de jolis jardins dès l'ouverture, qui brouillent momentanément les pistes. En ces lieux filmés sans génie, les personnages restent le plus souvent à papoter sans mouvement, d'où une atmosphère qui sent très vite le renfermé, inapte à divertir assez pour donner envie d'explorer la suite de ces "aventures".

Par bonheur, au milieu de ce marasme, les costumes d'Orry-Kelly sont là pour remotiver les troupes devant toutes les tenues rocambolesques de Merle Oberon, grappe de raisins en guise de chapeau à l'appui! On se surprend ainsi à guetter la prochaine robe avec un intérêt que seuls mes compatriotes homosexuels peuvent concevoir, mais le génie de ces atours est aussi qu'il servent parfaitement le travail sur l'image. On admirera par exemple la silhouette de la star se détachant dans un drap blanc, sous un clair de Lune la mettant particulièrement en valeur par rapport à sa partenaire. A la fin, cet ensemble de tissus est peut-être un peu trop excentrique, mais rappelons que la haute société britannique avait déjà un goût prononcé pour les choses exotiques et tape-à-l’œil en cette extrême fin du XIXe siècle. De toute manière, bien que tous ces costumes ne soient pas absolument crédibles, leur simple pouvoir de séduction parvient toujours à dynamiser l'intrigue de temps en temps, ce qui fait un bien fou!

Dommage qu'avec autant de tenues pour voler la vedette au reste de la distribution, la toujours magnifique Merle Oberon soit franchement peu mémorable dans son interprétation. En effet, elle ne fait presque rien dans une bonne partie du film, quoiqu'elle soit déjà plus charismatique que tous ses partenaires réunis, si bien qu'on est forcément obligé de s'intéresser à elle; et il faut donc attendre la toute fin du film pour qu'elle se mette à réaliser qu'elle s'est probablement fourvoyée lors de sa jeunesse scandaleuse. Hélas, tout n'est pas très au point: le regard d'incrédulité devant son amant ne parvient jamais à masquer l'énorme ficelle présentée par l'actrice, et le retournement de situation final, bien que jouissif avec cet air de méchante prenant plaisir à ses actes sans pouvoir tout à fait masquer l'embarras causé par sa propre vengeance, ne me convainc pas à 100%. Je reste donc une fois de plus sur ma faim avec Merle Oberon, une dame que j'ai toujours eu très envie d'aimer, mais qui ne va jamais au fond des choses à mon goût. L'inanité totale d'une histoire où il ne se passe rien avant la fin ne l'aide cependant pas à donner plus de consistance à son personnage...

Moralité: je me doutais sincèrement que Temptation ne serait pas un grand film, mais je ne m'attendais pas à être aussi déçu. Toutefois, que faire devant une heure et demie d'ennui profond pour seulement huit minutes de mouvement? Les costumes et jardins ont beau offrir leur quota de divertissement, aucun n'arrive à masquer la platitude de l'histoire et de la mise en scène... J'en resterai donc à 5/10 parce que j'ai vraiment lutté pour aller jusqu'au bout, mais je suis paradoxalement content d'avoir découvert cette rareté tant attendue. Dommage que seuls les robes et chapeaux d'Orry-Kelly soient dignes d'être pris en considération.

samedi 18 février 2017

Immondices nocturnes


Toujours pour rester dans l'actualité, je parlerai également du nouveau film de Tom Ford, apparemment un couturier reconverti en réalisateur. J'avais apprécié A Single Man en 2009, une histoire assez ennuyeuse mais dont le sujet me plaisait, et qui restait de toute façon élégante, à une scène près. Dommage qu'avec Nocturnal Animals, l'élégance ne soit plus du tout de mise...

Bon, je ne vais pas vous mentir: je suis sorti de la séance en détestant. Avec le recul, j'ai pourtant réalisé que l'ensemble est plus intéressant qu'il n'y paraît, parce que si l'on ne comprend rien sur le moment, c'est à cause du point de vue choisi, celui de Susan Morrow, l'artiste incarnée par Amy Adams. Dès lors, si tous les éléments présentés semblent s'enchaîner de façon incohérente, c'est parce que Susan n'a pas vécu les événements dont parle le roman de son ex-mari, et tout n'est que le produit de son imagination. Une fois qu'on admet ça, on comprend donc mieux pourquoi la fin abrupte est en fait une clôture bien trouvée. On finit également par apprécier les jeux de corrélation disséminés ça et là, depuis la goutte de sang dès l'ouverture du livre au canapé cramoisi présent à la fois dans le monde réel et dans l'univers fictif, en passant par la duplication du couple mère-fille et la question de l'avortement. C'est vraiment la réflexion et la recherche qui permet de mieux digérer l'intrigue après le générique de fin, et tout devient à peu près clair une fois qu'on assemble les pièces du puzzle. Mais cela suffit-il à faire de Nocturnal Animals un bon film?

A mon avis non, car la mise en scène de Tom Ford est inutilement laide, vulgaire et violente. Et profondément ennuyeuse par dessus le marché! En effet, alors que les rapports les plus captivants sont ceux entre Susan et son ex Edward, le jeune premier méprisé par sa belle-mère qui le juge trop faible, et dont l'opinion déteindra inévitablement sur l'épouse, le film choisit de se concentrer sur les déboires de Tony, héros du roman d'Edward que Susan imagine avec les traits de son ancien mari, sur une route désertique particulièrement glauque. On passe vraiment les trois-quarts du temps à voir un individu errer dans la poussière à la recherche des assassins de sa femme et de sa fille: c'est essentiel puisque Susan doit bel et bien se sentir coupable d'avoir coupé tout lien pouvant la rattacher à Edward en le quittant et en avortant, mais le réalisateur est hélas incapable de bien doser son histoire. Or, la course-poursuite en voiture semble durer une éternité, de même que les recherches en compagnie d'un personnage de policier cancéreux qui n'apporte pas grand chose à l'affaire. Pendant ce temps, les déboires sentimentaux de Susan, entre culpabilité et sentiment d'être allègrement trompée par son nouvel époux, se réduisent comme peau de chagrin, alors que les tourments de son esprit et le regard qu'elle doit porter sur ses actes par sa lecture du roman sont tout de même le point le plus intéressant à explorer.

Mais non, Tom Ford préfère vraiment passer trois heures sur la laideur du monde sur cette route affreuse, d'où un résultat volontairement laid qui sied évidemment aux lieux décrits, mais qui n'en reste pas moins appuyé avec une lourdeur éléphantesque. On ne nous épargne alors rien, des corps obèses de l'ouverture aux feuilles de papier-toilette sales, soit autant de choses qui ne font jamais avancer la narration, et qui plombent ce qui aurait pu constituer une histoire originale en la transformant en une expérience inutilement désagréable. Sans compter qu'à croire la logique du film, plus l'on pousse les portes du sordide, plus l'intrigue perd en cohérence. Par exemple, l'introduction sur les grosses dames dansantes n'est jamais connectée au récit, sauf peut-être pour explorer vaguement la propre perversité d'une héroïne n'aimant rien tant qu'exposer des corps nus comme s'ils étaient morts, ou afficher des peintures de ces mêmes corps dans son appartement. On notera au passage qu'Amy Adams a vraiment très mauvais goût en matière de mobilier, entre son appartement ténébreux du film qui nous occupe, et sa maison aux teintes glaciales d'Arrival. Pour le reste, montrer un violeur déféquer au téléphone n'a absolument aucun intérêt, de même que cette dernière scène totalement gratuite une fois que Tony parvient à se confronter à sa Némésis: les gestes n'ont aucun sens (que ne tire-t-il quand il peut le faire?), sauf pour expliquer le dernier plan sur Susan, mais la fin romanesque est bien trop bricolée pour être honnête. Révélation: Susan doit imaginer le personnage mort pour réaliser qu'elle se fourvoie totalement sur ses chances de revoir son ex, mais n'y avait-il pas moyen de filmer une bataille plus cohérente entre les derniers survivants du livre? Observer le héros errer sans fin dans un champ sans plus y voir est une fois de plus inutilement pénible, surtout si c'est pour le voir mourir cinq minutes plus tard: pourquoi infliger ça au spectateur? Fin.

Pénible est vraiment l'adjectif adéquat pour décrire le film. Tom Ford aura donc préféré montrer des images laides incapables de faire rebondir le propos, et faire durer beaucoup trop longtemps la partie la moins intéressante de ces deux histoires croisées. J'aurais à l'inverse mieux apprécié si le roman était au service du monde réel, mais la place prépondérante du premier au détriment du deuxième est décevante. Force est pourtant d'admettre que la structure générale fonctionne une fois les pièces assemblées, mais le tout reste mal dosé. Surtout, le film est inexorablement souillé par ses traces de sang et de déjections, de quoi le rendre hautement désagréable quand bien même le traitement m'aurait davantage convaincu. La seule chose d'un tant soit peu plaisante dans tout ça, c'est la musique d'ouverture, mais ça ne suffit pas à rendre le reste appréciable. Même les performances échouent à donner ne serait-ce qu'un rayon de lumière: Amy Adams et Jake Gyllenhaal ne font rien de transcendant, et la divine Laura Linney est éclipsée par sa perruque lors d'un caméo de 110 secondes... Que faire d'un film pareil?

Boring.


Je sais, c'est un sujet important et je suis sans doute de mauvaise foi, mais se voiler la face n'y changera rien: je me suis ennuyé à mort devant Loving, le nouvel opus de Jeff Nichols (dont je n'avais encore rien vu avant aujourd'hui), à propos de Richard et Mildred Loving, qui eurent à entrer en procès avec l'Etat de Virginie après s'être mariés malgré leur différence de couleurs. Entendons-nous bien: ce n'est pas un mauvais film, mais ce n'est rien de plus qu'un hameçon à Oscars assez banal, dont le rythme peine grandement à captiver. Difficile, dès lors, d'apprécier réellement cette longue histoire de deux heures où il ne se passe pas grand chose.

Certes, le film a au moins le mérite d'être très sobre, mais ça l'est peut-être trop, justement. C'est pourtant tout à l'honneur des interprètes de ne pas donner des performances larmoyantes, mais l'émotion n'est pas vraiment au rendez-vous, malgré les malheurs des personnages. Je suis manifestement dérangé par l'extrême soumission du couple principal: c'est un excellent choix d'interprétation car Mildred et Richard viennent tous deux d'un milieu très pauvre, aussi comprend-on aisément qu'ils plaident immédiatement coupables en baissant la tête pour éviter la prison, mais ça ne colle pas exactement à ce que dégagent les acteurs derrière ces paroles. Je prends la sublime Ruth Negga à témoin: cette personne dont le visage est idéalement fait pour le cinéma a l'avantage d'être très charismatique même quand elle ne fait rien, de telle sorte que j'ai constamment l'impression d'observer une héroïne forte se forcer à trop jouer la soumission, au lieu que celle-ci paraisse réellement crédible à l'écran. Ça marche évidemment mieux dans la seconde partie, quand Mildred prend les devants en osant écrire aux Kennedy ou en répondant avec un mélange très intéressant de gêne et de plaisir aux questions des journalistes, bien que le point fort de sa performance reste avant tout l'ennui profond qu'elle parvient à suggérer devant son triste quotidien dans la ville étrangère où le couple a dû se réfugier. Mais tout de même, je n'arrive pas tout à fait à croire que Ruth Negga soit immédiatement crédible en femme assez soumise, malgré une bonne performance générale et un choix de sobriété exemplaire (voir notamment sa dernière scène au téléphone, qui manque un peu de piquant mais qui reste très cohérente par rapport à ce que l'actrice a montré jusqu'à présent). A ses côtés, Joel Edgerton a une forme de visage qui sied très bien à son personnage discret, sans compter qu'il bénéficie d'une petite scène de larmes qui rend Richard vraiment touchant. C'est encore une bonne interprétation, qui me fait paradoxalement assez peu d'effet.

Autrement, Jeff Nichols a dû mal à insuffler un rythme digne de ce nom à son film. On voit vraiment le temps passer malgré ses efforts pour créer des tensions dynamisantes, en particulier lors de la première visite de la police, dont l'avancée de nuit dans la maison est entrecoupée par des images du couple endormi sereinement; mais encore lors du retour de nuit en Virginie, alors que les héros bravent l'interdiction de revenir dans l'Etat afin que Mildred accouche parmi les siens; sans oublier d'autres petites séquences assez marquantes comme la peur de Richard voyant une voiture arriver trop vite devant la ferme où lui et sa famille sont cachés, ou encore le montage parallèle de la chute sur le chantier et de l'accident de voiture, scène centrale qui motivera les héros à quitter définitivement la grande ville pour revenir coûte que coûte auprès des leurs. Mais vraiment, si l'on excepte ces quatre séquences notables, le rythme général s'écoule difficilement, ce qui est le résultat d'une multitude de facteurs, dont des protagonistes relativement transparents, un choix de trop montrer les mêmes images de leur quotidien (Mildred passe au moins dix fois dans un couloir avec un panier de linge sous le bras, tandis que Richard n'en finit plus d'empiler des briques), et bien entendu la sempiternelle figure du sauveur blanc, puisque le procès échappe totalement aux principaux intéressés qui ne font même pas le déplacement. Evidemment, le scénariste-réalisateur a voulu rester au plus près de la vérité historique, mais par pitié, n'y avait-il pas moyen d'éviter cette musique héroïque ridicule à chaque apparition de l'avocat blanc bien décidé à venir en aide à ses clients?

On pourra également regretter que Loving ne pose pas toujours les bonnes questions. Pour en revenir au fameux procès, celui-ci se résume très exactement à... deux phrases grand maximum, trois si l'on compte la lecture du propos rétrograde des autorités de Virginie quand à "la répartition des races par dieu sur les cinq continents". Mais à la fin, on n'aura aucune bataille juridique digne de ce nom, puisque le film préfère montrer Mildred repasser inlassablement son linge, et Richard cimenter ses briques le plus stoïquement du monde. D'autre part, je ne connais pas l'état du marché de la maçonnerie dans l'Amérique des années soixante, mais le fait de déménager de force n'a aucun effet économique sur la vie du couple, puisque Richard n'a même pas besoin de chercher du travail dans son nouvel endroit: il part avec ses outils le lendemain même de son arrivée, comme s'il n'y avait rien de plus facile que se faire embaucher en un lieu totalement inconnu. Le scénario se rattrape heureusement en montrant bel et bien les affres du déchirement, lorsque le couple fait ses adieu à la famille avant de partir, mais là encore, la scène est filmée avec tant de pudeur qu'elle n'est pas aussi poignante qu'elle aurait dû. Les réflexions des personnage secondaires sont pour leur part assez banales et n'apportent rien de novateur au propos: la sœur de Mildred reprochant à Richard de l'avoir épousée en sachant qu'ils ne manqueraient pas d'avoir des ennuis sitôt après, la mère de Richard qui fait le même reproche à son fils, ou encore le meilleur ami noir qui se plaint que Richard "joue" au noir alors qu'il est nettement plus privilégié que tous ses amis réunis, à cause de sa peau blanche. On peut éventuellement apprécier l'idée que ces personnages changent d'avis en cours de route: la sœur redevant amie avec son beau-frère, et la mère blanche s'occupant de ses petits-enfants métis avec plaisir, mais ces rebondissements ne sont pas absolument exceptionnels. Dans tous les cas, le sujet est nettement mieux maîtrisé que dans des choses comme The Help, puisque dans Loving, le racisme est réellement sournois et violent, aux antipodes du film caricatural de 2011. Mais... on reste quand même sur sa faim, la faute aux briques et pantalons sales qui finissent par phagocyter l'émotion, ou tout du moins les questions juridiques les plus intéressantes.

Je crois avoir fait le tour de la question. On notera simplement que Loving ne se démarque guère par sa forme: c'est bien filmé, et les points de tensions bien montés, mais c'est loin de laisser sa marque dans l'histoire du cinéma. La musique et la photographie sont pour leur part assez quelconques. Alors voilà où j'en suis: Loving est un assez bon film, mais ça manque d'énergie et l'on passe quand même à côté de certains points qui auraient pu ajouter une complexité bienvenue au tout, ou à défaut une épaisseur un peu plus consistante que ce trop-plein de sobriété aux personnages. La découverte n'est pas inintéressante, mais c'est une œuvre qui sera très vite oubliée dans moins d'un an. Cependant, Ruth Negga possède un visage et un talent très dignes d'être exploités par le cinéma, alors prions que ce soit fait à bon escient dans les années qui viennent, en espérant que l'actrice n'ait pas que ce moment de gloire à son actif. Je suis paradoxalement content qu'elle ait réussi à se faire nommer aux Oscars face à certains gros noms attendus, mais je préfère bien davantage la performance d'Amy Adams dans Arrival. Je m'y perds de toute façon avec cette catégorie cette année: je suis facilement captivé par Ruth Negga mais trouve sa performance vraiment trop sobre, j'aime le travail d'Amy Adams dans un bon film de science-fiction mais reste très peu impressionné par la dame en général, j'apprécie le charisme d'Emma Stone mais ne la trouve pas assez solide d'un point de vue musical pour justifier une nomination, et je trouverais génial qu'on donne un Oscar à Isabelle Huppert pour sa carrière, mais elle ne me surprend aucunement dans un film que j'abomine... Pour couronner le tout, j'ai trouvé les actrices d'Almodóvar vraiment bien mais ne suis ébloui par aucune des deux, de telle sorte que c'est finalement le charisme et le naturel de Sônia Braga qui font la course en tête pour le moment. Pour en revenir au cœur du sujet, Loving est loin d'être indigne et mérite son petit 6/10, mais c'est tout de même loin, très loin, d'être mémorable.

mercredi 15 février 2017

La Lalande


Suite à plusieurs requêtes visant à me remotiver, je vais tenter de reprendre mon blog à partir d'aujourd'hui. Je commencerai par un événement d'actualité, puisqu'en début de mois, je n'ai pu m'empêcher d'aller voir ce qui sera très vraisemblablement consacré comme le meilleur film de 2016 aux États-Unis, le déjà célébrissime La La Land, bien que ce soit désormais appelé à connaître le sort des Shakespeare in Love et compagnie, celui de films que tout le monde adore sur le moment, mais que tout un chacun détestera dans cinq ans pour leur caractère trop "léger".

Je ne souhaite pas à cette œuvre de Damien Chazelle une telle destinée, bien que je ne sois pas franchement convaincu par le produit fini. À la décharge du film, il faut dire que je l'ai regardé dans les pires conditions possibles. En effet, à peine étais-je installé au beau milieu d'une salle de cinéma qu'une bonne vingtaine d'étudiantes écervelées de la même promo se sont mises à envahir l'intégralité de ma rangée, ainsi que la totalité de celle de derrière. Et bien entendu, elles n'étaient là que pour une seule et unique raison : "Voir le beau Ryan Gosling, hihi !" J'ai donc eu droit à ça pendant toute la séance :

* Ryan Gosling dit quelque chose: "Hihihi!"
* Ryan Gosling fait quelque chose: "Hahaha!"
* Ryan Gosling porte un costume moche: "Huhuhu!"
* Ryan Gosling se prend un vent: "Oooooooh!"
* Ryan Gosling s'envole dans les étoiles: "Aaaaaaah!"

Bref, j'arrête là, mais vous avez compris. Par bonheur, cette engeance a fini par se calmer dans le second acte plus sérieux, indiquant par-là même que celui-ci était effectivement meilleur que le précédent. Forcément ! C'est là que les premiers enjeux interviennent: il était temps ! Car il faut bien se rendre à l'évidence : La La Land ne brille pas par son scénario. Les deux premières saisons sont notamment d'une banalité affligeante : deux aspirants artistes se rencontrent par hasard, tombent follement amoureux, et passent leur temps à danser ou à faire des bêtises. Les tensions attendues pour pimenter leur relation n'ont pas une grande consistance non plus : un doigt d'honneur, un costume hideux tout droit sorti des années 1980, une bousculade dans un bar et… c'est tout. Mia et Sebastian se disputent à peine avant de tomber dans les bras l'un de l'autre, si bien qu'il faut passer une bonne heure sans que l'histoire n'arrive à décoller. Pour combler les trous, on enchaîne les numéros musicaux, qui se bousculent tous dans la première partie (parce que les déboires plus adultes d'une relation qui dure et de divers échecs professionnels n'appelaient pas quelques airs nostalgiques ?), et l'on tente de développer mollement la vie difficile de célébrités en herbe. Sauf que le quotidien de Mia semble déjà celui d'une star de premier ordre: elle occupe un superbe appartement (en colloc, certes, mais avec des murs assez grands pour coller un poster effrayant d'Ingrid Bergman prête à la manger), elle peut quitter son emploi de serveuse à n'importe quelle heure de la journée (on ne saura d'ailleurs jamais ce que sa patronne voulait lui dire en la convoquant !), elle largue son petit-ami quasi inexistant moins de deux minutes après son apparition, et elle enchaîne les soirées mondaines en copinant avec tout le gratin d'Hollywood. Difficile, dès lors, de se prendre au jeu de ses supposées difficultés lors d'auditions avortées sans raisons.

Le quotidien de Sebastian est en revanche plus crédible dans ce premier acte : il occupe un appartement assez glauque (la chambre à coucher verdâtre), et passe son temps à se faire licencier parce qu'il en a assez de jouer des chants de Noël au piano dans les restaurants. Certains critiquent la dimension malsaine de l'apôtre du jazz, puisque c'est bel et bien Sebastian le WASP qui remet ce style de musique au goût du jour dans le film, là où ses amis noirs échouent lamentablement en préférant faire des chansons commerciales. C'est certes problématique, mais au moins, ce parcours a déjà plus d'enjeux que celui de l'héroïne. Dommage, cependant, que Damien Chazelle se soit révélé incapable de doter son personnage d'une vie familiale digne de ce nom, puisque la divine Rosemarie DeWitt, si fascinante dans Rachel Getting Married, apparaît seulement deux secondes dans un rôle de sœur exaspérée, avant de disparaître sans laisser de traces. Dès lors, retour aux amourettes sur les bancs publics avec Emma Stone, et c'est parti pour une heure de film qui patine inlassablement.

Le second acte semble donc nettement meilleur par comparaison, puisque le couple connaît enfin ses premières tensions, à mesure que chacun tente de réaliser ses rêves. Pour le coup, le chemin de Mia gagne en épaisseur, comme en témoigne son désir d'écrire un spectacle malgré la difficulté de se faire connaître quand on est une petite provinciale qui n'a toujours pas percé depuis six ans. Mon passage préféré : le concert de Sebastian, où Mia réalise que celui-ci a cédé à la tentation d'une musique purement commerciale qui ne lui sied guère, et où elle arbore un visage complexe où se mêlent plaisir d'écouter une chanson qui la divertit et gêne d'être le témoin direct du parcours raté de son compagnon. La toute fin, sur l'évolution alternative du parcours amoureux, permet pour sa part de clore le film sur une note très positive, emplie d'émotions, et ce jusque dans le dernier plan. L'honneur est sauf, mais dommage qu'il faille attendre aussi longtemps avant de ressentir réellement quelque chose pour les protagonistes.

Ceci dit, ce finale n'arrive pas entièrement à sauver le film, car La La Land se veut avant tout une comédie musicale. Or, toutes les chansons et toutes les chorégraphies sont d'une incroyable platitude, le comble pour un film de ce type ! Sans mentir, on ne trouvera dans La La Land aucune mélodie capable de retenir l'attention, à l'exception peut-être des mesures instrumentales de Someone in the Crowd, fort sympathiques mais loin de briller par leur complexité. Et pour le reste? Another Day of Sun et Audition sortent de la tête avant même la dernière note, et City of Stars n'a guère que son introduction sifflée pour rester dans les esprits. Sans parler des paroles franchement banales pour chacun des airs en question… Les chorégraphies sont pour leur part insipides à pleurer : Another Day of Sun se veut probablement un hommage aux Demoiselles de Rochefort, mais on dirait davantage une publicité malgré la virtuosité du plan-séquence ; A Lovely Night ne bénéficie que d'un seul et unique geste digne d'intérêt (celui de l'affiche), City of Stars vaut davantage pour ses couleurs crépusculaires que pour son lancer de chapeau et sa pseudo-valse ridicule avec la promeneuse, tandis que le Planetarium était sincèrement plus excitant soixante ans plus tôt chez Nicholas Ray, malgré l'envol assez joli des héros dans les étoiles. Surtout, Emma Stone et Ryan Gosling ne savent ni chanter ni danser, ce qui est un problème quand on tient le premier rôle d'une comédie musicale. Hélas, leurs voix sont mal travaillées et leurs mouvements peu dynamiques. 

Reste heureusement leur indéniable charisme de stars, qui pour le coup donne lieu à une agréable alchimie. Je préfère néanmoins Emma Stone, absolument charmante et irréprochable dans le maniement des émotions, à Ryan Gosling, dont le phrasé me gêne sincèrement lorsqu'il tente de jouer la colère. Il se rattrape dans bien d'autres scènes, mais sa partenaire me touche plus, sans que je sois absolument ébloui par ce qu'elle fait au point de vouloir lui donner l'Oscar qu'elle gagnera à la fin du mois. C'est une bonne performance d'actrice, mais ce n'est pas non plus exceptionnel, et les problèmes dans le registre musical (la moitié du film tout de même !) rendent difficile une possible nomination dans ma propre liste de prix, bien qu'elle reste tout à fait digne d'intérêt. Certains diront que Mia et Sebastian ne sont justement pas de grands chanteurs ou danseurs, et que le talent fort modeste des acteurs dans ce registre sied précisément aux personnages (après tout, l'une veut devenir comédienne, l'autre pianiste), mais une comédie musicale se doit impérativement d'être interprétée par de vrais chanteurs. Liza Minnelli était sans doute trop talentueuse pour incarner Sally Bowles, mais aimerait-on Cabaret si une artiste médiocre avait tenu le premier rôle? Y a-t-il des gens qui préfèrent réellement la cacophonie de Carol Channing face aux notes aériennes de Barbra Streisand dans Hello, Dolly ? J'ai pour ma part choisi mon camp.*

Ainsi, voilà dans ces grandes lignes mon opinion sur le film incontournable de la saison. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, j'ai tout de même passé un bon moment, mais ce n'est certainement pas un chef-d’œuvre. Même les couleurs sont parfois trop criardes à mon goût, accentuant l'aspect publicitaire de la chanson d'ouverture, et lorgnant parfois trop vers le côté délibérément cheap du concert "années 1980" en tenues immondes. Mais La La Land est indéniablement un film divertissant. Et comme je sais que vous trépignez d'impatience pour obtenir la seule et unique information qui vous intéresse depuis le début de cette lecture, je ne vous fais pas languir plus longtemps. Voici donc en exclusivité le verdict de mes voisines de rangée ! Vous serez ainsi ravis d'apprendre qu'à ma gauche, deux d'entre elles étaient en larmes. Certes, la fin est touchante, mais relativisons, ce n'est pas Stella Dallas ! À ma droite, l'une était emmitouflée dans son écharpe et répondit à sa super copine lui demandant si elle avait aimé : "C'est dans mon top 5 préféré de tous les temps !" Réflexion d'un ami à qui j'ai relaté cette anecdote depuis : "En somme, elle n'a vu que six films dans sa vie !" Je suis sûr que c'est précisément le cas ! Six est aussi le chiffre adéquat pour définir La La Land : 6/10. Ça se regarde sans déplaisir, mais c'est assez creux pendant trop longtemps, et c'est loin de révolutionner le genre.

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* Exception faite de Vanessa Redgrave dans Camelot : elle ne sait clairement pas chanter, mais son parler rythmé apporte en fait bien plus de luxure et de coquinerie au Lusty Month of May que les belles notes de Julie Andrews, qui à l'écoute me font davantage penser à Blanche-Neige qu'à Guenièvre.